L’histoire de France est marquée par des êtres providentiels : rois, empereurs, présidents de la République... Auréolés de cette image, certains ont tendu à exercer un pouvoir absolu. Aujourd'hui, les forts taux d'abstention interrogent directement la figure de l'homme providentiel. Dans un régime fondé sur le charisme, l'essoufflement du suffrage universel est le signe d'une remise en cause de la question du sauveur.
"Une vulgate populaire raconte qu’à la suite de la mort du roi notre peuple aurait cherché sans cesse à le remplacer, à renouer le fil de cette monarchie décapitée", rappelle Maxime Michelet, auteur de "L’invention de la présidence de la République - L'œuvre de Louis-Napoléon Bonaparte" (éd. Passés Composés). Or, "les souverains du XIXe siècle ne viennent pas remplacer le souverain d’Ancien Régime mais viennent totalement exercer une nouvelle fonction". Ainsi, durant la période 1848-1852, celle de la IIe République, Louis-Napoléon Bonaparte aurait déployé toute "une symbolique étonnante à moitié impériale à moitié républicaine", qui accorde une large place au "symbole de l’étoile de la Providence".
De fait, l’exemple de Louis-Napoléon Bonaparte nous le rappelle, l’histoire de France a été, au long des siècles, façonnée par l’image de "l’être providentiel". Un roi, un empereur, un président de la République… Une figure que l’essayiste Alphée Roche-Noël nomme "l’un". Mais - et c’est la thèse qu’il défend dans son livre "La France contre le monarque - De l'An Mil à nos jours" (éd. Passés Composés) - "la France, comme société politique s’est construite non pas avec ou grâce" à ces hommes providentiels. Elle s’est construite contre la captation de la chose publique par un personnage public.
Il y aurait donc d’un côté "le un" - qui est un roi, un empereur, monarque ou président - et tous ont tendu à exercer à un moment ou à un autre, un pouvoir absolu, y compris les présidents de la Ve République. Face à eux, ce qu’Alphée Roche-Noël nomme "le commun" : c’est-à-dire la masse, la foule, l’opinion, les classes, les groupes sociaux, les corps et les communautés.
Et entre "le un" et "les commun", il y aurait une tension. "Pendant à peu près 800 ans, pour le dire de façon un peu grosse, le commun que j’ai essayé de désigner n’a pas voulu l’absolution, selon Alphée Roche-Noël, mais la réforme de la monarchie." C’est devenu une guerre en 1791. Et c’est au cours du XIXe siècle, lors des révolutions de 1830, 1848 et 1871 que s’est forgé un esprit républicain. L’essayiste décrit le "dessillement progressif" des Français vis-à-vis de leur monarque, "fait d’à-coups de crises, de prises de conscience, d’avancées et de reculades". Jusqu’au moment où l’on s’est aperçu que cette "exigence de justice", qui est "très constante dans l’histoire de la société politique française" ne pouvait plus passer par "le personnage de l’un".
"Je m’inscris en faux contre cette vulgate qui veut qu’on élise un roi pour le décapiter", affirme Alphée Roche-Noël, qui ne croit pas en un "éternel recommencement" mais à "des dépassements" possibles. Aujourd’hui la démocratie en France est frappée par une immense vague d’abstention, qui fait croire à un essoufflement du suffrage universel.
Ce phénomène vient directement interroger l’image de l’homme providentiel. Comme le dit Maxime Michelet, "cet essoufflement vient aussi de la pérennisation, avec la Ve République, d’un système incarné sur l’être providentiel". Dans un régime comme le nôtre "fondé sur le charisme", on assiste à une "routinisation du charisme", convient Alphée Roche-Noël, reprenant l’expression du sociologue Max Weber. "On est dans un moment de dépassement, de désenchantement et d’incrédulité." Et "il ne s’agit pas juste d’un dégagisme de personne, ajoute-t-il, mais d’une remise en cause de la question du sauveur".
L’actualité s’enracine dans notre histoire. Chaque événement peut être relié au passé pour trouver des clés de compréhension. Relire l’histoire, c’est mieux connaître et comprendre le présent. Chaque semaine, Frédéric Mounier, auteur du blog Les Racines du présent, invite des historiens à croiser leurs regards sur un sujet contemporain pour mieux appréhender notre présent et envisager l’avenir.
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