Parents : quelles relations avec ses enfants devenus adultes ?

Reste-t-on parent à vie ? Tout dépend de ce qu’on entend par "parent" . Pour Emmanuel Ballet, il convient de distinguer ce terme avec la fonction parentale : "Celle-ci consiste à pourvoir aux besoins de l’enfant, de le protéger, lui permettre de grandir et elle est à durée déterminée, amenée à se réduire dans le temps. Mais le lien de filiation, lui, perdure, on reste toute sa vie le parent de et l’enfant de. Et l’amour reste évidemment au cœur de ce lien." Une notion que complète Elisabeth Marcenac en différenciant couple sexué et couple parental. "On le voit bien en cas de séparation des conjoints." explique la psycho gérontologue "Papa et maman se séparent, mais restent les parents de l’enfant."

Mais quand fixer cette fin de fonction parentale ? "Elle se termine vers 28 ans, à l’âge de maturité du cerveau, ce qui correspond en psychologie à ce qu’on appelle l’adulte en émergence." précise Emmanuel Ballet. "Mais si autrefois, on rentrait plus vite dans la vie active et on faisait plus d’études ce soutien parental peut se prolonger pour des raisons financières ou liées au logement." A rappeler aussi que depuis sa naissance, l’enfant suit un processus naturel de détachement et d’individuation, notamment dès deux ans, en s’opposant déjà à ses parents, jusqu’à l’adolescence, étape d’autonomie ... parfois virulente !

Des parents encore trop présents

Pourtant, pourquoi certains parents ont-ils du mal à se mettre en retrait ? D’abord par une perte de repères : "On investit tellement dans les compétences et l’affectivité que cette fonction parentale devient une identité." estime le psycho praticien. "Et lorsque l’enfant part, il va falloir l’abandonner et diriger ses compétences vers autre chose." Un peu comme à la retraite quand on quitte son statut d’actif. 

Comment expliquer aussi cette inquiétude persistante concernant la santé, la vie sentimentale ou professionnelle de sa progéniture ? Réponse du thérapeute : "Cette anxiété nous ramène à notre propre vécu, de vouloir, à travers cet enfant extérieur réparer notre enfant intérieur. Il vaut donc mieux se taire et pratiquer l'écologie relationnelle : si mon enfant ne me fait pas de demandes, je n’ai pas à lui donner de conseils ou lui faire de remarques."

Des enfants débiteurs ? 

Autre motif de friction : le sentiment d’ingratitude. "On les a élevés, nourris, soignés, on s’est sacrifié parfois financièrement. Et une fois partis de la maison, c’est comme si on existait plus !", entend-on se plaindre. Nos enfants nous doivent-ils donc quelque chose ? "La dette est au cœur des liens humains." reconnait Emmanuel Ballet. "Mais ce qu’on commence à comprendre, c’est que l’enfant n’est plus considéré comme un sujet passif, en attente de recevoir une réponse à ses besoins. En fait, c’est un acteur à part entière qui donne aussi. La plupart des parents reconnaissent à quel point leurs enfant ont transformé leur personnalité. Ils apportent énormément au fonctionnement familial et la dette s’équilibre quand le parent se rend compte de tout ce qu’il a reçu de son enfant."

Reste que le sentiment d’abandon peut être dur à vivre. C’est le cas de Françoise : "Autant quand mes enfants sont partis pour faire leurs études à droite à gauche, ça ne m’a jamais posé de problèmes. Mais depuis que mon mari est décédé, mon frère et mon beau-frère aussi, je me retrouve avec des enfants qui, pour certains, ne m’appellent pas, on ne se voit qu’au Nouvel An ou trois fois dans l’année pour des anniversaires et je ne peux pas toujours y aller." témoigne-t- elle au bord des larmes. Une situation qu’analyse Elisabeth Marcenac : "Françoise a subi de nombreux deuils. Mais est-ce aux enfants de combler aujourd’hui ce vide émotionnel, de tout réparer ?" Et Emmanuel Ballet d'ajouter : "L’isolement est une souffrance qu’il faut éviter quand on est âgé. Mais c’est aussi l’occasion d’inventer de nouvelles formes de solidarité, en dehors de nos enfants, avec d’autres personnes âgées ou d’autres configurations."

Quand les enfants deviennent parents

Se rend-on mieux compte du lien avec ses parents une fois que l’on devient soi-même parent ? Pour l'auteur de Vos enfants ne sont plus vos enfants " C’est une étape qui peut être source de grandes tensions. Car la naissance d’un enfant peut nous faire revivre notre propre enfance et ne pas vouloir reproduire ce qu’on a pu subir." Mais cette étape peut être aussi bénéfique : "C’est là toute l’importance de la place de grands parents, de lâcher la fonction parentale et de créer une nouvelle et bonne transition avec ses enfants à l’âge adulte. Même si grands parents ne veut pas dire « nounous » ! précise-t-il avec un sourire. 

Que dire enfin quand les rôles s’inversent, que les enfants deviennent les parents de leurs propres parents, suite à une dépendance physique ou mentale ? "C’est un cheminement." considère la psycho gérontologue. "Il faut d’abord que l’enfant se reconnaisse d’abord comme un aidant (et aimant !) et ensuite que chacun retrouve son rôle et sa place." Une fonction souvent dévolue dans une fratrie à une femme restée seule, qui n’habite pas trop loin de ses parents et qui va se "sacrifier". 

L’heure aussi des règlements de compte ? Ça peut être le cas, l’enfant se sentir tout- puissant et vouloir se venger. "Mais on peut ne pas s’être senti aimé et pour autant être toujours là, comme si on attendait un premier "je t’aime" déclare Elisabeth Marcenac. "Et c’est le cœur de cette relation parent enfant qui va se rejouer." Et rattraper, on peut l'espérer, le temps perdu …

Pour aller plus loin :

"Vos enfants ne sont plus vos enfants" de Marie-France et Emmanuel Ballet de Coquereaumont, psycho praticiens et concepteurs de la thérapie de l'enfant intérieur. Des clés pour apprendre à devenir un ex-parent et fonder de nouvelles alliances dans la famille, illustré par des cas pratiques en consultation. Editions Eyrolles - 2025

France Alzheimer : soutiens, formation aidant, groupes de paroles. Pour trouver une association près de chez vous : https://www.francealzheimer.org/