Elles ont fui la guerre il y a presque trois mois. Plus de 13 millions de personnes ont été forcées de quitter leur domicile en Ukraine depuis le début de l'invasion russe, selon l’Organisation internationale pour les migrations. Elles sont au moins 70.000 en France selon l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Une nouvelle vie à reconstruire, souvent dans la difficulté et la précarité.
"Chanceuse dans le malheur". C’est comme ça que se décrit Iryna, Ukrainienne de 40 ans qui vivait à Kharkiv, à l'est du pays, avant le début de la guerre. D’abord terrée dans le métro, elle a fui quelques jours après les premiers bombardements sur sa ville. Son appartement, où elle vivait avec son compagnon, a été totalement détruit. Elle s’estime chanceuse, car elle n’a perdu personne de sa famille.
J'ai perdu mon pays, mon appartement, ma vie donc j'espère que c'est possible de garder mon travail
Depuis près de 3 mois, elle vit en France avec Valeria, sa fille de 14 ans, mais sans son compagnon, obligé de rester en Ukraine. Elle lui parle chaque jour par téléphone, essaye d’aller de l’avant. "Quand je parle avec mon copain des problèmes que j'ai, je comprends très bien que je parle à une personne qui est restée dans un pays où il y a la guerre. J'ai ce sentiment gênant où je me dis 'Tu es vivante, tu es bien accueillie, tu es à Paris mais pourquoi tu n'es pas contente ?'", confie Iryna.
Il y a quelques mois encore, elle travaillait et faisait des études à Kharkiv pour devenir metteuse en scène au théâtre. Aujourd’hui, elle doit vivre avec 260 euros par mois, le montant de l’aide accordée par l’Etat français. Une somme insuffisante pour se loger à Paris. Iryna et sa fille habitent donc chez un ami à Fontenay-sous-Bois en banlieue parisienne. "Même si les gens chez qui tu habites sont vraiment gentils, tu n'es pas chez toi, tu es toujours invité. Je sais pas ce que mon hôte pense, j'espère que ça va. Des fois je pense qu'on l'embête mais il y a beaucoup d'espace donc on peut simplement se croiser", se rassure-t-elle.
Iryna ne désespère pas de retourner dans son pays. Mais pour l’heure, il y a trop d'incertitudes et elle n’a plus de maison. C’est donc en France qu’elle se projette pour les mois à venir. Elle fait actuellement un stage dans le théâtre, avec un rêve : monter une pièce avec des femmes ukrainiennes. En Ukraine, "je pense qu'il y aura du travail mais pour construire à nouveau la ville, pas au théâtre", souffle la quarantenaire. "En France, je peux vivre le moment présent et travailler mais où ? Dans un supermarché ? Mais quand ton travail est plus que ton travail, c'est ta vie. Je me demande pourquoi je dois tout perdre... J'ai perdu mon pays, mon appartement, ma vie donc j'espère que c'est possible de garder mon travail", s'inquiète-t-elle.
Un quotidien précaire qui reste difficile à gérer. Par ailleurs, Iryna doit s’occuper de sa fille de 14 ans, scolarisée au collège à Paris et en difficulté. Elle l’emmènera prochainement chez le psychologue, après avoir découvert que sa fille se scarifiait les bras.
Certains réfugiés vivent dans une situation encore plus instable. Ceux qui n’ont pas la nationalité ukrainienne mais qui vivaient sur place n’ont pas le droit à la protection temporaire accordée par l'Union européenne et prévue pour durer trois ans maximum. Inza, originaire de Côte d'Ivoire, était étudiant à Dnipropetrovsk en master de relations internationales et a quitté l’Ukraine après le début des bombardements.
Aujourd’hui dans l’impasse, il espère pouvoir reprendre ses études en France. "J'ai quitté la Côte d'Ivoire car la matière que je voulais faire après la licence n'existait pas dans le pays. En Ukraine, j'ai dû travailler pour financer mes études. Moi je souhaiterais poursuivre mes études ici ou retourner en Ukraine si tout va bien. Mais l'essentiel pour moi c'est d'avoir un diplôme et ne pas retourner au pays sans rien. Ce serait beaucoup d'investissements gâchés", explique Inza, qui attend aujourd’hui une réponse de Sciences Po Grenoble qui étudie son dossier.
À Paris, le collectif "Les Mamans de Paris pour l'Ukraine" continue de se mobiliser chaque semaine en distribuant de la nourriture et des produits de première nécessité aux réfugiés. Certains se confient régulièrement et racontent parfois des situations difficiles dans leurs familles d’accueil. "Beaucoup de familles s'étaient engagés avec un vrai élan du cœur et se retrouvent avec des difficultés financières et en même temps parfois c'est des clic-clac dans le salon, des matelas gonflables avec des enfants qui dorment. Pour ces familles-là qui n'avaient pas tout à fait mesuré l'ampleur de cet engagement, c'est très compliqué. On les écoute. Et on essaye de permettre à ces familles déplacées de se remettre sur les rails et devenir autonomes", assure Margaux Lemoîne, co-fondatrice du collectif.
Trois mois après le début de la guerre, les besoins sont toujours aussi importants. "Les Mamans de Paris pour l’Ukraine" ont prévu de distribuer au moins jusqu’à fin juin. "On leur apporte cette aide absolument vitale. Il faut être réactif car les besoins évoluent. Ces personnes avaient des professions, une vie et ont tout perdu du jour au lendemain. Elles se retrouvent face à une précarité très violente à laquelle elles n'étaient pas préparées. Là où elles vivaient, tout est à reconstruire, donc elles ont besoin de nous encore un peu", estime Barbara Lévy-Frebault, l’une des membres.
Pour beaucoup d’exilés, l’espoir de repartir. Plus d’un million d’Ukrainiens sont retournés dans leur pays depuis le début de la guerre.
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