Aux premiers temps du christianisme, les interdits alimentaires ont été levés, de même que l’obligation de la circoncision. Cela signifie-t-il que les chrétiens n’ont pas de loi ? Dans les évangiles, la liberté de Jésus à l’égard de la loi de Moïse est frappante, déconcertante. Il semble même provoquer ceux qui sont soucieux de respecter la loi. En quoi Jésus était-il libre ? Que nous apprend-il des liens entre religion, respect des rites et liberté ?
Cela fait plus de cinquante ans que Sœur Pascale Dominique est entrée au monastère Notre-Dame de Chalais, non loin de Grenoble. Dans son livre "Divines libertés" (éd. Cerf, 2023), elle montre combien Jésus est pour elle un maître de liberté. Car si la vie monastique exige un certain nombre de renoncements, elle ne s’est jamais "sentie enfermée, ni en prison". "Je me sens libre de vivre, d’aimer... En arriver à aimer réellement une sœur dont on n’est pas proche d’emblée, c’est une forme de liberté. C’est l’expression, c’est le fruit de la liberté."
Dans l’évangile Jésus ne semble pas toujours respecter la loi de Moïse et cela résonne parfois comme une provocation. Cherche-t-il vraiment à provoquer ceux qui respectent la loi ? La provocation, c’est la tentation d’aller à l’encontre de son interlocuteur dans le but de s’opposer à lui. Pour Sœur Pascale Dominique, Jésus est à bien des égards déconcertant mais "jamais il ne provoque". "Il n’est pas contraint par les choses extérieures, ni par la bonté de l’Homme ni par sa méchanceté... On ne le sent pas aculé à quoi que ce soit."
La liberté de Jésus, Sœur Pascale Dominique la décrit ainsi : "Il est libre d’aimer, il est libre de guérir quelqu’un, libre d’aider quelqu’un qui souffre. Il a toujours la parole qui fait du bien." Quand il dit : "Va en paix" (Lc 8, 48) ou "Va, et désormais ne pèche plus" (Jn 8, 11), cela veut dire : Va vers ta vie. Pour Sœur Pascale Dominique, "Jésus a une parole libératrice, il ne retient pas."
"Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes, a dit Jésus, je ne suis pas venu abolir mais accomplir" (Mt 5, 17). Cette question du rapport de Jésus à la loi n'est pas toujours facile à comprendre. Cependant, elle est essentielle. Dans les évangiles, c’est à ce sujet que Jésus débat avec les scribes et les pharisiens. Des docteurs de la loi à qui les évangélistes prêtent l’intention de piéger Jésus. Une lecture un peu rapide des textes laisse penser qu’il y a d’un côté ceux qui respectent la loi, d’une façon rigide, et de l’autre côté Jésus, qui s’émancipe de la loi de Moïse.
Quel rapport à la loi propose Jésus ? Il cherche à les interroger. "Ce n’est pas qu’il ne respecte pas la loi, analyse Sœur Pascale Dominique. Je crois que c’est faux de le dire. La loi est absolument nécessaire, pour tout être humain il faut une loi pour pouvoir vivre." Jésus interprète la loi dans la tradition juive de son temps, mais avec l'originalité qui lui est propre. "Il questionne leur pertinence, quitte à aller à l’encontre de ces règles."
Ainsi, "quand Jésus dépasse la loi, explique Sœur Pascale Dominique, c’est toujours pour guérir quelqu’un, pour aider, pour sauver quelqu’un physiquement et encore plus d’une certaine manière moralement." Les évangiles sont - un peu "comme la vie" - souvent contradictoires, observe la religieuse. Et pourtant, il y a une cohérence : c’est "l’esprit du Christ qui traverse l’évangile". Et qui traverse l’interprétation de la loi par Jésus.
Guérir le jour du shabbat, ne pas lapider la femme adultère… Au nom de quoi Jésus prend-il des libertés par rapport à la loi de l’époque ? Dans l’évangile de Matthieu (chapitre 2 versets 29 à 31), Jésus relie deux commandements de la Bible hébraïque. "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force" - un commandement qu'il tire du Livre du Deutéronome (chapitre 6, verset 5). Puis : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même", du Livre du Lévitique (chapitre 19, verset 18). Ce nouvel enseignement puisé dans la Bible hébraïque donne la mesure pour comprendre le rapport à la loi que propose Jésus.
Par exemple, le récit de la femme adultère raconté par Jean au chapitre 8. Une femme qui a été infidèle à son mari se trouve "entourée d’un cercle de vieux légalistes qui n’avaient pas tort de le lui reprocher mais qui avaient tort de l’encercler et de vouloir la lapider", nous dit Sœur Pascale Dominique. Pourtant, c’était la règle à l’époque de punir ainsi la femme adultère. "Jésus ne conteste pas la loi en elle-même. Elle a un sens, mais il la déborde, analyse la moniale. Parce qu’il est plus libérant pour les gens d’être aimés comme ils sont que d’être contraints par une loi qui les réduit et qui leur promet la mort."
On aurait tort de voir en Jésus un révolutionnaire - il n'est pas plus pacifiste d'ailleurs. "Il n’a pas envie de mettre en pièces le système, il ne se rebelle pas non plus contre l’occupation romain mais il en est complètement libre", selon Sœur Pascale Dominique. Libre d’un "amour plus grand que la loi, d’un amour qui submerge la loi, qui la prend en charge et la dépasse".
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