Celui que les Inuits surnommaient « L’homme qui parle aux pierres » n’est plus. Le géologue, ethnologue et écrivain Jean Malaurie est mort le 5 février 2024 à l’âge de 101 ans. En 2016, ce grand explorateur racontait sa vie hors norme dans les paradis blancs, au micro de Thierry Lyonnet.
« Ma vie n’a pas été facile […] Mais je suis d’une nature enjouée, très paisible parce que je suis en mission. J’ai un destin : défendre ces peuples », s’exclamait Jean Malaurie en 2016. Ce destin s’est manifesté un peu par hasard, après plusieurs expéditions en Arctique, d’abord en groupe, puis seul. « L’homme est habité par des mythes et moi je suis habité par le mythe de Thulé. J’étais résolu à y aller », affirmait-il.
Thulé, c’est cette contrée lointaine, à l’extrême-nord du Groënland, où vit l’une des communautés les plus primitives au monde. À l’époque où le CNRS veut l’y envoyer en mission, la région est fermée par une décision administrative pour protéger ce peuple isolé. Ce n’est qu’après de nombreuses relances qu’il finit par obtenir les autorisations et qu’il part précipitamment, sans équipement.
Dans ce paradis immaculé, Jean Malaurie fait des rencontres qui bouleverseront sa vie, notamment celle d’un chaman qui le « chamanise ». « J’ai été transformé par cet homme, racontait-il, c’est comme quand vous êtes un maître zen, qui vous apprend qu’il faut faire le vide en vous et écouter les forces qui sont ici et là ». Dès cet instant, l’explorateur est adopté par les Inuits qui le surnomment déjà « l’homme qui parle aux pierres ». Pendant de nombreuses années à leurs côtés, il apprend à les connaître, jusqu’à devenir leur meilleur allié voire l’un d’entre eux.
Allié, il l’a été lorsqu’il a découvert et dévoilé au monde la présence d’une base secrète américaine sur ces terres pourtant interdites d’accès. Allié, il l’a aussi été pour dénoncer la pollution provoquée par la présence d’ogives nucléaires, laissées par les Américains, dans les glaces. « Ils n’ont pas nettoyé les glaces qui sont irradiées et les eaux usées. On découvre que les plafonds s’effondrent et que tout ça va vers la mer. C’est une catastrophe », s’alarmait-il en 2016. L’un de ses derniers combats était de convaincre les Groenlandais de ne pas autoriser les Chinois à exploiter leurs mines d’uranium. « Il faut les aider à résister », martelait-il, tout en faisant référence à son passé de résistant pendant la Seconde guerre mondiale.
Au contact de ces populations primitives, Jean Malaurie dit avoir trouvé « la paix ». « Je suis parti inquiet d’être agnostique, d’être un Français gouverné par des hommes sans honneur […] ils m’ont apaisé », affirmait-il. Une paix intérieure qu'il a également trouvé au travers de l’animisme, autrement dit la croyance en un esprit, une force vitale, qui anime les êtres vivants, les objets mais aussi les éléments naturels, comme les pierres ou le vent, ainsi qu'en des génies protecteurs. « C’est un peuple que la nature rend heureux. Il y a un accord avec cette foi dans la nature. Si on respecte les lois de la nature, il ne vous arrivera rien, la nature vous protège », assurait-il.
Une conviction qu’il a fini par partager et que son expérience de mort imminente, après un infarctus en 1998, a renforcé. Il décrivait alors un couloir noir, puis orangé, au bout duquel il aurait aperçu des Inuits et leurs chiens de traineau. Un chant que lui avaient appris les Inuits, puis un autre, l’auraient alors ramené à la vie.
Nul ne saura dire si c’est également ce qu’il a vécu cette fois. L’ambassadeur du Grand Nord, le défenseur des Inuits s’est tu. Conformément à son souhait, ses cendres devraient être dispersées à Uummannaq, au Groenland. Comme un ultime symbole de sa présence. À moins, qui sait peut-être, que celui qui croyait en la réincarnation revienne « sous la forme d’un papillon », soufflait-il à 97 ans.
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