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Sionisme et judaïsme sous le regard de philosophes

Sionisme et judaïsme sous le regard de philosophes

RCF, le 5 février 2025 - Modifié le 6 février 2025
DialogueA travers le judaïsme : Buber, Levinas et Simone Weil 1/2

Le rapport à l’autre, à soi, à l’identité traverse la pensée de philosophes comme Martin Buber, Emmanuel Levinas ou Simone Weil. Comment concevaient-ils le judaïsme ? Comment ont-ils défendu ou non le sionisme ? 

Juifs de l'ancien Yichouv, 1895 ©wikimedia commonsJuifs de l'ancien Yichouv, 1895 ©wikimedia commons

Le fondateur du sionisme politique, Theodor Herzl n’avait pas écarté l’idée d’installer un État juif en Argentine ou en Ouganda. "Mais très vite, compte tenue de la spiritualité juive et de l’attachement particulier à ce lieu, Jérusalem, l’idée va s’imposer d’un État juif comme le voulait Herzl mais en Palestine, à Jérusalem." Et rapidement, "va se poser la question de l’autre qui habite ce territoire convoité", analyse Jean-Marc Ghitti.

Le rapport à l’autre, à soi, à l’identité traverse la pensée de philosophes comme Martin Buber, Emmanuel Levinas ou Simone Weil. Comment concevaient-ils le judaïsme ? Comment ont-ils défendu ou non le sionisme ? Jean-Marc Ghitti, philosophe spécialiste de la phénoménologie, s’intéresse aux lieux et aux territoires. Le contexte actuel de guerre au Proche-Orient l’a conduit à une réflexion : "Qu’est-ce qui est à l’origine de cette guerre si ce n’est une question de territoire disputé entre deux prétendants, deux prétentions à être chez soi ?" Son livre "À travers le judaïsme - Buber, Levinas, Simone Weil" (éd. Kimé, 2024) est plus "une voix méditative" qu’un essai universitaire.

Le sionisme spirituel de Martin Buber

Martin Buber en Israël en 1962 ©Wikimédia commons

 

L’apport de Martin Buber dans la réflexion sur le judaïsme et le sionisme est fondamental. On peut souligner toutefois que "son judaïsme et son sionisme sont une condamnation totale du régime qui s’est installé en Israël et qui aujourd’hui prévôt et soutient par la guerre pour la guerre, affirme Jean-Marc Ghitti. Ce qui s’est mis en place là, en terme de régime, est tout à fait le contraire de ce à quoi aspirait Buber."

Né à Vienne en 1878, Martin Buber s’est reconnu très tôt dans la démarche sioniste. Il a fini par s’installer à Jérusalem en 1938, où il est enterré. Son idée était "qu’il fallait un État juif pour que les Juifs ne soient pas assimilés". À la fin du XIXe siècle en Europe se posait la question pour les Juifs de l’assimilation, c’est-à-dire de l’abandon, en quelque sorte, d'un certain nombre de rites, d'usages ou de pratiques. Pour Martin Buber, le sionisme c’était "la défense d’une spécificité du peuple juif" à laquelle "il tenait beaucoup".

On ne peut détacher son engagement sioniste d’une aspiration à un renouveau spirituel. "Il défend un judaïsme que j’appellerais de la voie et non pas de la loi, nous dit Jean-Marc Ghitti. Son idée c’est que bien sûr qu’il y a toute une histoire du judaïsme mais qu’il a besoin, ce judaïsme, d’être rénové spirituellement."

Martin Buber était-il un utopiste ? "Il ne parlait pas de terre promise mais de société promise. C’est-à-dire de rénover les relations humaines, de réformer profondément l’humanité." Pour lui, "c’était la mission de ce peuple élu". Alors que s’affirmait un sionisme politique, il a gardé "des exigences spirituelles extrêmement fortes" qui "pouvaient sembler un peu tirer du côté de l’utopie", note Jean-Marc Ghitti. "Le temps de la politique, ce n’est pas le temps de la religion, ce n’est pas non plus le temps de la réflexion."

