Pourquoi 80% de nos rêves sont-ils des cauchemars ? Pourquoi y a-t-il tant d'insomniaques parmi les personnes âgées ? D'où vient la phobie des serpents ? Le psychiatre Patrick Lemoine développe une thèse originale et s'appuie sur une approche darwinienne et évolutionniste. Pour lui, en santé mentale, les symptômes ont leur utilité.
Psychiatre spécialiste du sommeil, docteur en neurosciences, Patrick Lemoine développe une approche évolutionniste, darwinienne, de la psychiatrie. Dans son livre "À quoi servent les symptômes ?" (éd. Odile Jacob, 2024), il montre que, dans le domaine de la santé mentale, certains symptômes peuvent avoir leur utilité. Ainsi des phobies, TOC, insomnie ou cauchemars. Son approche originale permet d’aborder avec un peu de recul des troubles difficiles à supporter au quotidien.
On connaît les théories développées par Charles Darwin (1809-1882) sur l’évolution des espèces et la sélection naturelle. Théorie selon laquelle les espèces se sont adaptées à leur environnement pour survivre ou se sont éteintes faute de pouvoir le faire.
Or, de toutes les espèces, celle des humains fait partie des "plus adaptables", selon Patrick Lemoine. Elle a une "capacité à développer de nouveaux traits, de nouvelles fonctions qui vont lui permette de s’adapter au monde environnant".
Et s’il était possible de développer une approche darwinienne de la psychiatrie ? Peut-on dire qu’en santé mentale "tout a une fonction" et que "tout a un but" ? C’est en tout cas l’hypothèse que formule Patrick Lemoine, psychiatre spécialiste de l’insomnie. Si pénible soit-il, un symptôme "répandu dans l’humanité entière" doit probablement servir à quelque chose…
En psychiatrie, le symptôme est une réponse à une situation donnée. La tristesse, l’insomnie, les phobies, les TOC, les cauchemars sont vus comme des moyens de défense. "La bonne santé, selon le psychiatre, c’est être capable de se servir de toutes les défenses au moment approprié."
Mais si un trouble anxieux, un état maniaque ou encore une névrose obsessionnelle se manifestent continuellement, quel que soit le contexte, on pourra alors parler de maladie. Par exemple, le fait d’être "tout le temps déprimé est le signe d’un état dépressif", explique Patrick Lemoine.
Presque toutes les phobies actuelles... sont des restes qui nous ont permis de survivre à l’époque des cavernes
Pourquoi certains troubles qui se sont développés dans notre espèce et continuent à se manifester malgré les désavantages qu'ils entraînent ? C’est la question que pose Patrick Lemoine. Pour y répondre, il s’inscrit dans le temps long de l’humanité. Il nous rappelle que "nos ancêtres dans la savane" évoluaient dans "un monde difficile". L’espèce humaine a eu tout intérêt pour survivre à se transmettre la phobie des serpents et des araignées, car ce sont des animaux venimeux.
La phobie des chiens serait donc un "reliquat de la phobie des loups", selon le psychiatre. Celle des chats, un reste de notre méfiance envers les tigres ou les lions. "On pourrait décliner presque toutes les phobies actuelles comme des choses qui sont devenues sans beaucoup d’intérêt, mais qui sont des restes qui nous ont permis de survivre à l’époque des cavernes."
"Dans une tribu, l’insomnie permettait aux plus âgés qui ne pouvaient plus travailler dans la journée à être des sentinelles en cas d’attaque." Aujourd’hui encore, les personnes insomniaques sont majoritairement des personnes âgées, celles à qui le psychiatre prescrit le plus de somnifères. "J’ai pris l’habitude, confie-t-il, de de dire à mes patients âgés et insomniaques : Au moins, ça prouve votre bon cœur puisque vous veillez sur votre clan !"
Et parmi les désagréments qui peuvent nous réveillent la nuit, les cauchemars, qui représentent 80% de nos rêves. Pourquoi fait-on autant de cauchemars ? "C’est une façon d’élaborer des scénarios pour parer à toutes les situations, répond le psychiatre. Au cours de ces cauchemars, nous essayons d’élaborer des manières de trouver une bonne fin, de s’en sortir." Pour le spécialiste, le cauchemar est "absolument indispensable" à notre bonne santé mentale.
Il y a dans notre société actuelle un rejet de la tristesse que déplore Patrick Lemoine. "Une espèce de répression de la tristesse, qui est à mon avis assez difficile, pénible, pour les personnes qui ont envie d’être un peu tristes."
La tristesse peut parfois être nécessaire, tout comme on peut avoir besoin de prendre son temps, de réfléchir, voire de "ruminer". Pour le psychiatre, si cela s’apparente à une dépression, c’est aussi "une façon de grandir de s’améliorer". Il rappelle que le recours aux médicaments lorsqu’on est triste peut favoriser la dépression.
La dépression qui est "un état de ralentissement et de tristesse et surtout une incapacité à se projeter dans l’avenir", précise Patrick Lemoine. À ses patients qu'il accompagne, il n'hésite pas à dire : "Certes c’est très pénible mais une chose que je vous garantis, c’est que quand vous serez guéri vous serez meilleur qu’avant. La dépression peut être vraiment un progrès !"
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