Podcast Silence, on crie - Épisode 2 : Les stigmates de la pédocriminalité

RCF, le 8 octobre 2024 - Modifié le 8 octobre 2024
Silence, on crie2/6 Les stigmates de la pédocriminalité : "Une empreinte indélébile"

Dans le deuxième épisode du podcast Silence, on crie, Stéphanie Gallet évoque le mal qui est fait à un enfant quand on l’agresse sexuellement, quand on le viole. Un épisode difficile mais qui donne à entendre la réalité de la souffrance des victimes. 

Le Père Patrick Goujon, jésuite, auteur de "Prière de ne pas abuser" témoigne dans l'épisode 2 du podcast Silence, on crie (éd. Seuil, 2021) ©Bénédicte RoscotLe Père Patrick Goujon, jésuite, auteur de "Prière de ne pas abuser" témoigne dans l'épisode 2 du podcast Silence, on crie (éd. Seuil, 2021) ©Bénédicte Roscot

 

"Je disais, là, récemment à ma psychothérapeute que je me heurtais encore en moi à un mur en béton armé ou à une espèce de bunker. Et je ne sais pas ce qu’il y a dedans. Je crois qu’il y a encore un cri de l’enfant agressé, 40 ans plus tard.
Silence, on crie et Dieu entend ce cri. Si on peut apprendre à entendre le cri des victimes… 
Ah, ça fait mal d’entendre un cri, hein ! Oui, mais il n’y a pas d’autre moyen de venir en aide à quelqu’un qui souffre que d’accepter d’entendre son cri. Même si ça fait très mal à celui qui entend."

Patrick Goujon dans l’épisode 2 du podcast Silence, on crie

 

Il y a trois ans, le rapport de la Ciase annonçait un chiffre : 330.000 mineurs victimes d’agressions sexuelles dans l’Église catholique en 70 ans. Comment ces crimes ont été possibles ? Qu’est-ce qui fait que l’Église catholique a été un terreau favorable à ces agressions ? Et pourquoi personne n’a rien dit ? 
À la suite de la Ciase, RCF souhaite faire entendre la voix des victimes. Nous voudrions réfléchir et donner à réfléchir, pour que, ensemble et chacun à notre place - que nous soyons religieux, clerc ou laïc – nous puissions faire de l’Église "une maison sûre".

Dans le deuxième épisode du podcast Silence, on crie, Stéphanie Gallet évoque le mal qui est fait à un enfant quand on l’agresse sexuellement, quand on le viole. Un épisode difficile mais qui donne à entendre la réalité de la souffrance des victimes. Vous entendrez le témoignage de Patrick Goujon, prêtre jésuite victime d'agressions dans son enfance, et aussi l'analyse d'Édouard Durand, magistrat et ancien co-président de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), et enfin Lorraine Angeneau, psychologue clinicienne et spécialisée dans le traitement des états de stress post-traumatiques.

 

"Il n’y a pas d’agression sexuelle qui ne laisse pas de trace"

"Ce que l’on peut poser d’emblée, c’est qu’il n’y a pas d’agression sexuelle qui ne laisse pas de trace et qu’en aucun cas ce ne sont des gestes ou des violences qui sont neutres." Lorraine Angeneau est psychologue clinicienne et spécialisée dans le traitement des états de stress post-traumatiques. Elle intervient au sein de l’Inirr, l’instance indépendance créée par la Conférence des évêques de France, pour les victimes de prêtres.

"De fait ces agressions répétées sont commises sur des enfants qui par définition sont des êtres en développement, poursuit Lorraine Angeneau, des personnes vulnérables dont le corps, le cerveau, le psychisme, le cœur se développent. Et les agressions vont venir mettre des obstacles au développement harmonieux d’un enfant…. Ces expériences extrêmement négatives vécues durant l’enfance ont des conséquences à long terme."

Le juge Édouard Durand est spécialiste de la protection de l’enfance. Pour lui, "chacun peut comprendre, dit-il, que le viol ou l’agression sexuelle sont une attaque de la sécurité, de la santé, de la moralité de l’enfant victime et donc de son développement. Et donc de toute sa vie."

