À 80 ans, Perla Servan-Schreiber savoure la joie de bien vieillir. Elle offre un témoignage à contre-courant d'une image négative de la vieillesse. Cofondatrice de Psychologies Magazine, elle se confie sur son enfance, son "obsession de la liberté", ses rituels, la façon qu'elle a de prendre soin de son "âme" et de servir les autres.
Dans son salon parisien, tout est blanc du sol au plafond. Elle-même est toute vêtue de blanc, elle ne cache pas non plus ses cheveux blancs, elle qui assume pleinement son âge. À 80 ans, Perla Servan-Schreiber savoure la joie de bien vieillir.
Ce mercredi 29 mai est paru le premier numéro d’un tout nouveau magazine intitulé Vieux. De quoi réjouir Perla Servan-Schreiber, elle qui déclare "aimer ce mot". « J’aimerais tellement le faire aimer ! Et que pour une fois on appelle les choses par leur nom. Vous vous rendez compte, ne pas nommer quelque chose du vrai nom ? C’est quand même ne pas le reconnaître et c’est le vivre mal. Donc je suis militante du mot "vieux" et "vieille". »
La vieillesse - ainsi que la gastronomie - sont des sujets auxquels Perla Servan-Schreiber a consacré plusieurs essais. "78 ans. Vieillir et Vivre" (2022), "Mes 20 soupes pour réchauffer le corps et l’âme" (2023), "Tout chocolat" (2023)... Des livres de cuisine ou des conseils pour bien vieillir - ou bien vivre, puisqu’au fond c’est la même chose ! C’est un peu ce qu’elle dit au fond dans son dernier ouvrage, "Intimités - Au fil des jours" (éd. La Martinière, 2024).
À 80 ans, Perla Servan-Schreiber se confie sur l’art d’être heureux en prenant de l’âge. Pour elle, "le cadeau de la vieillesse c’est la liberté". Difficile à croire dans une société où vieillir est le plus souvent perçu comme un déclin, une dépendance. "Je ne parle que de personnes qui vieillissent en bonne santé", explique-t-elle.
"Acceptation, adaptation, renoncement". Ce sont trois mots clés pour arriver à bien vieillir. Après avoir travaillé pour Elle et Marie Claire, Perla Servan-Schreiber a fondé Psychologies Magazine en 1998 avec son mari Jean-Louis Servan-Schreiber. Un magazine de développement personnel, dont on a souvent critiqué le caractère nombriliste. Pourtant, Perla Servan-Schreiber ne cesse de dire combien il est essentiel de prendre soin des autres pour être heureux soi-même. "Il y a dans le fait de prendre soin des autres une sorte de bénéfice personnel, de joie."
Perla Servan-Schreiber, qui a grandi au Maroc, est issue d’une ancienne famille juive et d’une longue lignée de rabbins, les Danan, installés à Fez depuis le XVe siècle, cette époque où les rois catholiques ont chassé les Juifs d’Espagne. Éduquée dans une famille stricte, elle est allée chercher chez ses grands-parents la liberté qui lui a tant manqué étant enfant. "J’ai vécu jeune avec des personnes âgées, j’ai adoré !" Puis, elle est partie en France étudier le droit et travailler dans la publicité et la presse féminine.
"La liberté a toujours été une obsession dans ma vie depuis l’âge de 14 ans." Comme elle le dit, chaque enfance est faite "de bons côtés et de côtés plus difficiles à vivre". Perla Servan-Schreiber considère comme "une chance" d’avoir "une culture orientale, d’avoir vécu dans un pays, dans un quartier, dans une ville de structure féodale où les gens naissaient, mourraient à la maison... Les corbillards passaient, ça faisait partie de la vie tout comme les cortèges de voitures de mariages. La mort était totalement intégrée à la vie et c’est je crois que c’est ça, la chance que j’ai eue, de l’avoir vue intégrée à la vie."
