Quelles étaient les relations entre Benoît XVI et le pape François ?

On a souvent dit que Benoît et le pape François étaient différents sur la forme mais qu’au fond ils partageaient le même point de vue. Pourtant, avec par exemple le motu proprio Traditionis Custodes (du 16 juillet 2021), le pape François est allé à rebours de ce qu’avait entrepris Benoît XVI. Que sait-on vraiment de ce qui liait et de ce qui séparait les deux papes ? La proximité d’un pape émérite logé au Vatican a-t-elle gêné François ? Ses prises de parole l’ont-elles embarrassé ? Benoît XVI avait promis de se taire, il a pourtant pris position dans des dossiers épineux comme le célibat des prêtres, au point de faire croire à certain qu’il était manipulé par les opposants du pape François…

Programmation spéciale en hommage à Benoît XVI

Joseph Ratzinger s'est éteint le 31 décembre 2022, à l'âge de 95 ans. Il avait été élu pape le 19 avril 2005 sous le nom de Benoît XVI et avait renoncé à cette charge huit ans plus tard. Qui était Benoît XVI ? Quelles images garderont de lui les catholiques et le monde ? La rédaction de RCF vous propose une programmation spéciale en hommage au pape émérite.

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"François le libéral" et "Benoît le conservateur" : une différence de style ?

Dans les médias, on a souvent entretenu l’image de "François le libéral" et de "Benoît le conservateur". Cette image est-elle justifiée ? Si l’on se réfère par exemple aux propos de l’un et de l’autre sur l’homosexualité, on a gardé en mémoire la formule "qui suis-je pour juger ?" du pape François. Il avait après cela fait la couverture du magazine The Advocate, magazine gay américain. C'est le 29 juillet 2013, dans l’avion qui le conduisait de Rio vers Rome, que le pape François avait déclaré : "Si une personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ?"

Deux ans plus tôt, en septembre 2021, dans un ouvrage paru en Italie, Benoît XVI s’opposait fermement au mariage homosexuel. Plus que sa prise de position, c’est la force des propos qui en avait étonné plus d'un. On aurait cependant tort de croire que le pape François et Benoît s'opposaient radicalement sur la question de l'homosexualité. Une note publiée en mars 2021 par la Congrégation pour la doctrine de la foi déclarait "illicite toute forme de bénédiction qui tend à reconnaître (les) unions" homosexuelles. Cette note avait bien été approuvée par le pape François. Elle avait suscité une forte déception parmi les laïcs engagés dans l’accompagnement des personnes homosexuelles au sein de l’Église catholique.

Les différences entre Benoît XVI et le pape François n'étaient-elles que des divergences de style ? Il serait inexact de dire que les deux hommes étaient en désaccord sur le plan théologique. La première encyclique de François, Lumen fidei, aurait été largement rédigée par son prédécesseur. Et pourtant, que penser du motu proprio Traditionis Custodes du pape François ? Publié le 16 juillet 2021, il a été vu comme allant à l’encontre de ce qu’avait entrepris Benoît XVI. Et notamment de son motu proprio Summorum Pontificum sur la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970, du 7 juillet 2007. Ce texte avait été vu comme un pas vers les traditionnalistes puisqu'il libéralisait la messe de rite tridentin. 

→ À LIRE : Motu proprio : le pape François resserre la vis sur les messes en latin

Le statut de pape émérite, un vide juridique

Que sait-on vraiment des relations entre Benoît XVI et François ? "Nous nous souvenons avec émotion de sa personne si noble, si gentille", a déclaré François sur Twitter après la mort de son prédécesseur. La première rencontre historique entre les deux papes avait eu lieu quelques jours après le conclave, en 2013, à la résidence de Castel Gandolfo où Benoît XVI séjournait. Par la suite, François avait pris l’habitude, chaque année avant le triduum pascal, de rendre visite au pape émérite installé dans le monastère Mater Ecclesiae - la date de Pâques n’étant jamais bien loin de celle de son anniversaire, le 16 avril. À Pâques, mais aussi à Noël ou lors d’un consistoire avec les nouveaux cardinaux, le pape François effectuait des visites de courtoisie à Benoît XVI - comme on rend visite à "un grand-père sage à la maison", avait dit François.

