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Olivia Maurel née d’une GPA et lutte pour son abolition : “on met au centre d'un contrat, un enfant qui va être acheté et vendu”

RCF, le 9 avril 2024 - Modifié le 9 avril 2024

À l’âge de 30 ans, Olivia Maurel découvre qu’elle est née d’une mère porteuse. Presque paradoxalement, elle lutte, depuis deux ans, pour l’abrogation de la gestation pour autrui. Porte-parole de la déclaration de Casablanca qui demande l’abolition universelle de la GPA par une Convention internationale, Olivia Maurel est aujourd’hui une figure emblématique de la lutte contre la gestation pour autrui. 

©Capture d'écran X - Compte Twitter @CasaDeclaration©Capture d'écran X - Compte Twitter @CasaDeclaration

Selon le site officiel du gouvernement, vie-publique.fr, “la gestation pour autrui (GPA) est le fait pour une femme désignée généralement sous le nom de "mère porteuse", de porter un enfant pour le compte d’un "couple de parents d’intention" à qui il sera remis après sa naissance. C’est une forme d’assistance médicale à la procréation qui consiste en l’implantation dans l’utérus de la mère porteuse d’un embryon issu d’une fécondation in vitro (FIV) ou d’une insémination”.

Il y a un peu plus d’un an, le 3 mars 2023, une centaine d’experts et de chercheurs du monde entier signaient la déclaration de Casablanca qui demandait l’abolition universelle de la GPA par une convention internationale. Légalisée dans plusieurs pays comme le Danemark, les Pays-Bas ou encore la Grèce, la gestation pour autrui reste illégale en France, malgré les débats autour de la loi sur la bioéthique de 2021. 

Porte-parole de la déclaration de Casablanca qui souhaite l’abrogation mondiale de la gestation pour autrui, Olivia Maurel a su qu’elle était née d’une GPA à l’âge de 30 ans. Aujourd’hui, à 32 ans, elle est une figure de la lutte contre la gestation pour autrui dans le monde. 

©Capture d'écran X - Compte Twitter @maurel_olivia

 

Pourquoi est-ce que vous êtes opposé à la GPA aujourd'hui ?

J’ai subi les conséquences de la gestation pour autrui. À la naissance, j'ai quand même été arraché à ma mère, et cela m'a causé des traumatismes plus tard : des traumatismes liés à l'abandon et à l'identité. J'ai sombré dans la drogue, dans l'alcool. J'ai aussi eu beaucoup de soucis mentaux. Ça m'a causé beaucoup de peine et tout n’a pas été simple pour moi. Aujourd'hui, je lutte contre la gestation pour autrui, pas parce que ça m'a causé des soucis à moi personnellement. J’ai conscience qu’il y aura toujours de très belles histoires dans la gestation pour autrui et fort heureusement. Mon histoire est très personnelle. Je lutte contre la gestation pour autrui pour deux raisons : premièrement, parce que ça va complètement à l'encontre des droits des enfants, parce qu'on cache leur identité, on les enlève de leur mère qui leur a donné naissance et en plus de ça, on les commodifie. On met au centre d'un contrat un enfant qui va être acheté, vendu. Pour cela, je suis complètement contre. Deuxième raison : c’est le rapport à la femme. On utilise une femme pour sa capacité reproductive et c'est de l'exploitation.

Comment avez-vous découvert que vous étiez née d'une gestation pour autrui ?

J'ai toujours su à l'intérieur de moi que j'étais née par GPA. Ou du moins que j'étais née de quelque chose d'autre que ma mère et de mon père, parce que j'avais des signaux de la vie. C'était comme ça. Et puis, vers l'âge de 17 ans, j'ai commencé à faire des recherches. C’est à ce moment-là que j'ai commencé à avoir une vraie crise liée à l'identité. J’ai donc fait des recherches moi-même et je suis tombée sur des centres de gestation pour autrui en tapant le nom de la ville dans laquelle je suis née. C'est comme ça que dans ma tête, tout s'est emboîté. J’ai commencé à parler à tout le monde du fait que je suis née par GPA. J'en parlais à mes médecins, à ma belle-famille, à mes amis. Je n'en parlais pas à mes parents parce que j'avais peur de leurs réactions. Ensuite, c'est ma belle-mère, donc la mère de mon mari, qui m'a offert un test ADN. Et c'est là où j'ai eu la preuve tangible du fait que je suis née de gestation pour autrui. C'était lors de mon 30e anniversaire. Aujourd'hui, j'ai 32 ans.

Est-ce que vous aviez ce désir de rencontrer cette femme qui vous a portée pendant neuf mois ?