 

Le corps, suite à une agression physique ou psychologique, est détérioré. C’est-à-dire qu’il y a une empreinte dans le corps des agressions

 

"Ça n’en finit jamais"

Les conséquences des agressions sexuelles qu’il a subies durant son enfance, le Père Patrick Goujon a cru un temps qu’il en était débarrassé. Il a passé plus de quarante ans à souffrir de "surpoids, de thrombose, d’hernies"… et d’amnésie. Il y a trois ans, le 7 octobre 2021, soit deux jours après la publication du rapport Sauvé, il a publié "Prière de ne pas abuser" (éd. Seuil). Un témoignage saisissant qui a reçu le prix de la Liberté intérieure 2022 (en partenariat avec RCF). Dans ce récit, il raconte comment son corps n’a pas oublié les sévices, malgré l’amnésie dans laquelle il a été plongé durant de longues années.

"Il y a encore des matins, dit-il, où je me lève avec cette question : Comment as-tu pu oublier ?" Patrick Goujon est prêtre jésuite est aussi universitaire, il enseigne l’histoire de la spiritualité. À l’adolescence, il a compris qu’il avait été victime d’agressions sexuelles. "Et puis, voilà, j’ai été saisi par une amnésie qui m’a sauvé la vie au fond parce que j’ai pu grandir, me développer sans que ces agressions me pèsent. Sans qu’elles me pèsent autrement que sur le corps."

Au moment de la parution de son livre, Patrick Goujon pensait que son corps allait mieux. "Au fond ce que je découvre aujourd’hui - ça fera huit ans que ma mémoire est revenue - c’est que ça n’en finit jamais. J’avais plutôt imaginé que, un peu comme lorsqu’on rentre dans une pièce quand on allume un interrupteur, j’avais fait la lumière et que maintenant que la lumière était faite dans la pièce, on voyait où étaient les meubles. Ah, non c’est que c’était loin d’être fini !"

 

Prix de la liberté intérieure"Prière de ne pas abuser", de Patrick C. Goujon

"Quand on est enfant on ne comprend pas ce qui nous arrive"

Les agressions sexuelles provoquent chez l’enfant "des états de stress très aigus, des états de choc, observe Lorraine Angeneau, des réactions de dissociation qui se déclenchent quand le cerveau de l’enfant se détache de son corps pour survivre". Et cependant, "quand on est enfant on ne comprend pas ce qui nous arrive", témoigne Patrick Goujon. "Vous m’auriez demandé à l’âge de sept ans, huit, dix ans, onze ans - parce que ça a duré de mes sept ans à onze ans – si j’étais victime, je vous aurais dit non. Je me sentais victime de rien du tout. Ça n’entrait même pas dans mon esprit. Je pense que c’est ça qui est terrifiant."

Pourtant, c’est dès l’âge de neuf, dix ans que le corps de Patrick Goujon a donné des signes de sa souffrance. Il y a d’abord eu quelques kilos en trop et plus tard, des douleurs qui, de façon inexplicable, résistaient aux médicaments antidouleurs. "Tous les signes que j’ai présentés à l’enfance, à l’adolescence, et avec ces douleurs-là sont aujourd’hui des indicateurs très nets des agressions, non pas simplement en termes psychosomatiques - des douleurs que la personne imagine. En fait non, le corps, suite à une agression physique ou psychologique, est détérioré. C’est-à-dire qu’il y a une empreinte dans le corps des agressions."

À 55 ans, Patrick Goujon souffre des effets des décharges d’adrénaline sécrétées lors des agressions. Décharges "telles que les conséquences se font jour vingt-cinq, trente ans plus tard". "Mon système neuronal de la perception de douleur est complètement déséquilibré du fait des décharges d’adrénaline qui ont eu lieu pendant les agressions et comme il faut une trentaine d’années pour que ça arrive, c’est arrivé cette année." Sa maladie, un "dysfonctionnement neuro-cérébral de la perception de la douleur", a été diagnostiquée quelques mois après la mort du prêtre de Verdun qui l’a agressé, lui et des centaines d’enfants.

 

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