POINT DE VUE DE CLOTILDE BROSSOLET - Dans Le dernier soir, aux éditions Grasset, le journaliste Thomas Misrachi, grand reporter à TF1, raconte le suicide de son amie Jacqueline Jencquel. Le journaliste qui, lui aussi, a déjà annoncé vouloir mourir à l’âge de 75 ans, raconte comment, impassible, il a tenu la main de Jacqueline jusqu’à son dernier souffle, après l’avoir regardée, avaler une potion létale.
En août 2018, Jacqueline Jencquel avait expliqué dans une vidéo de Konbini pourquoi, alors qu’elle était en bonne santé, elle avait prévu de mourir en 2020, en Suisse. En 2018, Jacqueline Jencquel ne souffrait d’aucune maladie grave, d’aucune maladie dégénérative. Jacqueline n’était pas seule, elle était bien entourée de ses proches, elle n’était pas en dépression.
Jacqueline ne voulait juste pas vieillir. Elle expliquait : "Il faut bien fixer une date pour partir comme on veut partir [...] la perte d'autonomie, c'est la fin de la vie, j'ai pas envie qu'on s'occupe de moi [...], de me retrouver dans un mouroir [...] perfusée, ventilée, infantilisée [...) et après qu'on me torche, que je ne sois pas capable de prendre mon bain toute seule, no way, pas question." Sa vie avait été bien remplie, des amis, des voyages à travers le monde, trois fils et même l’amour et la passion.
Elle avait donc décidé qu’elle mourrait deux ans après, quand elle aurait 76 ans, dans un acte qu’elle souhaitait militant car Jacqueline comme son ami Thomas sont des adhérents actifs de l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité. L’engagement de Jacqueline allait donc jusqu’à mourir pour que d’autres puissent choisir leur mort sans avoir à enfreindre la loi.
2020 était passé. Jacqueline était toujours vivante. Elle attendra deux ans de plus que prévu pour mourir. La naissance de son petit-fils avait changé la donne. Elle avait expliqué : "J'aurais pu le faire il y a deux ans, comme prévu. Mais la naissance de mon petit-fils le jour de mon anniversaire a été comme un moment volé au destin." Celle qui réclamait l’Interruption Volontaire de Vieillesse, n’était pas allée en Suisse, préférant se suicider chez elle, en présence de son ami Thomas, toujours militante acharnée du droit à choisir sa mort. La vie avait glissé un petit grain de sable dans le rouage de la mécanique militante. Celle-ci s’était donc mise à l’arrêt pendant deux ans, deux ans durant lesquels, Jacqueline avait pu vivre des joies et des peines, deux ans durant lesquels ses rides, sa fatigue, son âge, ne l’ont pas empêchée de profiter.
Dans le débat relancé sur l’aide active à mourir, le livre de Thomas Misrachi est une aubaine. Il évite les discussions idéologiques et philosophiques, il nous plonge dans l’émotion d’une histoire personnelle qui interdit toute critique. Jacqueline a mis en scène sa mort, elle en a fait un acte politique mais il nous est impossible de lui répondre. Thomas Misrachi, lui, pourrait être condamné à cinq ans de prison et 100 000 euros d’amende pour promotion du suicide mais il ne s’est encore trouvé personne pour lancer une procédure. Au contraire, le journaliste a fait le tour des plateaux de télévision, a eu droit à son portrait dans Libération, est intervenu dans les débats jouant sur l’ambiguïté du témoin militant à qui le statut de journaliste confère une certaine expertise. Il dit assumer le risque d’une condamnation judiciaire mais son éditeur comme lui savent bien que depuis des années, les rares médecins militants qui ont reconnu publiquement, avec la foi du militantisme, avoir pratiqué des euthanasies n’ont jamais été inquiétés.
Si la mécanique militante est bien huilée, il ne faudrait pas oublier Jacqueline, qui s’est suicidée en présence de son ami Thomas, complice qui n’a rien fait pour l’en empêcher, qui l’a regardée mourir et en a fait un livre. Étrange amitié.
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