Le texte de l'Évangile de ce dimanche a effrayé pas mal de croyants. Dieu serait-il ce juge implacable qui surveille nos moindres faits et gestes et nous demande des comptes ? La façon dont on a interprété la parabole des talents a pu faire croire à un Dieu sadique, pervers, qui veut nous prendre en faute. Pour le Père Jean-François Noël, prêtre et psychanalyste, "le vrai drame de l’homme, c’est ce qu’il pense ou croit penser de Dieu".
Évangile du dimanche 19 novembre (Mt 25, 14-30)
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « C’est comme un homme qui partait en voyage : il appela ses serviteurs et leur confia ses biens. À l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités. Puis il partit. Aussitôt, celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla pour les faire valoir et en gagna cinq autres. De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un alla creuser la terre et cacha l’argent de son maître.
Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et il leur demanda des comptes. Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha, présenta cinq autres talents et dit : “Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres.” Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.” Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi et dit : “Seigneur, tu m’as confié deux talents ; voilà, j’en ai gagné deux autres.” Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.” Celui qui avait reçu un seul talent s’approcha aussi et dit : “Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.”
Son maître lui répliqua : “Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu. Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts. Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix. À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents !”
Source : AELF
C’est l’histoire d’un maître qui confie de l’argent à ses serviteurs. Le '"talent" était en effet une unité de mesure à l’époque antique. (Un talent représentait 25 kilos d’argent pur.) Cette parabole de Matthieu paraît à première vue "incroyablement injuste", admet Jean-François Noël. Le lecteur est en droit de se sentir "étonné" voire "révolté" de la réponse du maître au serviteur. Mais "ça fait partie de la pédagogie parabolique que de me renvoyer un peu en moi-même", rappelle le prêtre.
Dans l’évangile de Matthieu, cette parabole vient juste après celle des vierges insensées et avant celle du jugement dernier. Il s’agit pour l’évangéliste de réveiller ses lecteurs. "Et de dessiner une sorte le parcours de l’homme sur terre… Une vue d’ensemble du parcours humain et de son terme."
Si, comme le décrit Jean-François Noël "le texte nous inquiète", c’est que derrière l’image des talents, il y a une dimension existentielle sous-jacente. Les talents sont une métaphore de la vie. Il est dit que le maître "confie" ses biens mais le mot grec renvoie à l’idée d’un don plus que celle d’un prêt. La question qui se pose ici, et qui est "le principe même de cette parabole" selon Jean-François Noël, est : "Est-ce que ma vie m’est donnée ou est-ce qu’elle m’est prêtée ?"
Ma vie m’appartient-elle ? Est-elle "un dû ou un don" ? "Je n’en suis ni la source ni la fin, répond le prêtre, par contre, le temps de, j’en suis responsable, je dois rendre compte de ce que je vais en faire." Ainsi, "il ne s’agit pas simplement d’être vivant mais de considérer que je dois m’interroger sur la vie que j’ai reçue".
"Si je considère que cette vie m’est donnée mais qu’en même temps je deviens responsable pour en rendre compte, alors je deviens généreux comme on l’a été pour moi. Par contre si je considère que c’est une charge, un poids, une malédiction d’être vivant, alors je m’enfouis déjà dans la terre et dans la tombe."
C’est ça le drame, le vrai drame de l’homme, c’est ce qu’il pense ou croit penser de Dieu
Le serviteur qui ne reçoit qu’un talent a peur et l’enfouit sans le faire fructifier. Pourquoi cette peur ? Pourquoi le maître ne prend-il pas le temps de lui expliquer les choses ? "L’évangile déteste la causalité, l’explication rationnelle, prévient le P. Noël, elle nous oblige à nous en défaire." On est ici devant "une parole qui tire l’âme par le haut"...
Le troisième serviteur "est enfermé" dans l’idée qu’il a de son maître - le maître étant la métaphore de Dieu. La "surdité" du serviteur "tient à l’idée qu’il a de Dieu". Il a l’image d’un Dieu pervers, pour reprendre l’expression du théologien Maurice Bellet, un Dieu dont il faut avoir peur. Or, "comment voulez-vous que Dieu force l’esprit d’un homme qui est replié sur sa propre peur ?" nous dit Jean-François Noël. "C’est ça le drame, le vrai drame de l’homme, c’est ce qu’il pense ou croit penser de Dieu."
Peu de nos contemporains connaissent les Évangiles. Ils n'y sont pas hostiles mais ils n'ont plus d'occasion d'y avoir accès. C'est partant de ce constat que, avec l'éclairage d'un bibliste, Béatrice Soltner propose chaque semaine un texte d'Évangile pour qu'il soit entendu (ou réentendu), pour en savourer la nouveauté et faire l'expérience que - si incroyable que ce soit à l'heure de l'instantanéité - cette parole écrite il y a plus de 2.000 ans nous rejoint toujours au plus profond.
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