L'adoption au forceps de la réforme des retraites signe pour eux une défaite politique, mais l'opinion est incontestablement de leur côté. En perte de vitesse depuis plusieurs décennies, les syndicats ont cette fois remporté leur pari d'une mobilisation massive : plus d'un million de manifestants le 7 mars selon l'Intérieur, idem le 23 mars. Les cortèges gronderont à nouveau demain.
"Les organisations syndicales font preuve d'une grande maturité sur ce mouvement", constate Stéphanie Matteudi - Lecocq, docteur en droit et spécialiste du fait social et syndical. "Pour la première fois de leur vie, elles tiennent l'intersyndicale, alors que d'habitude, quand on parle de syndicalisme, on parle faiblesse syndicale, division syndicale, pluralisme syndical beaucoup trop fort avec lesquels on ne peut rien faire", relève-t-elle. "Là, à l'inverse, on a une intersyndicale forte, qui pousse, qui amène de plus en plus d'adhérents au sein même des courants idéologiques que chacun exploite".
Alors que les réformes des retraites sont traditionnellement à l'origine de désaccords entre les différentes organisations, la volonté gouvernementale de toucher au totem de l'âge légal a eu raison des dissensions syndicales. "Pour une fois, ils ont tous été d'accord sur l'interdiction du report de l'âge, note la juriste. Si la CFDT a longtemps accepté, en 1993 et en 2014 notamment, de faire des compromis, c'est parce que la question du report de l'âge ne se posait pas".
Si la CFDT a longtemps accepté de faire des compromis, c'est parce que la question du report de l'âge ne se posait pas
"Tous les syndicats sont par essence réformistes", assure-t-elle, refusant d'opposer la CFDT, réputée ouverte au dialogue, à la CGT, regardée comme plus radicale : "La semaine dernière, après un 49.3, on a Philippe Martinez, Marie Buisson et Céline Verzeletti qui se disent prêts à accepter d'être reçus par le président, s'exclame-t-elle. C'est-à-dire que l'ouverture au dialogue reste possible alors que depuis deux mois et demi et dix journées de mobilisation, ils demandent la réouverture de négociations".
"Sur un mouvement comme celui-là, on aurait tendance à se dire que les syndicats les plus contestataires vont se remplumer en termes d'adhérents", conçoit Stéphanie Matteudi-Lecocq. "Comme il y a cette intersyndicale qui est forte, et que Laurent Berger (secrétaire général de la CFDT, ndlr) est très médiatisé, fait de longues interviews, je pense qu'ils sont au coude à coude", en termes de nouvelles adhésions. "La CFDT est la première organisation française, la CGT n'est pas très loin derrière", précise-t-elle. Le 22 mars, dans un entretien au Monde, Philippe Martinez, qui achève son mandat à la tête de la seconde, a reconnu que la "rétrogradation" de son syndicat au cours de son mandat au profit de la CFDT rivale était "forcément" un échec.
Du lundi 27 au vendredi 31 mars, la CGT se réunit en congrès à Clermont-Ferrand en vue d'élire le successeur de Philippe Martinez, secrétaire général depuis 2015. Fait inédit, deux femmes se disputent la tête de l'organisation : Marie Buisson, secrétaire générale de la Fédération Education Recherche Culture (Ferc-CGT) et candidate poussée par Philippe Martinez, affrontera Céline Verzeletti, co-responsable de l'Union fédérale des syndicats de l'Etat (UFSE-CGT), réputée plus charismatique mais à laquelle sont reprochées des connivences politiques. Pour la première fois de son histoire, le syndicat créé en 1895 devrait être dirigé par une femme.
Stéphanie Matteudi-Lecocq, Les Syndicats peuvent-ils mourir ?, Editions Rue de Seine, 2022, 19,90 euros
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