Les évangiles le disent bien, il y avait des femmes au pied de la croix. Pourquoi n’y aurait-il pas une façon féminine d’approcher le mystère de la mort et de la résurrection du Christ ? Que serait une lecture féminine de la Passion ? À l'occasion de la Semaine sainte, trois femmes de lettres - une catholique, une protestante et une orthodoxe - nous proposent une méditation singulière et personnelle sur la Passion et les Jours saints.
"Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine." (Jn 19, 25) Pourquoi donc n’y aurait-il pas une façon féminine d’approcher le mystère de la mort et de la résurrection du Christ ? Que serait une lecture féminine de la Passion ? "Il y avait un jardin" (éd. Salvator), ou les trois jours de la Passion du Christ vue par des femmes, c’est un projet éditorial lancé par la journaliste et écrivaine Anne Ducrocq. Elle qui se nourrit depuis longtemps à chaque Carême des textes de Timothy Radcliffe et de Jean Debruyne a eu l’envie d’un livre sur le triduum pascal, qui ne serait pas écrit par des hommes. "Mon envie c’était quelque chose de subjectif, personnel et littéraire."
Dans "Il y avait un jardin", trois femmes de lettres - une catholique, une protestante et une orthodoxe - livrent leur méditation sur les Jours saints. Le Jeudi saint pour Laurence Nobécourt, écrivaine et poète, qui a publié entre autres "Opéra des oiseaux" (éd. Grasset, 2022). C’est Anne Ducrocq, auteure avec Christophe André de "Méditations sur la vie" (éd. Gründ, 2016), qui médite sur le Vendredi saint. Quant à Marie-Laure Choplin, formatrice et animatrice d’ateliers, auteure de "Jours de Royaume" (éd. Labor et Fides, 2021), c’est elle qui se confie sur la Résurrection, fêtée dans la nuit du Samedi saint au dimanche de Pâques.
"Ma spécialité, c’est un peu le Vendredi saint, raconte Marie-Laure Choplin, le moment où on ne voit plus la lumière et où il s’agit de se tenir quand même. J’ai toujours l’impression d’avoir choisi cette place-là dans l’existence…" Pourtant, dans "Il y avait un jardin", elle médite sur la Résurrection : cela a été pour elle "un combat" de "passer du côté de la Résurrection". "Ça m’a invitée au courage d’aller regarder peut-être la lumière..."
C’est à Anne Ducrocq qu’est revenu la tâche de se laisser inspirer par le Vendredi saint. Elle qui ne se sentait pas "légitime" tant cette journée, où Jésus meurt sur la croix, "l’intimide". "Jusqu’à quand vais-je me croire illégitime ?" s’est-elle encouragée. En relisant son texte, elle a même lu des mots qui ne semblaient pas être les siens. "Il y a plein de choses, j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui les ai écrites, des mots qui n’appartiennent pas à mon vocabulaire…"
Le Jeudi saint, Laurence Nobécourt y tenait. "C’est vraiment la descente dans quelque chose de la vulnérabilité de l’angoisse et de la veille." L’écrivaine a eu, une nuit, l’image d’un "escalier d’or liquide qui descendait dans la nuit… l’image que chacun est appelé à faire, c’est-à-dire intégrer ses ombres".
Lire la Bible et commenter les évangiles, dans l’histoire du christianisme, cette tâche a longtemps été réservée aux clercs et donc aux hommes. "La tentation, c’est de croire qu’il y a des personnes qui sont autorisées à la prendre, cette parole, surtout sur le mystère aussi central que celui de la mort et de la résurrection du Christ, et d’autres qui ne seraient pas autorisées." Or, ajoute Marie-Laure Choplin, "on voit bien par exemple que Jésus, avec les femmes, cette question ne l’effleure même pas !"
Qu’est-ce que ça change quand des femmes s’emparent des textes sacrés ? Y a-t-il une interprétation spécifiquement féminine de la Passion ? Ce qui est sûr c’est que ces trois femmes ne voulaient pas proposer un travail d’exégèse. "C’est le contraire du sachant et du sérieux, confirme Laurence Nobécourt, c’est une expérience de la parole qui nous traverse."
