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Féminisme et maternité : penser l'enfantement pour sortir du patriarcat

RCF, le 28 décembre 2022 - Modifié le 17 juillet 2023
Où va la vie ? La bioéthique en podcastLes nouvelles manières d'enfanter (2/3) Penser l'enfantement

Qu'est-ce que l'enfantement ? Quel sens donner à cette expérience qui bouleverse la vie des femmes ? D'un point de vue féministe, enfanter peut-il être synonyme d'épanouissement ? Alors que les rôles de père et de mère s'inventent et se réinventent, la période est propice pour sortir des rapports de domination entre homme et femme qui se jouaient autour de l'enfant.

Nous sommes à une époque de recomposition des rôles : "C’est l’occasion de redécouvrir à la fois le rapport à l’enfant et le rapport de couple" ©UnsplashNous sommes à une époque de recomposition des rôles : "C’est l’occasion de redécouvrir à la fois le rapport à l’enfant et le rapport de couple" ©Unsplash

Si la maternité est perçue différemment par les femmes, depuis une dizaine d’années, pour les pères aussi, les choses changent. "Les femmes réinvestissent, se réapproprient aujourd’hui leur maternité, peut-être plus que leurs mères, et cela induit un changement chez les hommes", observe Clarisse Picard. Philosophe, spécialiste des philosophies de l’enfantement et de la naissance, elle est l’auteure de "Philosophie de l’enfantement - Cinq méditations" (éd. Classique Garnier, 2022).

 

 


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Le congé paternité a certes été allongé, mais encore faut-il que les pères "sachent exactement comment s’y prendre et ce que l’on attend d’eux !" Journaliste à La Croix, Emmanuelle Lucas est l’auteure d’une enquête "Discours féministe, éco-anxiété, bien-être… Quand l’époque bouscule la maternité". Pour elle, les jeunes pères partent de zéro car "il n’y a pas de modèle". Ainsi, une nouvelle figure de père est-elle en train d’émerger, une figure qui reste à inventer.

 

 

L'enfantement n’a jamais pu être pensé pour lui-même

 

 

Enfantement, féminisme et patriarcat

 

C’est aussi l’enfantement qu’il nous faut penser. Pendant longtemps, rappelle Clarisse Picard, "les femmes étaient soumises à la reproduction de l’espèce, elles n’avaient pas le choix, les choses allaient de soi, on ne les interrogeait pas, donc on ne les pensait pas". Dans les années 60, 70, le mouvement féministe a permis, selon la philosophe, de "mettre en valeur le fait que la domination des femmes par les hommes trouvait son fondement dans l’expérience de l’enfantement", vu comme le signe ultime du patriarcat. Si donc le féminisme a permis de penser la condition des femmes, il n’a pas osé s’aventurer jusqu’à concevoir l’enfantement autrement que comme un asservissement.

 

 


→ À LIRE : Lucetta Scaraffia, "la faute du féminisme a été de nier la maternité"


 

 

Ainsi, notre société actuelle n’a pas de discours sur la maternité. Comme l’a écrit Julia Kristeva : "La sécularisation est la seule civilisation qui n’a pas de discours sur la maternité" (dans "Cet incroyable de besoin de croire", éd. Bayard, 2007). Les discours religieux sur la maternité font-ils encore sens aujourd’hui ? Même au sein de l’Église catholique le sujet est clivant - on se souvient des débats soulevés par l’encyclique de Paul VI, Humanae Vitae en 1968. Comme le dit Bruno Saintôt, "l’encyclique Humanae Vitae est un véritable traumatique parmi les catholiques".

 

Par conséquent, nous sommes aujourd’hui devant une situation paradoxale où on n’a jamais eu autant d’informations et de connaissances scientifiques sur la maternité. Mais où, d’un point de vue philosophique, "l’enfantement n’a jamais pu être pensé pour lui-même". "La philosophie n’a jamais parlé de l’expérience concrète des femmes de donner naissance à un enfant, constate Clarisse Picard, les femmes d’aujourd’hui manquent de repères pour penser le sens de l’enfantement, le sens de leur expérience pour elles et dans une perspective féministe." 

 

 

C’est à partir de l’expérience de l’enfantement que peuvent s’opérer des transformations profondes dans la société

 

 

Hommes-femmes : sortir des relations de pouvoir autour de l’enfant

 

Aujourd’hui, les féministes commencent à s’intéresser à la question de la maternité : peut-elle être une source d’épanouissement ? Clarisse Picard plaide pour un féminisme qui "valorise la maternité sans l’idéaliser". Pour elle, tout l’enjeu est de parvenir aujourd’hui à concevoir l’enfantement à la fois comme une expérience "émancipatrice pour les femmes" et à la fois comme "une expérience anthropologique majeure pour notre civilisation". Pour elle, "c’est à partir de l’expérience de l’enfantement que peuvent s’opérer des transformations profondes dans la société".

 

La période actuelle semble être propice à une recomposition des rôles. Alors que les parents n’ont plus d’autre choix que d’inventer le leur, et si on partait de ce qui se joue intimement chez une femme qui enfante ? "Une femme qui accouche est dans un état de très grande fragilité émotionnelle et affective, expose Clarisse Picard, elle est remise en contact avec ce tréfonds de notre humanité, à la fois primitif et archaïque. Elle est reconnectée à ce qu’il y a de plus sensoriel, de plus affectif dans nos émotions. À la fois c’est ce qu’il la rend disponible et attentive au besoin de son enfant mais ce qui s’opère chez elle est une profonde transformation psychologique."

 

L’enfantement est une manière d’advenir à soi "par l’autre que l’on met au monde qui vient de soi", analyse le Père Bruno Saintôt, directeur du département d’éthique biomédical au Centre Sèvres - Facultés jésuites de Paris. Il y a là comme une expérience "initiatique". Plus largement, l’enfantement nous enseigne la place de l’autre dans nos vies : l’autre qui nous aide à parvenir à ce que nous sommes au plus profond de nous. Ce faisant, l’enfantement ne transforme pas seulement la mère, mais aussi le père. Et si on le considère comme "une expérience paradigmatique", il peut transformer notre tissu social.

 

L'apport du christianisme pour aujourd'hui

 

Ainsi, en proposant une nouvelle vision de l’enfantement, notre société pourrait sortir des rapports de domination des femmes par les hommes. Françoise Héritier a en effet montré comment les hommes ont tenté de contrôler ce "privilège" qu’ont les femmes d’enfanter, un rapport de domination qui n’est autre que le patriarcat. Or, nous sommes à une époque de recomposition des rôles : "C’est l’occasion de redécouvrir à la fois le rapport à l’enfant et le rapport de couple", considère Bruno Saintôt.

 

Justement, "le christianisme a des choses à dire sur le lien". Pour lui, "l’originalité profonde" de la pensée chrétienne est "de ne pas définir le couple à partir de l’enfant". Là où un lien de domination entre hommes et femmes s’est joué autour de l’enfant, le christianisme rappelle que "ce n’est pas l’enfant qui fait le lien, c’est l’alliance entre les conjoints". Ce que Bruno Saintôt enseigne aux couples qu’il prépare au mariage.

 

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