Pratiquer la marche urbaine ce n'est pas que visiter un centre-ville aux jolies façades anciennes. On peut aussi jouer avec les codes d'un territoire où tout est normé, explorer les interstices et se laisser surprendre par la poésie des zones jugées laides et délaissées... Dans ce troisième épisode de la saison 2 du podcast Marche & rêve, l'architecte Ariane Wilson partage sa passion pour la marche en ville.
La marche est le plus souvent synonyme de randonnée dans des paysages naturels. Et si c'était avant tout un état d'esprit, une ouverture au monde et aux autres qui nous permettait de voir le beau là où on ne l'attend pas ?
Dans ce troisième épisode de la saison 2 du podcast Marche & rêve, Ariane Wilson partage sa passion pour la marche urbaine. "C’est entre la flânerie et une exploration un peu plus volontaire, avec l’envie de comprendre, de découvrir..." Architecte, enseignante à l’université de Strasbourg, elle dévoile son âme d'artiste et sa curiosité de géographe.
Elle avait l’habitude, enfant, de faire des balades urbaines en famille dans Bruxelles. Mais c’est lors de son pèlerinage à Shikoku, le "Compostelle japonais", qu’Ariane Wilson, franco-anglaise née en Belgique en 1974, a pris conscience de l’importance de marcher dans les villes.
Le chemin de Shikoku, "qui est historique à certains endroits, il traverse de longues banlieues interminables avec de grands magasins ou des restaurants fast food, décrit Ariane Wilson. Au début ça m’avait énormément gênée. Et puis j’ai rencontré un moine qui m’a dit : Où qu’on soit, on devrait avoir la capacité d’être tellement ancré intérieurement et dans le moment et dans le lieu, que ça devient une expérience à part entière, et ça ne devrait pas être une gêne."
Le pèlerinage de Shikoku, c'est l'une des deux grandes marches initiatiques qu'Ariane Wilson a faites en Asie à l'âge de 24 ans. Et qu'elle a racontées dans "Un violoncelle sur le toit du monde" (éd. Presses de la Renaissance, 2022). Elle avait d'abord parcouru la vallée reculée du Zanskar, au nord de l'Inde, à la frontière avec le Pakistan et la Chine. Une expérience fondatrice où la jeune femme a découvert "le rythme de la marche" mais aussi "le rapport entre un corps tout petit et des paysages immenses".
Historienne et architecte de formation, Ariane Wilson est aussi une violoncelliste passionnée. Elle a parcouru le Zanskar son instrument sur le dos et joué à plus de 5.000 mètres d’altitude, dans des paysages arides et dépouillés, avec seulement "le bruit de l’eau omniprésent".
Sensible à la beauté des lieux, Ariane Wilson nous surprend quand elle raconte sa façon d’explorer les paysages urbains, jusque dans "les coulisses des villes". "Je marche très volontiers dans les coulisses des villes, parfois ce sont les endroits où on rejette ce que l’on ne veut pas dans les centres-villes." Ces zones où l'on trouve des incinérateurs de déchets, des stations d’épuration, des nœuds d’autoroutes… "Je veux voir ces choses-là, confie l’architecte, je ne veux pas qu’on me les cache !"
Mais ce n’est pas que l’envie de savoir qui guide Ariane Wilson sur les "lieux laids" de nos centres urbains. "En marchant, il m’arrive de pouvoir trouver assez beau finalement un nœud d’autoroute." Parce que personne n’y va, parce que ce ne sont pas des lieux pour les piétons, il y a une expérience à vivre. "De nouvelles expériences, l’odeur, la vitesse…" Ce sont des lieux où le corps "se déshabitue" - un mot qui revient souvent dans sa bouche.
Et la littérature, la poésie n’est jamais bien loin quand Ariane Wilson se perd volontairement dans des lieux urbains insolites. "Un peu comme on le fait dans un poème, rapprocher des mots étrangers les uns aux autres, ça crée une manière presque littéraire de regarder le paysage, la surprise, le hasard des choses, c’est poétique aussi."
On se laisse un peu attirer par la surprise, et ce faisant, justement on est plutôt dans une dimension poétique, parce qu’elle n’a pas un usage
Avec Ariane Wilson, on découvre une autre pratique de la marche. "On ne marche plus pour aller de A à B, ou pour aller chercher son enfant à l’école, ou même pour le loisir, mais on se laisse perdre, on se laisse un peu attirer par la surprise, et ce faisant, justement on est plutôt dans une dimension poétique, parce qu’elle n’a pas un usage."
Cette pratique s’inscrit dans une longue histoire, celle les poètes flâneurs du XIXe siècle comme Baudelaire, ou des adeptes du mouvement Dada qui se rendaient "dans les endroits indéfinis, en marge des villes". Ou encore les situationnistes qui, à la suite du théoricien Guy Debord, partaient à la découverte des villes en "se laissant guider par leur inconscient"…
Ce sont autant de pratiques qu’Ariane Wilson a redécouvertes en organisant des séminaires de marche pour ses étudiants en architecture. "Se déshabituer", c’est la première étape vers laquelle Ariane Wilson veut les conduire. Pour cela, elle a imaginé des méthodes ludiques. Par exemple, un jeu de cartes que l’on tirerait au cours de sa marche avec des instructions : tourner à droite, aller vers le soleil…
Ariane Wilson est d’ailleurs opposée à l’usage du GPS pour la marche : rien de tel que le plaisir de déplier sa carte de randonneur ! "J’aime énormément ces grandes cartes en papier qui nous montrent tout un territoire par des codes, et je joue un peu avec ces codes." Cela peut paraître absurde ou un peu léger, mais c’est un état d’esprit, une philosophie de vie. Il s'agit de "rafraîchir mon regard, être enchantée tout le temps, tout me paraît toujours nouveau..." Tout, y compris l’autre, le passant, le riverain, avec qui la rencontre devient possible.
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