Les trois écrivaines se sont donc attelées à la tâche avec le désir de se laisser traverser par les récits de la Passion. "Pour moi l’Écriture est une voie de contemplation, c’est ce qui m’est arrivé avec l’écriture de ce livre", décrit Anne Ducrocq. "Je me suis dit : Je fais confiance, raconte Laurence Nobécourt, c’est un mystère qui m’échappe, un mystère inépuisable." Elle raconte avoir éprouvé "l’intensité" du texte. Marie-Laure Choplin a voulu "lire autrement" les évangiles, les "lire de façon extrêmement détaillée, très librement". Pour elle, une écriture féminine de la Passion "serait une écriture qui s’autoriserait à être là où elle est, complètement où elle est, à se laisser affecter à se laisser engendrer".
Ces trois femmes de lettres sont aussi trois lectrices attentives à l’attitude de Jésus envers les femmes. Et notamment à "ce qu’il ne fait pas" à leur égard. "Dans le contexte historique qui était le sien, observe Marie-Laure Choplin, il y a mille choses qu’il devrait faire." Par exemple, Jésus aurait dû se tenir à l’écart des femmes, et de leur impureté, et aussi se méfier des "tentatrices"… Au lieu de ça, "ce qui me frappe le plus, raconte-t-elle, c’est cette immense simplicité de la relation immédiate hors tout champ social entre lui et les femmes, comme il le fait aussi avec les hommes."
Avec les hommes, Jésus débat, dans les évangiles. Ce qu’il ne fait pas avec les femmes. La relation qu’il a avec elles est d’un autre ordre. Anne Ducrocq est elle aussi touchée par la simplicité entre eux. "Intuitivement ou viscéralement les femmes savent que cet homme est venu porter la vie aussi. Ils se reconnaissent l’un avec l’autre. Le féminin c’est l’accueil : Jésus est tout accueil. Il y a un joli miroir, un joli reflet, les femmes lui ressemblent."
Les femmes, elles sont dans l’expérience du corps en permanence, ne serait-ce que par leur cycle, les maternités, les ménopauses et j’en passe ! Elles ont cette expérience-là, elles ont l’expérience d’être secouées par le corps
Un Dieu qui s’incarne, c’est un Dieu qui "apporte le féminin", selon Laurence Nobécourt. "Les femmes, elles sont dans l’expérience du corps en permanence, ne serait-ce que par leur cycle, les maternités, les ménopauses et j’en passe ! Elles ont cette expérience-là, elles ont l’expérience d’être secouées par le corps - expérience que les hommes n’ont pas." Et lors de sa Passion, le Christ "ose l’incarnation avec tout le tremblement que ça suppose, la vulnérabilité que ça suppose, l’ouverture".
La Semaine sainte, où il est fait mémoire des souffrances physiques du Christ et de sa mort corporelle, nous fait entrer dans un autre rapport au monde. "Anatomiquement, une femme c’est quelqu’un qui est ouvert", ajoute Laurence Nobécourt. Pour elle, le féminin, c'est ce qui "laisse l’ouverture", ce qui permet que la parole "nous revisite", ce qui "fait de nous des êtres vivants". Et c'est ça que le Christ apporte. "Je crois que c’est absolument fondamental, cette notion de féminin que toute femme et tout homme peut porter en lui, ça n’appartient pas qu’aux femmes."
Cette lecture féminine de la Passion, c'est-à-dire attentive à l'expérience de la chair, permet d’approcher avec plus d’acuité sans doute ce que signifie ressembler au Père. "On apprend que ressembler au Père ou tout ce qui lui ressemble, décrit Marie-Laure Choplin, ce n’est pas devenir impassible, super puissant, un héros, un sage indemne... Et Jésus continue de montrer absolument jusqu’au bout que c’est le contraire !"
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