Oui, j'ai eu ce désir de rencontrer cette femme, pas parce que je cherchais une mère, absolument pas. C'était pas du tout la raison pour laquelle je faisais ces recherches. C'est surtout parce que j'avais des questions qui étaient existentielles, qui étaient essentielles à ma construction. J'avais 30 ans, je n'arrivais pas à me construire. Il me fallait des réponses. Des réponses à des questions telles que : comment s'est passée la grossesse ? Comment s'est passé l'accouchement ? D'où sont mes origines ? Qui suis-je ? Parce qu'en réalité, je ne connais que la moitié de moi-même. L'autre moitié, je ne la connais pas du tout. Je voulais en savoir un peu plus sur mes grands-parents, sur mes arrière-grands-parents, sur ce qu'ils faisaient. Tout ça, c'est essentiel dans la construction d'un enfant et je ne l'ai pas eu. Donc, je n'ai pas pu me construire convenablement ? 

Olivia Maurel, née de GPA, est engagée pour son abolition

Est-ce que c'est votre propre maternité qui vous a poussée à cela ?

Un petit peu, parce que c'est vrai que quand je suis tombée enceinte de ma fille, j'ai commencé à avoir peur. Avoir peur parce que je ne connaissais pas un quart de l'être que j'étais en train de porter. Et ça, ça m'a fait peur. Ça m'a fait peur parce que je ne connaissais pas non plus un quart de ses origines, la moitié de moi-même. Puis, deuxièmement, j'avais peur aussi des maladies, des maladies que je pourrais éventuellement transmettre à mes enfants. Je n'ai pas de dossier médical, je ne sais pas si j'étais porteuse d'une certaine maladie ou d’un cancer, que sais-je. Donc oui, c'est vrai que la maternité m'a poussée à cette quête de l'identité et aussi à l'accouchement aussi. Il faut dire que lorsque j’ai accouché de ma fille, je l'ai mise sur mon torse. C'est la première chose à laquelle j'ai pensé. Je vais lui chanter une comptine en anglais, déjà. Mais la deuxième chose à laquelle j'ai pensé, c'est : mon Dieu, je ne pourrais pas donner cet enfant, même pour un milliard de dollars. Je ne pourrais jamais donner cet enfant et je ne sais pas comment, à un jour dans ma vie, on a pu me faire ça.

Est-ce que savoir que vous étiez née d'une GPA vous a libéré de quelque chose ? Est-ce que d'une certaine manière, c'est comme une thérapie de savoir comment vous avez été conçue ?

Oui, ça a été une thérapie. Ça fait partie du processus de reconstruction, de construction, je dirais même. Parce que je ne me suis jamais construite, vu que j'étais complètement désorientée dans mes racines. Je n'avais pas de racine. Oui, ça a été une thérapie et c'est toujours une thérapie aujourd'hui. Mais ça m'a apporté des réponses à des questions existentielles : mes racines, d'où je viens, qui suis-je ? Et aussi comment s'est passée la grossesse ? Tout ça, c'est ultra-important. On ne s'en rend pas compte, mais c'est essentiel. Ce sont des questions quand on est toute petite. C'est ce qu'on demande : comment j'étais dans le ventre ? Comment c'était l'accouchement ? Est-ce que je peux voir des photos de la naissance ? Est-ce que je peux me voir petite ? Est-ce que je peux me voir dans le ventre de toi, maman ? Ce sont des questions qui composent quand on est petit et ce sont des questions dont je n'avais pas les réponses. Donc oui, ça a marqué le début, en tout cas, de ma construction. Et ça, c'était extraordinaire.

Comment vivez-vous cette dichotomie ? À la fois être très opposée à la GPA et en même temps d'en être née et donc d'une certaine manière aussi d'être, d'exister, grâce à elle ? 

Déjà, si je n'étais pas née de GPA, je ne serais pas là aujourd'hui. La question ne se poserait même pas. On me pose souvent cette question, mais en réalité, c'est très simple. Si je n'étais pas née de GPA, si elle n'existait pas, je ne serais pas là. Tant pis. Je ne serais pas là à répondre à ces questions et je n'aurais pas vécu tout ce que j'ai vécu. Après, on peut être contre le processus qui vous a mis au monde. Il y a malheureusement dans ce monde des enfants qui sont nés de viol, par exemple, mais ils ne vont pas aller remercier le viol parce que le viol, c'est mal. On peut être né d'une pratique et lutter contre cette pratique parce qu'on la trouve fondamentalement mauvaise pour les enfants et pour les femmes. Moi, je ne lutte pas uniquement parce que ça m'a causé des troubles. Je vais me répéter, mais il y a de très belles histoires. Il y aura des enfants très heureux et heureusement, ils sont très légitimes, mais ça ne rend pas la pratique plus éthique. La pratique en elle-même est terrible et abominable.

Vous avez rencontré le pape François jeudi 4 avril, à l'occasion justement de cette conférence internationale pour l'abolition universelle de la GPA qui s'est tenue à Rome les 5 et 6 avril derniers. Quelle a été la nature de vos échanges avec le pape François ? Est-ce que dans votre démarche, il y a peut-être quelque chose de l'engagement presque spirituel ou pas du tout ?

