Assurer une école, un gymnase, une mairie ou un véhicule de fonction n’est plus une simple formalité pour les maires. Les assurances sont de plus en plus frileuses. En cause : les violences urbaines de juin 2023 et les impacts croissants du changement climatique. La faute surtout à un marché de l’assurance atrophié qui n’offre pas d’alternative pour les communes. Plusieurs rapports appellent à changer la donne maintenant pour éviter une crise majeure.
“Les assurances sont nécessaires pour préserver la démocratie” alerte le premier adjoint de la commune de Mont-Saint-Martin en Meurthe-et-Moselle, Patrice Marini. “Sans assurance, on serait dans l’obligation de fermer des écoles, les centres aérés, de supprimer les transports, notre épicerie sociale ne pourrait être livrée si nos véhicules ne sont plus assurés”, liste l’élu avant de prévenir : “nous serions dans une situation de ville morte”.
Pour tirer la sonnette d’alarme, cette commune de 8 300 personnes a d’ailleurs organisé une journée ville morte le 11 juin. Aucun service municipal ne fonctionnait. Au 1er juillet 2024, Mont-Saint-Martin n’aura plus d’assurance. “Nous avions un marché d’assurance depuis trois ans avec Groupama qui nous assurait jusqu’à fin 2024”, explique Patrice Marini. Néanmoins, en juin 2023, les violences urbaines qui éclatent en France suite à la mort de Nahel affectent fortement la petite commune. Neuf bâtiments publics sont touchés, dont la mairie, saccagée, une école, incendiée ou encore un service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) destiné aux enfants autistes, totalement détruit. “Début août, nous recevions un courrier de notre assureur, Groupama, nous informant que nous ne serions plus assurés dès le 1er janvier 2024”, raconte l’édile.
La commune négocie un sursis jusqu’au 1er juillet 2024, mais elle est aujourd’hui dos au mur. “Nous n’avons pas trouvé d’assurance sur trois lots : la protection fonctionnelle [NDLR : la protection des élus], la protection de la flotte automobile ainsi que le patrimoine et les bâtiments communaux”, détaille Patrice Marini. “Personne n’a répondu !”, regrette-t-il.
De l’autre côté du pays, sur l’île de Noirmoutier en Vendée, Patrice Aubernon fait face aux mêmes questions, aux mêmes angoisses. Il est maire de la commune de La Guérinière. Sa compagnie d’assurance ne veut plus travailler avec les collectivités. La commune a donc été obligée de chercher de nouveaux partenaires, mais la protection des bâtiments n’a toujours pas trouvé preneur. “Aucune assurance n’a répondu à l’appel d’offres”, s’alarme l’élu. Il fait appel à un courtier pour trouver d’autres solutions, mais les offres sont bien au-dessus des moyens de la municipalité. “Notre contrat ne passait pas du simple ou double, mais de 11 000 euros à 55 000 euros pour les mêmes garanties”, s’étrangle le maire.
Le phénomène frappe de nombreuses collectivités en France. “Il n’y a pas de zones plus touchées que d’autres, cela concerne des communes dans toute la France” affirme Alain Chrétien, maire de Vesoul. Il a co-dirigé, avec l'ancien président de Groupama, Jean-Yves Dagès, une mission gouvernementale sur l’assurabilité des collectivités. Le rapport est écrit, il doit encore être remis officiellement aux ministres. Il fait suite à un rapport du Sénat sur la même question, rendu en mars dernier. Preuve que le sujet inquiète.
Selon le rapport du sénateur Jean-François Husson (LR), depuis le 1er janvier 2023, 20 % des collectivités interrogées ont vu leur contrat résilié à l'initiative de leur assureur, avec un préavis "d'un à deux mois dans 11 % des cas". Près d'un tiers ont également vu leur contrat faire l'objet d'un avenant, assorti pour 94 % d'entre elles d'une hausse de cotisation. De son côté, le rapport Chrétien/Dagès soutient qu’au moins mille collectivités seraient dos au mur depuis le début de 2024. “C’est un phénomène généralisé qui touche surtout les communes qui ont des services publics à protéger comme des crèches, des écoles ou des gymnases”, confirme Alain Chrétien.
La hausse de la sinistralité due aux catastrophes naturelles est l’explication la plus évidente à cette frilosité nouvelle des assurances pour le public. Selon France Assureurs entre 1989 et 2019, 74 milliards d'euros d'indemnisations ont été versées en France "pour l'ensemble des événements climatiques". Elles pourraient atteindre 143 milliards d'euros entre 2020 et 2050.