 

Connaître le judaïsmeIsraël et le judaïsme : quels liens ? (1/2)

Emmanuel Levinas, une vision éthique du judaïsme

Le philosophe Emmanuel Levinas (1906-1995) ©Wikimédia commons

 

Le philosophe Emmanuel Levinas (1905 -1995) "a tenté de montrer que le judaïsme ce n’est pas d’abord une politique, c’est d’abord une éthique". Que les relations entre individus peuvent s’organiser indépendamment du politique. Ce que Jean-Marc Ghitti appelle "l’impolitique" : "Il y aurait quelque chose à travailler en dehors de la politique." L’auteur de "Totalité et infini" (1961) critique "l’idée même de totalité" que serait l'organisation politique et défend au contraire celle que "l’autre introduit une dimension d’infini qui ne peut pas se reprendre ou se comprendre dans la société unitaire".

À l’heure où des tensions traversent notre société on trouve chez Levinas des idées qui semblent à contre-courant : ne pas se définir "comme une identité fermée que j’oppose à l’identité de l’autre". Laisser "l’autre me travailler et altérer ma propre identité". Ce sont là les conditions du dialogue "ou du dépassement des identités figées", observe Jean-Marc Ghitti. "Cette désidentification de l’individu par rapport à lui-même, ou de la nation par rapport à elle-même, est la clé spirituelle de l’impolitique."

Il n’est pas allé vivre en Israël mais Emmanuel Levinas a soutenu le projet sioniste. "Il y a des contradictions chez Levinas", relève Jean-Marc Ghitti. C’est sans doute parce qu’il baignait à Paris, "dans ce contexte extrêmement pro sioniste de l’intelligentsia parisienne de cette époque", qu’il "a voulu défendre la politique d’Israël au-delà peut-être de ce qui était défendable de son propre point de vue à lui, c’est-à-dire du point de vue éthique". 

 

Le Grand TémoinDans l'intimité d'Emmanuel Levinas, avec Salomon Malka

Simone Weil ou "le judaïsme du retrait"

Simone Weil à New York (1942) ©Wikimédia commons

 

Quand Simone Weil est morte, en 1943 - à l'âge de 34 ans - son œuvre était alors en devenir, pourrait-on dire, même si elle a laissé de nombreux écrits essentiels. "Elle n’a jamais revendiqué son appartenance au judaïsme. Elle a été pour sa part désignée comme telle par ceux qui persécutaient les Juifs. Elle a été victime d’antisémitisme mais d’une certaine manière, elle appartenait à ce judaïsme assimilé qui ne voulait pas s’enfermer dans une identité."

Ce n’est donc pas à Simone Weil que l’on pense tout de suite pour parler du judaïsme, comme le note Jean-Marc Ghitti. D’autant plus qu’elle s’est rapprochée du christianisme, ce que n’élude pas le philosophe. "On peut, dit-il cependant, demeurer spirituellement juive en creux, en tant qu’on se retire de son propre judaïsme, tout en ayant un chemin qui conduise vers le christianisme."

Le retrait, c’est l’idée centrale que retient Jean-Marc Ghitti dans le rapport de Simone Weil au judaïsme. Pour lui, "on peut considérer que sa manière de ne plus vouloir être juive est encore une expression d’un judaïsme, mais du judaïsme du retrait". Un mot qui fait écho au concept de la Kabbale, de la mystique juive : le concept de tsimtsoum, c’est-à-dire l’idée que Dieu a créé le monde et s'en est retiré. Simone Weil "pense qu’une personne ne s’accomplit qu’en se retirant d’elle-même, en se dépersonnalisant, en s’absentant à sa propre histoire. Et ce n’est que parce qu’on fait le vide de soi que l’on peut accueillir pleinement l’autre et le comprendre."

Cette "forme d’appartenance très paradoxale" qu'il y a chez Simone Weil, Jean-Marc Ghitti l'appelle "désidentification". C’est pour lui une "clé spirituelle" pour dépasser les drames collectifs et individuels de notre monde. "La plupart des dérives historiques et des crimes, la présence je dirais même du mal dans notre histoire et dans nos vies vient du fait de vouloir être soi-même. Alors que tout notre travail spirituel est de nous retirer de notre propre identité."

 

©RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
Dialogue
©RCF
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