Il n'y a pas du tout d'engagement spirituel. Je lui ai écrit en décembre dernier. C’était juste avant qu'il ne prenne la parole devant le corps diplomatique, le 8 janvier, dans lequel il a répété son désir que la gestation pour autrui soit abolie. Donc, je l'ai vraiment écrit dans sa qualité de chef d'État, pas dans sa qualité de pape. Je suis athée, je suis féministe. Je lui ai répété d'ailleurs dans nos échanges que j'étais athée féministe et que je ne partageais pas du tout certaines valeurs de l'Église. J’ai été très honnête avec lui parce que je pense qu'il faut être honnête dans ces cas-là. Il ne m'a pas du tout jugée, il était très content de me recevoir. Il l’a beaucoup répété. En fait, c'était quelqu'un qui est très au courant de la gestation pour autrui. Il connaît extrêmement bien le sujet. C'est un homme très intelligent qui, à plusieurs reprises, a répété qu'il nous soutenait, la déclaration de Casablanca, qui soutenait cette idée de construire un traité international contre la gestation pour autrui. Il a dit que notre cause était très importante, évidemment. Il a aussi rappelé que c'était un marché, un marché de la femme et de l'enfant. En 2022, c'était quand même un marché de 14 milliards de dollars. En 2032, c’est estimé à 130 milliards de dollars. Donc, il est très au courant. Il m'a aussi dit quelque chose d'assez incroyable parce que ce n'est pas donné à tout chef d'État ou toute personne politique. Il a rappelé le fait scientifique : quand une femme porte un enfant, même si elle n'est pas génétiquement liée à cet enfant, cet enfant va déposer des cellules la souche à l'intérieur du corps de la mère et cette mère va porter une trace de cet enfant pendant les 30 prochaines années après l'accouchement. Ça, il me l'a rappelé et j'étais un petit peu scotché parce que je ne m'attendais pas du tout à ça de la part d’un pape et d’un chef d’Etat. C'était complètement inédit. On a beaucoup rigolé. Il m'a rappelé aussi de garder la bonne humeur malgré ce combat qui va s'avérer très difficile et qui va durer. C'était formidable.

C'est un combat qui ne va pas dans le sens de ce que nous proposent la société, les évolutions techniques, les évolutions scientifiques aujourd'hui. On nous montre de belles histoires de familles qui se sont créées grâce à la GPA. On pourrait s'en réjouir parce que c'est la vie aussi ?  

Quand je vois des témoignages heureux, je suis heureuse pour ces gens. Je pars du principe qu'ils sont légitimes. Encore une fois, c'est magnifique, c'est beau et ils existent et c'est très bien. Et heureusement, parce que l'essence même de la GPA est mauvaise. Donc, s'il émane des belles histoires, tant mieux. Ensuite, c'est vrai qu'aujourd'hui, on voit beaucoup de jeunes enfants sur les plateaux télé, parler de tout ça en France. Je suis un petit peu mal à l'aise parce que moi, 8 ans, 10 ans, 11 ans, 15 ans, 18 ans, même 28 ans, je n'aurais jamais parlé contre mes parents parce que c'est très difficile en tant qu'enfant d'aller à l'encontre de ses parents. Moi, quand j'ai pris la parole, je savais au fond de moi que j'allais briser quelque chose entre mes parents et moi. Et ça s'est brisé. Donc, je savais que ça allait me coûter quelque chose et que ça allait me coûter ma relation avec mes parents. C'est compliqué de mettre un enfant devant le fait accompli et de lui dire : écoute, est-ce que tu es heureux d'être en vie ? Ma foi… C'est vrai qu'aujourd'hui, dans les médias, on voit beaucoup de belles histoires, tant mieux, mais ça ne veut pas dire que la pratique est plus éthique et ça ne veut pas dire qu'il n'existe pas de belles histoires. C'est surtout que les médias aujourd'hui en France, malheureusement, et je n'ai rien contre vous ou contre quiconque, mais on ne met pas des gens à l'opposé. On ne met pas des gens qui sont contre la GPA. On ne montre que des belles histoires.

©Hans Lucas -  Corinne Simon

Vos parents vous ont élevé, vous ont aimé. Vous avez construit avec eux l'histoire de votre vie. C'est compliqué aujourd'hui ? Ils ne comprennent pas votre engagement contre la GPA ? 

Oui, c'est compliqué. Mais c'est compliqué parce que je crois qu'il pense que je les attaque eux. Mais je n'attaque pas mes parents. Je n'attaque pas les personnes qui vont à l'étranger acheter un enfant et reviennent en France. Je n'attaque pas les gens. Je n'ai rien contre mes parents. Je ne les déteste pas, je ne les blâme pas, je ne veux pas les pointer du doigt, je les aime. Je crois qu'il pensait que je les attaquais, alors que ce ne sont pas eux que j'attaque, ce sont les systèmes, c'est la gestation pour autrui, ce sont les États qui autorisent ça, pas eux. Donc, ils ont eu ce côté à se dire : oh mon Dieu, qu'est-ce qu'elle est en train de nous faire ? Alors qu'en réalité, ce n'est pas qu'est-ce qu'elle est en train de nous faire, mais qu'est-ce qu'elle est en train de faire à la GPA ? Aujourd'hui, je pense que, dans le temps, cette relation pourra se reconstruire et je l'espère.

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