Sidération, perte des repères, prise de conscience, acceptation : ainsi les spécialistes décrivent-ils les différentes étapes du deuil. Pourtant, la douleur éprouvée après la mort d’un proche ressemble plus à une multitude de sentiments entremêlés, qui surgissent et reviennent, comme la colère, la tristesse, le sentiment dépressif et même la culpabilité. Peut-on vraiment parler d'étapes pour le décrire le deuil ?
Selon Christine Pedotti, auteure de "L'inconsolée" (éd. Albin Michel, 2022), parler "d'étapes du deuil" peu paraître un peu "artificiel". "Toute expérience est unique et personnelle, je ne suis pas sûre que ces étapes se succèdent, je ne suis pas sûre qu’on éprouve les sentiments les uns à la suite des autres dans un ordre." Pour la journaliste, "l’itinéraire de deuil, c’est des pas en avant, des pas en arrière, des pas de côté… On ne peut pas dire j’en suis là et je ne reculerai plus !"
Malgré cela, il y a "une grande étape", celle de la première année. « Tous les manuels de deuil ont raison de dire que le plus dur c’est la première année, l’année de tous les "plus jamais" : plus jamais nous ne partirons en vacances ensemble, plus jamais nous ne verrons les feuilles tomber ensemble, nous ne célébrerons Noël ensemble… » Dans notre société, on a un peu perdu ce "savoir-faire" autour du deuil, regrette Christine Pedotti. Qui connaît l'expression "messe de bout de l’an" pour désigner la cérémonie organisée un an après le décès d'un proche ?
Dans le processus de deuil, on parle de l'étape finale d'acceptation : mais peut-on accepter la mort de quelqu’un qu’on aimait ? "Je ne sais pas si c’est acceptable, confie la journaliste et écrivaine, je reste dans le sentiment puissant que la mort est inacceptable, c’est aussi pour ça que je reste vivante, être vivant c’est ne rien accorder à la mort, ne rien lui céder !"
En revanche, on peut "petit à petit, et même finalement très vite", retrouver "des joies infimes mais des vraies joies", selon Christine Pedotti. Il lui a fallu plus de deux ans pour passer du "souvenir" - qu’elle décrit comme "quelque chose de très douloureux et acéré" - à "la mémoire", qui est "un lieu très doux, très tendre, très ensoleillé..."
Après la mort d’un proche, on est traversé par tout un tas de sentiments puissants. "De la colère, de la tristesse, un sentiment dépressif…" Et aussi "de la culpabilité", témoigne Christine Pedotti. Dans son livre, elle raconte le deuil qu'elle a vécu après la mort de son mari Claude, survenue après presque 40 ans de vie commune. Il a été victime en 2019 de la mort subite de l’adulte. "Un beau matin d’avril, il a dit : il fait un temps magnifique, je vais faire le tour du jardin. Je lui ai proposé de faire un petit café et de le prendre tous les deux. Quand je suis descendue, je l’ai trouvé, je pense qu’il était déjà mort."
À priori, rien ne pouvait justifier le sentiment de culpabilité qu’a ressenti son épouse. Pourtant, "ça vous tombe dessus", décrit Christine Pedotti. "La culpabilité ne trouve pas d’accroche dans la réalité mais j’ai découvert qu’il y avait une culpabilité symbolique qu’il fallait affronter." Pourquoi cette culpabilité ? Après la mort, on est parfois atteint du syndrome du survivant. "Pourquoi il est mort et que pour moi ma vie continue ? Pourquoi moi je suis vivante ? C’est quelque chose d’incompréhensible. Sans doute est-ce qui m’a le plus atteint", confie Christine Pedotti.
À travers le syndrome du survivant la personne endeuillée ressent "le caractère absolument inatteignable de la mort", explique la journaliste. "Le deuil, c’est le manque, la disparition, le chagrin : et aussi la violence des situations qui sépare de façon absolument radicale." Le mythe d’Orphée et Eurydice dit bien cette "incommunication entre les vivants et les morts".
Aujourd'hui, rares sont les personnes qui s'habillent entièrement de noir pour "porter le deuil", selon l'expression consacrée. "Il faut le regretter", estime Christine Pedotti. "J’avais besoin qu’on soit précautionneux avec moi, j’étais dans une situation d’extrême fragilité. Je suis plutôt une fille puissante, une fille forte, mais là, je me sentais comme une porcelaine fine que toute chose allait fracasser." Selon l'auteure de "L'inconsolée", porter le deuil incite les autres à avoir plus de "précaution". Finalement, le deuil, "on est priés de ne pas le montrer", selon Christine Pedotti. "On ne veut plus voir les gens en deuil, on estime que la courtoisie des gens est de ne pas le montrer... Si j’avais été en grand deuil, on aurait été précautionneux."
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