Au delà de cette apparente cordialité, on peut penser que la présence de Benoît XVI dans l'enceinte du Vatican, ainsi que ses prises de paroles, on pu gêné le pape en exercice. Ne serait-ce que par son statut de pape émérite. En février 2014, dans une lettre adressée au quotidien italien La Stampa, Benoît XVI avait certes assuré qu’il ne pourrait y avoir de doute sur celui qui serait "le véritable pape". Mais le statut de pape émérite n’est pas réellement défini par l’Église catholique - il faut dire que la question ne s’était pas posée depuis 1415 !

Or, pour certains, il en allait de l’unité de l’Église. Avec l’accord du pape François, Benoît XVI est resté dans son diocèse. Il a continué à faire partie du collège des évêques et a donc conservé la charge de célébrer les sacrements et d’annoncer l’Évangile. Cependant, à chaque prise de position du pape émérite, la question se posait : qui parle ? Le pape émérite ou l’évêque émérite de Rome ? Quel statut accorder à ses écrits ? Ainsi, sa trilogie sur Jésus, publiée alors qu’il était pape, il l’avait signée "Benoît XVI / Joseph Ratzinger", pour bien signaler qu’il ne s’exprimait pas en tant que pape, mais en tant que docteur privé. En revanche, l’ouvrage qu’il a publié après sa renonciation, co-écrit avec le cardinal Sarah, a été signé Benoît XVI.

→ À LIRE : Édito de Frédéric Mounier - Benoît XVI laisse le champ libre au pape François

Quand Benoît sort du silence... et contredit François

Après avoir renoncé à la charge, Benoît XVI est sorti de son silence à plusieurs reprises. Parfois pour exprimer un point de vue différent de celui du pape François. Pourtant, le 11 février 2013, quand il a annoncé sa renonciation il s’était imposé le silence pour ne pas gêner le pape en exercice. Ainsi ses prises de position ont donné lieu à toutes les spéculations : certaines ont été vues comme celles d’un pape âgé, relativement isolé, soumis à des pressions ou pris dans des jeux d’influence. On a même parlé de manipulation...

Le 11 avril 2019, dans un article de douze pages publié par le mensuel du clergé bavarois Klerusblatt, Benoît XVI s’est exprimé sur la crise des abus sexuels dans l’Église. Article publié après que le secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, mais aussi le pape François ont été avertis. Le pape émérite attribuait les crimes pédophiles du clergé à "l’absence de Dieu", dans un contexte "d’effondrement" de l’enseignement moral de l’Église. Ainsi, là où Benoît expliquait la crise des abus par la libération sexuelle de 1968 ou la banalisation de la pornographie, le pape François pointait du doigt le cléricalisme.

Quelques mois plus tard, en janvier 2020, a été publié en France le livre co-écrit par Benoît XVI et le cardinal Robert Sarah, "Des profondeurs de nos cœurs". Un texte qui a provoqué la stupeur au Vatican. Il s’agissait d’une supplique adressée par le pape émérite et le préfet de la Congrégation pour le culte divin au pape François, pour ne pas autoriser l’ordination d’hommes mariés. Les échanges entre Benoît XVI et le cardinal Sarah ont eu lieu pendant le synode sur l’Amazonie. Synode au cours duquel il avait été envisagée l’ordination sacerdotale des viri probati, ces hommes mariés d’âge mûr. C'est ce livre qui a été co-signé "Benoît XVI" et non "Benoît XVI / Joseph Ratzinger" : cela a suscité une véritable polémique. Il a été vu comme une ingérence dans le pontificat du pape François. Polémique d’autant plus vive que le doute a subsisté : l’ouvrage a-t-il vraiment été écrit à quatre mains ? Il en est resté dans l’esprit de certains une forte suspicion de manipulation du pape émérite par les plus traditionalistes du Vatican. Après pas loin de dix années de cohabitation, Benoît XVI "laisse le champ libre" à son successeur, observe le vaticaniste Frédéric Mounier. Pour lui, nul doute que "les deux papes" "se faisaient de l’ombre"...