Pour les jeunes des générations Y ou Z, le terme "boomer" est souvent employé de façon péjorative. Il désigne une génération qui a jouit de la prospérité économique et du plein emploi sans se soucier de l'écologie. Une perception qui entraîne à certains égards un conflit de génération. Quelle a été la vie des boomers ? Quels changements sociétaux ont connu ces hommes et ces femmes qui ont aujourd'hui entre 55 et 79 ans ?
En août 2023, les propos de la chanteuse Juliette Armanet au sujet des "Lacs du Connemara" ont fait réagir. Dire d’une telle chanson qu’elle est "de droite" a de quoi étonner quand on écoute ses paroles. "Cette chanson n’est pas de droite", affirme l'historien Jean-François Sirinelli. Toutefois, on peut lire dans la polémique soulevée quelque chose de l’ordre du conflit de génération. Michel Sardou est d’ailleurs très souvent qualifié de "boomer" sur les réseaux sociaux.
"Boomer" ou "baby-boomer" désigne une personne née entre 1945 et la fin des années 60. En juillet 2019 a émergé sur les réseaux sociaux l’expression "OK boomer". Devenue virale chez les américains des générations Y et Z, elle se veut critique d’une génération qui a légué aux suivantes un environnement naturel dégradé.
Le terme "boomer" a ainsi pris une connotation péjorative. Dans la bouche d’un millénial, il désigne une personne de 55 à 79 ans, qui a pu jouir de privilèges qu'ils n'auront pas. Il renvoie aussi à l'idée d'un écart entre des générations qui ne se comprennent pas. Quelle a été la jeunesse des boomers ? À quoi ressemblait la société dans laquelle ils ont grandi ?
Paix, prospérité économique et plein emploi, progrès, apparition de la pilule contraceptive : voilà qui résume le monde dans lequel les boomers ont grandi. Ce sont "les 5 P" qu'identifie Jean-François Sirinelli, historien, spécialiste de la Ve République et des mutations socioculturelles de la France contemporaine. La génération du baby-boom a eu "le sentiment qu’elle vivait mieux que ses parents".
Certes, il y a eu la guerre froide, mais l'après-1945 correspond à une période de paix comme l'Europe occidentale n’en avait pas connu depuis la chute de l’Empire romain, d'après certains historiens. De 1945 à 1975, "les taux de croissance étaient de 5 à 6% par an", souligne l’historien. Les Trente Glorieuses sont synonymes de plein emploi et de "croyance dans le progrès - et pas seulement la croyance, le constat que le progrès est là". Ajouté à cela, l’apparition de la pilule contraceptive qui a permis la planification des enfants et fait évoluer considérablement la condition féminine.
Au cours des années 60, la société française s’est profondément transformée et en peu de temps. Les chanson et les films de l'époque en témoignent. Ainsi, en 1963, Sheila chantait sa "Première surprise-partie" - ou comment une jeune fille négocie avec ses parents pour aller à sa première "surboum". "Jusque-là, la surprise-partie ou la surboum avait une aura sulfureuse", rappelle Jean-François Sirinelli. Professeur émérite à Sciences Po, il a publié "Le temps qui passe, la France qui change - Échos du monde d'avant" (éd. Odile Jacob, 2023) où il recense les sons et les images de la France des années 60 et 70.
Trois ans seulement après Sheila, Michel Polnareff provoque avec "L’amour avec toi" (1966). "Moi je me fous de la société et de sa prétendue moralité, j’aimerais simplement faire l’amour avec toi." Véritable promotion de l’érotisation et de l’hédonisme, "cette chanson va créer du débat". Pourtant, en 1969, "Que je t’aime" de Johnny Hallyday et "Je t’aime moi non plus" de Gainsbourg ne font pas autant de remous. "On danse dessus", ajoute même l’historien.
En 1966, Antoine chante ses "Élucubrations" et appelle à mettre en vente la pilule dans les supermarchés. Comme le rappelle Jean-François Sirinelli, une loi en vigueur interdisait "toute publicité anticonceptionnelle" et de telles paroles étaient passibles de poursuites. "À l’époque, tout évolue à toute vitesse et dès l’année suivante, la loi Neuwirth autorise la vente de la pilule dans les pharmacies."
Dans les années 60, le souvenir de la guerre est encore frais mais traité avec une forme de légèreté. En témoigne le succès phénoménal de "La Grande vadrouille" en 1966, où l’occupation est vue façon Guignol. Il faudra attendre la décennie suivante, avec le film documentaire "Le Chagrin et la Pitié" ou "Lacombe Lucien" pour provoquer "un électrochoc" et mettre à mal le mythe d’une France intégralement résistante. "Les années 70 seront un moment où le passé ne passe pas."
L’actualité s’enracine dans notre histoire. Chaque événement peut être relié au passé pour trouver des clés de compréhension. Relire l’histoire, c’est mieux connaître et comprendre le présent. Chaque semaine, Frédéric Mounier, auteur du blog Les Racines du présent, invite des historiens à croiser leurs regards sur un sujet contemporain pour mieux appréhender notre présent et envisager l’avenir.
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
En partenariat avec Les Facultés Loyola Paris
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !