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Podcast Silence, on crie - Épisode 3 : Sous emprise spirituelle

RCF, le 16 octobre 2024 - Modifié le 17 octobre 2024
Silence, on crie3/6 L'abus spirituel : "L' histoire de la grenouille qui ne savait pas qu'elle était cuite"

"Pourquoi je n’ai pas eu conscience tout de suite que ce que je vivais ce n’était pas normal ?" Louise a été sous emprise spirituelle au sein d'une communauté religieuse. Par quels processus un agresseur engourdit-il la conscience d'une victime ? Dans le troisième épisode du podcast Silence, on crie, Louise témoigne, cinq ans après sa sortie du couvent.

La mise sous emprise spirituelle passe notamment par le détournement de la parole de Dieu ©Nicolas Guyonnet / Hans LucasLa mise sous emprise spirituelle passe notamment par le détournement de la parole de Dieu ©Nicolas Guyonnet / Hans Lucas

 

"Dans la vie religieuse, c’est très précieux le silence. C’est dans le silence qu’on entend Dieu.
Mais ça peut être très mortifère aussi le silence, quand c’est le silence du secret...
Je pense aux relations qu’on avait entre nous, les sœurs. On n’avait pas le droit de se parler les unes aux autres, tout devait passer par la prière. Ça, c’est un silence qui tue en communauté, ce n’est pas possible de vivre comme ça."

Louise, dans le troisième épisode du podcast Silence, on crie

 

Il y a trois ans, le rapport de la Ciase annonçait un chiffre : 330.000 mineurs victimes d’agressions sexuelles dans l’Église catholique en 70 ans. Comment ces crimes ont été possibles ? Qu’est-ce qui fait que l’Église catholique a été un terreau favorable à ces agressions ? Et pourquoi personne n’a rien dit ? À la suite de la Ciase, RCF souhaite faire entendre la voix des victimes. Nous voudrions réfléchir et donner à réfléchir, pour que, ensemble et chacun à notre place - que nous soyons religieux, clerc ou laïc – nous puissions faire de l’Église "une maison sûre".

La Ciase a mis la lumière l’importance de l’abus spirituel comme technique d’approche des prédateurs. L’emprise peut rendre n’importe quel adulte vulnérable. Pour parler de cette confiance brisée, RCF donne la parole à Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF), Sœur Véronique Margron, religieuse et présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), Joël Molinario, théologien et membre de la Ciase, Sophie Lebrun, journaliste, et Lorraine Angeneau, psychologue clinicienne.

Dans le troisième épisode du podcast Silence, on crie, Louise témoigne de l’emprise dont elle a été victime en tant que religieuse. Louise, ce n’est pas son vrai prénom car c’est encore compliqué pour elle de témoigner à visage découvert. À 35 ans, elle a passé presque neuf ans dans une communauté religieuse dont on ne peut dire le nom parce que, là aussi, c’est compliqué. Elle était entrée à 22 ans, après une licence de lettres modernes et de sciences politiques. Elle en est sortie à la fin de l’année 2019, complètement laminée. 

 

Sortir de l’emprise

"Pourquoi je n’ai pas réussi ? Pourquoi je n’ai pas pu ? Pourquoi je n’ai pas su ? Pourquoi je n’ai pas eu conscience tout de suite que ce que je vivais ce n’était pas normal ?" Cela fait cinq ans que Louise est sortie du couvent. Aujourd’hui elle comprend : "Ma conscience était complètement engourdie, en fait. Malgré le fait d’avoir fait des études j’ai fini par croire ce que l’on me disait et j’ai laissé ma conscience complètement abdiquer." Elle était comme "la grenouille qui ne savait pas qu’elle était cuite". Trop engourdie pour sentir que l’eau est devenue chaude. 

Louise est sortie de l’emprise spirituelle. Désormais, elle peut s’appuyer sur sa famille, ses amis, pour avoir "un soutien affectif et matériel" et se reconstruire. Mais elle n’oublie pas que des religieuses continuent de souffrir au sein de la communauté qu’elle a quittée. "Je sais qu’il y a encore des sœurs qui sortent dans très mauvais état et qui ne sont pas accompagnées comme elles devraient être. Je sais qu’il y a des sœurs à l’intérieur qui souffrent qui elles non plus ne sont pas accompagnées comme elles le devraient."

