Alors qu'une légalisation de l'euthanasie est attendue avant la fin de l'été, des réserves se font entendre. Dans une tribune au Journal du dimanche, douze organisations soignantes redisaient ce week-end leur opposition à une évolution qu'elles considèrent comme un dévoiement du métier.
Sur le sujet de la fin de vie, les résistances se multiplient. Dans le JDD ce week-end, une dizaine d'organisations représentant plusieurs centaines de milliers de soignants ont rappelé leur position, déjà maintes fois manifestée. "Alors même que notre société valorise le pouvoir, le contrôle, la performance et la force, nous souhaitons rappeler que dans les situations de fragilité, c'est le soin qui doit d'abord s'exprimer", écrivent les signataire, qui interpelaient la ministre des Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo. Dimanche 21 mai, celle-ci confirmait dans le même journal l'ambition présidentielle d'une loi d'ici peu. Et énonçait des "lignes rouges : les mineurs en seront exclus ; le pronostic vital du patient devra être engagé à moyen terme".
Même des personnes qui ne sont pas réellement malades pourront aspirer, demain, à bénéficier d'un cadre législatif qui autorisera l'aide active à mourir
"Même des personnes qui ne sont pas réellement malades pourront aspirer, demain, à bénéficier d'un cadre législatif qui autorisera l'aide active à mourir", anticipe pourtant le philosophe et professeur émérite d'éthique médicale Emmanuel Hirsch, inquiet de la pente glissante que représenterait une telle légalisation. En Belgique comme aux Pays-Bas, malgré la promesse initiale d'un cadre strict, l'euthanasie est régulièrement accordée à des personnes en souffrance psychologique dont le pronostic vital n'est pas engagé.
Comme les organisations soignantes, Emmanuel Hirsch refuse que l'acte consistant à donner la mort soit ajouté aux prérogatives de ceux dont la mission est le soin. "D'un point de vue médical et philosophique, le soin n'est pas compatible avec l'acte de mort", assure-t-il, allant jusqu'à parler d'"homicide médical". "Les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou de cancer, leur obsession, ce n'est pas de mourir, c'est de ne pas souffrir, d'être accompagnées, et de vivre le moins mal possible", estime celui qui vient de consacrer un livre au sujet intime de la fin de vie*. Etre accompagné et vivre le moins mal possible, c'est pourtant l'apanage des soins palliatifs, sous-développés en France malgré les promesses des gouvernements successifs.
D'un point de vue médical et philosophique, le soin n'est pas compatible avec l'acte de mort
Un "plan décennal" de l'exécutif doit entrer en vigueur en 2024, lequel prévoit en priorité de doter la vingtaine de départements toujours dépourvus d'unité de soins palliatifs (USP). "L'important, ce n'est pas uniquement les moyens, mais la culture palliative", alerte toutefois Emmanuel Hirsch. Agnès Firmin Le Bodo elle-même ne disait pas autre chose, le 19 avril sur RCF, quand elle regrettait que, "en France, la formation de tous nos professionnels de santé [soit] très curative".
Alors qu'Emmanuel Macron s'est dit favorable, comme la convention citoyenne sur la fin de vie, à développer en même temps l'aide à mourir et les soins palliatifs, Emmanuel Hirsch croit que les seconds suffisent à rendre inutile la première. "Notre devoir de fraternité est un devoir de présence à la personne fragile dans l'existence. Le problème, c'est que ces personnes qui doutent de la vie n'entendent plus parler que de droit à mourir dans la dignité, peste le membre de l'Académie nationale de médecine. Mais elles ne veulent pas mourir dans la dignité, elles veulent vivre !" Selon lui, les belles intentions qui motivent les partisans de l'euthanasie ne sauraient masquer une violence réelle, et caractéristique de notre époque. "On est dans une société en train de s'atomiser, et on en rajoute avec une espèce de discours de la bienveillance qui relève d'un humanisme de façade".
*Emmanuel Hirsch, Devoir mourir, digne et libre, Editions du Cerf, 2023, 18 euros
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