Le maillot de bain est de saison. Avec l’arrivée de l’été, ce morceau de tissu ressort du placard. Mais derrière le vêtement, ce sont des questions beaucoup plus profondes qui se polarisent. La tenue de baignade aurait ainsi un fort pouvoir de polémique, que certains se plaisent à agiter, pour en faire un objet finalement hautement explosif…
Le 16 mai dernier, le Conseil municipal de Grenoble adoptait un nouveau règlement intérieur pour les piscines de la ville. Ce règlement autorise aussi bien les vêtements couvrants que les poitrines dénudées. "Nous levons un interdit vestimentaire. Seules les règles d’hygiène et de sécurité comptent", s’est notamment félicité le maire EELV de Grenoble, Cédric Piolle.
La poitrine dénudée, pour tout le monde, l’image est assez claire. Quant au vêtement couvrant en question, le fameux burkini, il a très rapidement été jugé comme un signe ostentatoire religieux musulman, et donc contraire à la laïcité. Des procédures sont actuellement en cours pour faire annuler, ou pas, la décision du Conseil municipal de Grenoble. Du côté des seins nus, personne, en revanche, ne s’est interrogé sur la décence d’une telle pratique.
Dans un entretien accordé au magazine Elle, le président de la République, Emmanuel Macron, s’était déjà déclaré hostile au port du crop-top, un t-shirt qui dévoile le nombril dans les établissements scolaires. "Tout ce qui vous renvoie à une identité ou à une volonté de choquer n’a pas sa place à l’école. On peut tenir compte de la part de fantaisie d’un ado et tenir bon sur certains principes" déclarait-il à l’époque.
Entre liberté de se vêtir, pudeur et décence, le débat de Grenoble, qui a oscillé entre le futur et l’artificiel, masque une question beaucoup plus grave : la relation au corps, au corps des femmes, et aux vêtements dans notre société. "Il y a aujourd’hui des problèmes sociaux plus importants. Cela dit, la question n’est pas négligeable. Le burkini peut ressembler à une combinaison de surf. Je le déteste. Il y a d’autres vêtements que je déteste, comme les jeans à trous. Mais quand je pense à cette question, il y a une différence entre le goût et le droit, entre ce que l’on déteste et ce qui est autorisé ou interdit. On n’a pas suffisamment souligné à quel point l’histoire de la tenue féminine est une histoire magnifique de l’affranchissement. C’est l’inverse du burkini. La tolérance doit se faire dans le sens de la libération. Il ne faut pas l’oublier. Ce genre de tenue renvoie à un pouvoir dont les femmes ont voulu se défaire" explique Georges Vigarello, historien, philosophe, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Son travail porte sur l’histoire de l’hygiène, de la santé, et des représentations du corps.
Pour Camille de Villeneuve, romancière, docteur en philosophie enseignante au Centre Sèvres, l’affaire du burkini de Grenoble met en question "l’apparition du corps dans l’espace public, plus particulièrement, du corps de la femme, du corps religieux et du corps féminin religieux. Que peut-on montrer au nom du civisme et de la bienséance ? Le mot pudeur s’était pour le moins estompé au fil du temps. On sait que dans certaines cultures l’apparition du corps de la femme est plus compliquée. Du point de vue du corps religieux, la laïcité s’est allégée : est seulement requise la discrétion et une capacité de discerner pour ne pas s’imposer aux yeux de tous comme unique foyer de sens".
Dans cette affaire, est enfin question de l’apparition du corps féminin religieux. "Ce qui est en jeu, c’est l’inégalité homme-femme entretenue par certaines religions. L’islam cristallise la méfiance du fait d’une islamophobie qu’il faut savoir nommer et de la politisation de l’islam en France. […] Il n’était pas urgent de statuer sur la présence ou non du burkini de la piscine de Grenoble. Le point de difficulté provient du texte et de la manière dont les autorisations sont formulées. Il y a une opposition presque risible entre deux féminismes. Il s’agit de deux exceptions à la règle. Le corps social devient ainsi une série possible d’exceptions à une loi vidée de sa substance. Ce qui est en question, c’est la manière dont nous concevons la production de la loi" lance-t-elle encore.
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