Il y a tout juste 10 jours, Emmanuel Macron surprenait tout son monde en annonçant la dissolution de l'Assemblée. Une réaction au score du Rassemblement National. Les électeurs ont exprimé un grand besoin de radicalité. Le paysage politique est, de fait, de plus en plus segmenté. Le concept d' "extrême" est parfois mis en débat : extrême droite, extrême gauche, on parle même d'extrême centre. Comment prendre du recul pour mieux comprendre les termes du discours public ? L'invité de la matinale était Julien Auriach, professeur de philosophie. Avec lui, nous avons interrogé la radicalité politique, et l'opposition entre légalité et légitimité.
À la suite des élections européennes du 9 juin et du score haut du Rassemblement National, le président de la République a dissout l'Assemblée nationale. Les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet en sont la conséquence directe. Mais il existe aussi une autre conséquence, indirecte cette fois-ci : c'est l'accentuation de la tripolarisation de la vie politique.
Afin de prendre du recul sur cette situation, l'invité de la matinale RCF de ce mercredi 19 juin était le professeur de philosophie Julien Auriach. L'objectif de cette conversation était de comprendre la montée des extrêmes, de questionner ce terme d' "extrême" et de comprendre du point de vue philosophique quels peuvent être les débouchés de cette recomposition politique ?
À l'heure où la possibilité d'une victoire du Rassemblement National n'a jamais été aussi crédible, les différents partis de gauche se sont forcés à une union qui va du Parti Socialiste au Nouveau Parti Anticapitaliste. À droite, Les Républicains sont en crise. Une partie des militants veulent demeurer indépendants tandis que d'autres s'allient à leur droite à Jordan Bardella ou à leur gauche à l'actuelle majorité présidentielle.
Une partie de l'opinion s'inquiète de l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir, quand une autre partie assimile le Nouveau Front Populaire à l'extrême gauche. Pour Julien Auriach, "un extrême, c'est un écart intolérable à la norme. Autour de cette norme, il y a un halo, ce qui est acceptable, et puis il y a les extrêmes, c'est ce qui dépasse le halo. C'est un concept qui permet de se définir par rapport à la norme."
Selon le professeur de philosophie, cette stratégie politique provient donc du camp présidentiel qui veut définir les autres partis par rapport à lui-même. "Ça a commencé par le Rassemblement National dès 2017 où Emmanuel Macron a joué la carte de la modération. Petit à petit, la rhétorique est passée de l'extrême aux extrêmes, au pluriel, puisque le président et sa majorité ont importé ce concept pour parler aussi de la gauche de la gauche, c'est-à-dire La France Insoumise. Ça permet à chaque fois de présenter ces formations politiques comme passionnées et non raisonnées et surtout de les qualifier par rapport à soi."
Pour autant, cette stratégie de positionnement et de tripolarisation en trois blocs distincts a ses limites, comme l'a exposé l'historien engagé à gauche Pierre Serna, auteur de L'extrême-centre ou le poison français en 2019. Il renvoie la balle de l'extrémisation du débat au centre. Julien Auriach résume la pensée de Pierre Serna ainsi : "Emmanuel Macron fait le vide autour de lui, au centre, et se présente comme la seule alternative crédible, c'est une vieille stratégie qui date des tout débuts de la République française, dans la décennie 1789-1799."
Dès lors que le débat est hystérisé et que chaque camp politique s'oppose. Impossible de faire société. "Il y a une sorte de jeu de Poule, Renard, Vipère entre l'extrême droite, l'extrême centre et l'extrême gauche" décrit Julien Auriach. Dans ce jeu, la radicalité progresse.
C'est en politique assez souvent lié à la question de la violence. On va remettre en question un ordre ou un désordre établi. Ce qui est légal n'est pas nécessairement légitime et par conséquent on peut contester une loi quand on a en tête un impératif moral. Aujourd'hui on a des impératifs moraux de types socio-économiques, écologiques ou géopolitiques. Par exemple, le mouvement des gilets jaunes, Notre-Dame des Landes, ou certaines revendications sur la paix à Gaza
C'est dans ce cas que s'oppose légitimité et légalité : On croit qu'au-delà du droit légal, il y a quelque chose d'autre plus important : un droit qui serait lié à la morale ou à la religion. Il y a une forme de désobéissance jugée alors légitime. Julien Auriach prend l'exemple du général De Gaulle : "Il est considéré comme terroriste par le régime de Vichy au moment de son appel du 18 juin. Et puis l'histoire le juge ensuite comme le sauveur."
La question est donc pour le professeur de philosophie de savoir "à partir de quand le désordre que je vais mettre pour lutter contre une loi injuste est supérieur au bien que je pourrai espérer en tirer en changeant la législation ?" Pour lui, "c'est une question de proportionnalité. Le danger est qu'à force de s'habituer à enfreindre la loi, on peut quelque part donner cet exemple-là : en fait, la loi, c'est pas si important que ça, et c'est une habitude qui est dangereuse, si chacun s'habitue à pouvoir violer la loi dès lors qu'il la juge illégitime, ça pose problème."
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