Dimanche 9 juin au soir, stupeur de la dissolution. Mais très vite, François Ruffin appelle à la constitution d'un "Nouveau Front Populaire." Il ne faudra ensuite que quelques heures pour que les différents partis de gauche trouvent un accord. Cette union des gauches, et ce nom "Nouveau Front Populaire" renvoie immédiatement à la coalition qui avait permis à Léon Blum de l'emporter en 1936. Mais qu'y a-t-il de commun entre le contexte de création du Front Populaire et celui du Nouveau Front Populaire en 2024 ? On s'est posé cette question dans la matinale avec Édouard Lynch, professeur d'histoire contemporaine à l’université Lumière-Lyon II.
Difficile de ne pas être tenté de faire le parallèle entre l'initiative de François Ruffin lancée dans la précipitation après la dissolution de l'Assemblée nationale et la coalition des gauches de 1936 qui amène Léon Blum à gouverner la France. Mais peut-on vraiment tisser un lien entre ces alliances politiques de gauche, entre ces deux moments de l'histoire ?
La première distinction est que ce n'est pas une dissolution mais une manifestation, celle du 6 février 1934, à l'appel des ligues d'extrême droite nationalistes contre la majorité de centre gauche élue en 1932, qui est le point de départ du Front Populaire. "Il y a des affrontements assez violents avec la police. Cette manifestation visait à empêcher la formation d'un gouvernement, qui aurait été confié à un dirigeant de la gauche modérée." raconte le professeur d'histoire contemporaine Édouard Lynch.
Comme aujourd'hui avec la possibilité d'une cohabitation avec un gouvernement et une majorité du Rassemblement National, c'est la menace de l'extrême droite qui pousse des gauches "irréconciliables" à s'unir. En 1934, la SFIO, parti prônant une idéologie socialiste et le Parti Communiste sont enjoints par la rue à s'unir, alors que se sont "des frères ennemis." La première échéance électorale pour ce Front Populaire, ce sont les élections municipales de 1935.
Édouard Lynch rappelle que ce qui caractérise le Front Populaire "au-delà de l'alliance initiale entre socialistes et communistes, c'est aussi le ralliement des intellectuels et des associations qui vont lutter contre ce qui est perçu comme une menace fasciste." Le professeur d'histoire contemporaine à l'université Lumière-Lyon II nous donne aussi le contexte de l'époque : En 1933 Hitler arrive au pouvoir, Mussolini est au pouvoir en Italie depuis 1924, mais aussi Franco en Espagne qui est en guerre civile contre le "Frente Popular," le front populaire espagnol, qui rassemble les communistes, les socialistes et les anarchistes face à un coup d'état militaire.
Le Nouveau Front Populaire est créé en opposition à la force du Rassemblement National de 2024. En 1936, paradoxalement, les ligues nationalistes fascistes "ne représentaient pas une force politique" selon Édouard Lynch. "Elles n'avaient quasiment aucun représentant au parlement et n'en auront qu'une petite poignée en 1936" au moment de la victoire de Léon Blum.
Mais les fractures en 1936 comme en 2024 sont profondes dans la société. "C'est une société qui a été marquée par la guerre. Il ne faut pas oublier que l'une des raisons de la victoire du Front Populaire c'est la situation économique, la grande crise de 1929, qui en France devient massive à partir de 1932." On ressent cette inquiétude du chômage et de la situation agricole périlleuse dans les mots d'ordre du Front Populaire : Pain, paix, liberté. "On retient aussi que beaucoup des acquis du Front Populaire sont des avancées d'ordre social, la semaine de 40 heures ou les congés payés" précise le professeur d'histoire contemporaine.
Au regard du contexte historique, des différences et des similitudes apparaissent. Mais est-ce que le parallèle entre le Nouveau Front Populaire et le Front populaire est justifié ? Oui pour Édouard Lynch.
On a un certain nombre de points communs : les oppositions bloc à bloc, sans doute aussi une situation sociale difficile. On a tendance à oublier que la montée du vote du RN très forte depuis quelques mois s'explique par la mauvaise ou l'absence de gestion de la crise économique et des difficultés liés à l'inflation.
En revanche, les comparaisons doivent rester mesurées, tout n'est pas identique dans les deux époques. "Il y a aussi des différences, le parti du Rassemblement National est lui enraciné dans la vie politique" ajoute l'historien.
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