Souvent on confond le jour des morts et la fête de la Toussaint. Une confusion que l'on peut regretter, mais qui mérite qu'on s'y arrête selon Martin Steffens. Pour le philosophe, le christianisme est une religion qui encourage à jouer le jeu de la vie, c'est-à-dire à assumer cette contradiction entre la vie qu'il faut vivre pleinement et la mort à laquelle il faut consentir.
La Toussaint est une fête catholique célébrée le 1er novembre, au cours de laquelle on célèbre les saints. Le Jour des morts, ou commémoration de tous les fidèles défunts, est célébré le lendemain, le 2 novembre. Ce jour-là, plus de 35 millions de Français se rendent au cimetière. Une journée pour se souvenir de ceux qui nous ont quittés. Pourquoi donc a-t-on tendance à confondre la Toussaint et le Jour des défunts ? Et si cette confusion était en réalité pleine de sens ?
"La perspective de notre mort est une invitation à devenir tous saints, explique Martin Steffens, puisque dès ici-bas, il s'agit de se demander ce que je voudrais que Dieu récapitule aujourd'hui de ma vie." Dans son livre "L'éternité reçue" (éd. DDB, 2017), le philosophe rappelle que la religion chrétienne encourage à jouer le jeu de la vie. C'est-à-dire à assumer cette contradiction entre la vie qu'il faut vivre pleinement et la mort à laquelle il faut consentir.
Au cœur de la conception chrétienne de la vie et de la mort il y a un paradoxe. Le Dieu des chrétiens, celui de la Bible, est en effet le Dieu de la vie. "Le chrétien est fait pour la vie car il est fait par un Dieu vivant", explique Martin Steffens. D'un autre côté, "une vie qui refuserait totalement de mourir à elle-même", c'est-à-dire qui refuserait l'épreuve de la mort et de la souffrance, cette vie-là serait "captive d'elle-même".
On a souvent critiqué les chrétiens pour leur façon nier la mort et de ne voir que la vie éternelle. Or dans la perspective chrétienne, il ne s'agit en aucun cas de nier la mort, mais d'y consentir. C'est vrai que cela peut sembler contradictoire, admet le philosophe. Avec Simone Weil (1909-1943), il nous invite à trouver ce juste équilibre entre vivre pleinement et se laisser déposséder de la vie.
À l'inverse, un philosophe comme Nietzsche "est devenu fou de ne vouloir une vie qui ne soit que vivante". Pour Martin Steffens, ce que Nietzsche "ne voit pas" c'est que dans ce qui vient "blesser la vie" il y a le sens que les anglophones donnent au mot "blessing", c'est-à-dire "bénédiction".
On a aussi critiqué les catholiques pour le caractère doloriste de leur religion. Nietzsche, encore lui, y a vu une négation de soi, voire un suicide de soi. Or, dans la perspective chrétienne, il y a ce que Martin Steffens appelle, à la suite de Blaise Pascal, "l'idée chrétienne d'usage": on ne demande pas à Dieu une vie sans épreuve mais la grâce que cette épreuve nous rapproche de lui.
Au fond, comme le dit Martin Steffens, les saints ne sont pas des sages. "Le saint est celui qui a un désir crucifiant d'une vie toujours plus forte, toujours plus grande mais qui est invité à accueillir ce qui vient blesser cette vie comme quelque chose qui va lui demander des bras toujours plus ouverts, toujours plus accueillants." Si le sage est celui qui "est parvenu à résorber la contradiction de l'existence", le saint est celui qui l'assume, qui la vit, qui l'accueille dans toute son intensité. "La perspective de la mort, loin de vider la vie de tout son sens, en donne l'urgence et la mesure: en ce sens elle est une invitation radicale à la sainteté."
Professeur agrégé de philosophie, Martin Steffens est l'auteur de nombreux ouvrages, dont "Petit traité de la joie - Consentir à la vie", (éd. Salvator, 2011), "La vie en bleu - Pourquoi la vie est belle même dans l'épreuve" (éd. Marabout, 2014), "Rien que l'amour - Repères pour le martyre qui vient" (éd. Salvator, 2015).
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