Un risque est un bon risque lorsqu’il est partagé dans le temps
Les violences urbaines de juin et juillet 2023 sont venues envenimer une situation déjà complexe. Elles ont coûté 730 millions d’euros au total, 200 millions d’euros si on considère uniquement les dommages sur les biens des collectivités locales. Alain Chrétien préconise donc la création d’un fond émeute, sur le modèle sur régime “CatNat” qui régit les catastrophes naturelles. “Un risque est un bon risque lorsqu’il est partagé dans le temps”, justifie le maire de Vesoul.
En fait, pour éviter des disparités entre collectivités assurées ou pas, les auteurs préconisent de réfléchir à un dispositif de "mutualisation du risque social exceptionnel". Un système reposant sur le même principe de solidarité que celui “CatNat”. Ce fonds serait alimenté par les 45 millions de contrats d'assurance des Français. “Après les émeutes qu’ils ont vécues, s’il fallait que les élus de Nouvelle-Calédonie payent les dommages avec leurs assurances tout le monde ferait faillite”, développe Alain Chrétien. “Heureusement que la Nouvelle-Calédonie fait partie d’un grand ensemble de 70 millions de Français qui permet de noyer ce risque dans un plus gros marché”, poursuit-il.
Néanmoins, la crise de l’assurance pour les collectivités territoriales était en gestation bien avant les émeutes. Avant même les premiers impacts concrets du dérèglement climatique. Le problème principal est que les communes font face à un marché de l’assurance complètement atrophié. Il n’y a plus que deux acteurs à qui s’adresser : Groupama et la Smacl. “Il y a eu une guerre des prix entre 2010 et 2018”, raconte Alain Chrétien. “La gouvernance de la Smacl a voulu casser les prix, mais cette chute des prix a fait fuir les assureurs qui ont vite senti que cette guerre des prix allait leur porter préjudice”, témoigne-t-il. Résultat : il ne reste que deux acteurs. “Ils restent parce qu’ils le veulent bien. Ils font ce qu’ils veulent. S’ils n’ont pas envie de nous répondre, ils ne répondent pas. Ils sont en position de force”.
Les assureurs mettent tout le monde dans le même panier y compris les communes qui n’ont aucune sinistralité importante
Le rapport du Sénat arrive aux mêmes conclusions. Faute d'alternative, les collectivités "sont en pratique forcées de se soumettre en cas de hausse de tarifs ou d'autres modifications contractuelles", affirme-t-il. L’offre est devenue si pauvre que certaines communes, ayant essuyé des refus, doivent se tourner vers l’étranger. Cela donne des situations ubuesques. En Bretagne, la commune de Dinan est aujourd’hui assurée par des Japonais et des Américains.
“Nous avons saisi l’autorité de la concurrence” réagissait en mars dernier le sénateur Jean-François Husson. “Non à l’atrophie, oui à la compétition et à la concurrence”, lance le rapporteur LR pour qui cette ouverture est un prérequis pour régler le problème. Il propose également l’extension des compétences du médiateur de l’assurance afin de garantir une solution aux collectivités. “Le médiateur pourrait être saisi par toutes les collectivités qui ne trouvent pas d’assureur et il s’engagerait à tout mettre en œuvre pour assurer les biens de la collectivité”, explique-t-il.
Des préconisations partagées par Alain Chrétien qui appelle également à retrouver de la flexibilité. “Le plus gênant est que les assureurs mettent tout le monde dans le même panier y compris les communes qui n’ont aucune sinistralité importante”, regrette le maire de Vesoul. Par exemple, le maire de la Guérinière en Vendée assure qu’en trois ans, la commune a seulement réclamé 1 000 euros pour des dommages sur un bâtiment.
“Les collectivités et les assureurs n’arrivent plus à signer des contrats sur mesure” résume Alain Chrétien. “Plutôt que de proposer un contrat standard qui ne conviendrait pas aux collectivités, les assureurs choisissent alors de ne pas répondre”, ajoute-t-il. La faute à un manque de dialogue dans le processus de commande publique. Or, un gymnase en bord d'une rivière sujette aux crues n’a pas besoin de la même assurance qu’une école flambant neuve dotée de la protection incendie dernier cri. “Il faut adapter le contrat et cela nécessite que les assurances reviennent sur le terrain”, prescrit l’édile.
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