Avec "La Panthère des neiges", où on le voit à l'affût de l'animal en compagnie de Sylvain Tesson, le photographe Vincent Munier s'est fait connaître du grand public. Lui qui n'aime rien tant que s'effacer pour admirer le monde sauvage. Et qui est capable de rester des heures, voire des jours, immobile et silencieux en pleine nature, les sens en éveil. Rencontre.
Photographier l’ours de la cordillère Cantabrique en Espagne ou les loups blancs sur l’île d'Ellesmere au Canada… C’est le métier depuis vingt ans de Vincent Munier. Et une passion depuis l'enfance, depuis ce moment où il a vu trois petits chevreuils dans une forêt des Vosges à l'âge de 12 ans, son premier affût, un moment fondateur. Vincent Munier s'est fait connaître du grand public en 2021 avec le film "La Panthère des neiges" qu'il a coréalisé. Le récit d'une aventure immobile ou presque sur les hauts plateaux tibétains, des heures entières à attendre l'animal sauvage, cette fois non pas seul mais en compagnie de l'écrivain Sylvain Tesson. Qu'est-ce qui pousse un homme à guetter des heures, voire des jours durant, un animal dont on ne sait s'il se montrera ? À l'heure où beaucoup courent après le temps, Vincent Munier le perd à attendre...
"S’effacer, pour moi ce n’est pas un art de vivre mais c’est presque mon quotidien." C’est aussi un mot qui revient très souvent quand on écoute Vincent Munier. Photographe animalier devenu en vingt ans parmi les plus célèbres au monde, primé de nombreuses fois, il se sent plus à l’aise en pleine nature que devant les projecteurs.
"Il y a un gros décalage, explique-t-il, entre les capacités à avoir pour être au plus près du sauvage, donc être effacé, et puis après cette notoriété où on nous sollicite énormément, où on est sur le devant de la scène alors que moi dehors, c’est toujours être en retrait." Dans "La Panthère des neiges", le film qu’il a coréalisé avec Marie Amiguet, les Français ont découvert sur les écrans de cinéma qu'il pouvait rester des heures à l’affût, immobile dans le froid, rien que pour tenter de voir un animal sauvage.
"Le talent, je n’y crois pas", dit Vincent Munier. L’artiste, ce n’est "pas lui", "c’est la montagne, c’est la rivière…" Lui c’est la patience, l’acharnement, l’obsession, tout le temps dehors, jamais sans ses jumelles. "Pourquoi je suis obsédé, je suis animé en permanence par cette recherche de la beauté dans le monde sauvage ?"
C’est devenu obsessionnel, il y a mon regard qui est là et qui essaie de s’accrocher à tout ce qui me fait du bien à l’intérieur de moi
En novembre 1988, Vincent Munier a douze ans. Son père Michel l’emmène dans la forêt - un père "militant" qui a beaucoup œuvré pour la protection de la nature. C’était dans la forêt de Chamagne, dans les Vosges, non loin du village de Claude Gelée, le célèbre peintre lorrain. Il prête à son fils son appareil photo. "Il me place sous un amas de branches avec un filet de camouflage le long d’un tronc, d’un chêne en l’occurrence… Et je reste pendant des heures, des heures, des heures. Seul, tout petit - j’avais douze ans."
Le jeune garçon entend des pas… La peur, l’excitation. Et quand trois petits chevreuils qui apparaissent sous ses yeux, c’est "un moment complètement fou de mélange d’angoisse et de fascination". "Je ne pensais pas qu’on pensait avoir une proximité telle avec animaux sauvages !"
Vincent Munier vit toujours dans les Vosges. À travers la fenêtre de sa maison, on voit des forêts à perte de vue. Pourtant, ce n’est pas exactement là qu’il a grandi : c’était en bas, dans la zone industrielle au fond de la vallée. "On était en banlieue d’une petite ville de 4, 5.000 habitants." Où son père enseignait la mécanique dans un lycée technique. Il y avait la voie ferrée, toute proche puisque "la maison tremblait" quand un train passait, et un peu plus loin les friches industrielles. "Déjà, là, c’était le début d’une certaine harmonie et une certaine beauté du sauvage..."
Enfant, il fallait toujours qu’il s’échappe. Passer "de ce monde-là, bruyant" au grand massif forestier voisin. "C’est devenu obsessionnel, confie Vincent Munier, il y a mon regard qui est là et qui essaie de s’accrocher à tout ce qui me fait du bien à l’intérieur de moi." La beauté comme une espèce de nourriture spirituelle. Une quête du vrai. Ce pourquoi Vincent Munier préfère voyager en solitaire. "Il n’y a rien, on n’a pas un miroir, on ne peut pas en parler à quelqu’un... Et tu comprends que tu ne peux pas tricher, tu es bête parmi les bêtes même si tu te sens tellement moins évolué, moins aguerri dans le milieu."
Les ailes déployées des grues japonaises dans la blancheur d’un paysage neigeux, le pas pressé d’un yack sauvage du Tibet au soleil couchant… Minimalistes, les photographies de Vincent Munier, que l’on peut retrouver dans sa monographie, captent une lumière, un mouvement. "J’essaie de faire en sorte qu’elles ne soient pas figées, qu’on s’échappe de l’illustration et qu’elles nous emmènent, qu’elles nous fassent voyager." Un peu comme les estampes japonaises ou l’art pictural chinois du sumi-e. "Quelques traits de crayons et on est toujours dans l’évocation… On lève un peu le voile, on n’aperçoit à peine et là ça nous fait voyager !"
Le blanc de la neige en particulier le fascine. C’est ce qu’il préfère parce que "ça efface tout le superflu et ça garde l’essentiel... Et ces petites notes animales dans un désert blanc, oui, ça me plaît !" D’ailleurs, quand Vincent Munier part "s’effacer" dans la nature, ce n’est pas une stratégie pour trouver le bel endroit mais s’éloigner et ne faire plus que voir, sentir, toucher, respirer... "C’est très étrange mais dès que les conditions météo commencent à être un peu violentes… quand la nature se déchaîne, j’ai le sourire, je suis heureux, je me sens vivant ! Combien de fois j’ai hurlé quand j’étais en solitaire là dans les tempêtes. J’étais heureux et je me sentais vrai, vivant !"
Autrefois, Michel Munier culpabilisait d’avoir transmis à son fils cette passion des animaux sauvages et de l’affût en pleine forêt. "J’ai quand même un peu tout loupé, trois fois le bac… c’était aux mois de mai, juin. C’est là où la nature explose donc je préférais vraiment être à l’affût !" Mais aujourd’hui, à travers son art, Vincent Munier veut transmettre ce que lui-même a appris. Perdre "l’arrogance de notre espèce" qui s’est éloignée du monde sauvage. Et se faire proie. "C’est important d’avoir peur face aux bêtes sauvages, ça nous amène beaucoup plus d’humilité, on n’est plus les maîtres."
L’art de Vincent Munier est celui d’un homme "tellement excédé par cette hégémonie de notre espèce sur toutes les autres" qu’il n’a qu’un désir : "Me sentir un peu fragile, ça me fait un bien fou !"
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