Cette communauté a pourtant fait l’objet d’une visite apostolique en 2012. Plus de dix ans après, "il y a des actes courageux qui devraient être posés et qui ne le sont pas, observe la jeune femme. Parfois c’est plus confortable de chercher à sauver sa réputation plutôt que de prendre des décisions pour changer radicalement ce qui ne va pas."

 

Sous emprise : de quoi souffre-t-on ?

De quoi souffrent les sœurs qui y sont encore ? De quoi a souffert Louise ? De ne pouvoir se parler entre religieuses, d’être dans une culture du secret, de devoir couper les liens avec sa famille, d’avoir été forcée de manger, d’un rapport au corps "intrusif" où elle a été pesée de dos pour ne pas voir son poids, d’avoir été "infantilisée" au point de ne pouvoir "prendre un Doliprane sans autorisation de la mère supérieure"

Quand la visite canonique a eu lieu, cela faisait environ sept mois que Louise était arrivée au sein de la communauté. "C’était la panique, se souvient-elle. On faisait tout pour nous montrer que l’Église avait tort, que l’Église ne comprenait pas notre vocation et qu’elle nous voulait du mal et que donc il fallait que l’on se défende et particulièrement il fallait qu’on défende la prieure générale qui était attaquée. On nous a un peu briefées ou retourné le cerveau avec une interprétation différente de l’interprétation officielle de la visite."

C’était au tout début de la vie religieuse de Louise. Quand elle était "heureuse". "La période du postulat, j’étais sur mon petit nuage. Je savais que j’étais à ma place et que j’étais avec le Bon Dieu et ça c’était extraordinaire. Ça s’est dégradé très progressivement."

 

Au nom de l’évangile...

La mise sous emprise spirituelle passe par deux choses : le détournement de la parole de Dieu et la manipulation de "choses qui peuvent nous habiter très profondément", comme le désir de perfection. Ce dont témoigne Louise, qui avait, comme ses sœurs de communauté, le désir d’être une bonne religieuse. "Je portais le désir de la vie religieuse, d’une consécration totale à Dieu dans un don radical de moi-même."

Si l’on parle de systémie, y a-t-il des passages des Écritures saintes qui seraient propices à l’abus spirituel ? Quels textes de la Bible utilisent les abuseurs pour prendre le contrôle sur les consciences des victimes ? Pour Véronique Margron, ce sont en particulier les passages liés à l’obéissance. Par exemple, au Livre de la Genèse, l’épisode où Dieu demande à Abraham de lui sacrifier son fils Isaac. "Sacrifier le plus cher de soi ? Mais ça c’est un ressort de manipulation extraordinaire, observe la présidente de la Corref. Pour obéir à Dieu il faut sacrifier le meilleur de soi et il te le rendra au centuple ? Vous pouvez faire faire à des gens n’importe quoi !"

Dans l'évangiles, il y a aussi de nombreuses paroles sur la perfection. Le fameux verset : "Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait" (Mt 5, 48). "La perfection, c’est obéir sans retenue, explique Véronique Margron, c’est faire tout ce qu’on va me dire, c’est tout donner, c’est ne rien garder pour moi..." Pour Joël Molinario, "le plus terrible c’est : « Malheureux celui par qui le scandale arrive » (Mt 18)". Ce verset, "c’est impressionnant comment on [lui] a fait dire l’inverse. Et tout le monde s’y est mis : parents, victimes, agresseurs, l’institution… Un détournement de l’Écriture à 180 degrés !"

Ce ne sont pas les textes bibliques qui sont coupables. Mais bien celui qui les manipule. Même la figure de Marie "a été utilisée à tort à travers comme une figure de soumission par les abuseurs", observe le théologien. En réalité, tout passage de la Bible, tout dogme, peut être utilisé car en fin de compte, comme le dit Joël Molinario, "il n’y a pas de limites aux pervers""Si vous n’entendez pas que la Bible est faite pour être toujours lue et interprétée, rappelle Véronique Margron, si vous n’entendez pas que la Bible, ce n’est pas un réservoir de réponses... alors vous pouvez extraire n’importe quelle parole et ça devient une sorte de mantra."

 

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