Perla Servan-Schreiber a traversé l’épreuve de la maladie - elle raconte avoir eu "comme une femme sur cinq" un cancer du sein. Elle a aussi vécu en 2020 la mort de son mari. Elle ne croit pas qu’il ait un sens à la vie. Mais il y a la lecture, la méditation, faire à manger, servir, marcher… Et tout ce qui nourrit "l’âme".
Dans la vie de Perla Servan-Schreiber, il y a un certain nombre de rituels. "Ceux qui rythme ma vie aujourd’hui c’est tout simplement une méditation de dix minutes le matin, qui n’a aucun caractère religieux, ni confessionnel. Démarrer la journée avec un esprit libre et une attention particulière qui me permet dans la journée de garder cette attention aux autres qui est fondamentale dans ma vie."
Elle a aussi une amie qui lui organise tous les trois, quatre mois des "magic lunch". "Elle repère six personnes dont elle pense qu’ils sont suffisamment intéressants pour me les présenter et elle débarque avec six personnes dont je connais tout juste le nom et nous déjeunons à huit personnes et j’ai ce cadeau merveilleux de rencontrer six personnes de milieux et d’âge différents." Pour l’octogénaire, c’est "un moment tout neuf, extraordinairement stimulant !"
Moi je me suis toujours définie, transformée, évoluée, avancée, en étant femme jusqu’au bout des ongles
Ses années lycée au Maroc, Perla Servan-Schreiber s’en souvient comme "une bouffée de joie et de liberté". C’était aussi l’époque de la guerre d’Algérie, celle où elle s’est "initiée à l’intérêt de la politique que je garde très vif encore aujourd’hui". Et où elle lisait Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre… Avec son groupe d’amis, dont elle était la seule fille, elle a connu "un éveil extraordinaire à des paroles de liberté".
C’est avec la même liberté qu’aujourd’hui elle parle du féminisme. "La féminité est une pièce manquante au combat des femmes d’aujourd’hui, déclare-t-elle. Je trouve que c’est une immense chance d’être femme, je n’ai jamais envié le sort des hommes, je n’ai jamais pris pour modèle un homme." Et elle n’a pas eu peur de "servir" son mari, comme elle aime servir les gens qu’elle reçoit et pour qui elle aime cuisiner.
C’est pour elle "une erreur profonde" de "vouloir effacer les traces du féminin". "Moi je me suis toujours définie, transformée, évoluée, avancée, en étant femme jusqu’au bout des ongles. C’est quelque chose qui m’importe énormément, que j’aime." Perla Servan-Schreiber regrette que la relation entre les hommes et les femmes soit "devenue compliquée", d’après ce qu’en disent ses petits-enfants. Même si le mouvement #Metoo "a heureusement libéré la parole des femmes… mais on commence à bégayer dans ce domaine-là."
Pour comprendre Perla Servan-Schreiber, il faut revenir à sa quête incessante de liberté - "une obsession", ce pourquoi elle a fait le choix de ne pas avoir d’enfant (ses petits-enfants sont ceux de Jean-Louis). Quand elle s’est mariée à 43 ans, elle s’est "sentie libre". Ce qui signifie pour elle : "juste être la personne que je suis". Certes, ce n’est pas facile. Perla Servan-Schreiber a le goût du travail. Tout se travaille d’ailleurs.
"Bien vieillir, dit-elle, est un vrai travail, aimer aussi. La vie n’a pas de sens, je n’essaie pas de lui en trouver un. Ce que j’ai à faire sur terre n’est pas ce qui donne un sens. En tant qu’être vivant ce que je me dois de faire c’est de vivre le mieux possible et de permettre à ceux qui m’entourent de vivre le mieux possible."
Ce qu’elle aimerait transmettre à ses petits-enfants ? "La joie de vivre, incontestablement, le goût du travail certainement mais la joie de vivre d’abord." À ses petites-filles en particulier, elle leur dit : "Soyez libres, indépendantes financièrement, et libres !"
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !