Le succès du dernier pèlerinage de Chartres a relancé la polémique parmi les catholiques de France, à coups de tribunes dans la presse chrétienne. Sur fond de tensions autour du motu proprio "Traditionis custodes" sur la messe en latin, on constate l'attrait du rite extraordinaire, notamment auprès des jeunes. Pourquoi la messe suscite-t-elle autant d’attentes et de crispations ? Le Père Louis-Marie Chauvet, professeur émérite à l'Institut catholique de Paris et auteur de "La messe autrement dit - Retour aux fondamentaux" répond à ces questions, dans l'émission Halte spirituelle avec Madeleine Vatel.
Il y a près d'un an, le 29 juin 2022, le pape François publiait sa lettre apostolique "Desiderio desideravi", où il appelait à abandonner les polémiques au sujet de la liturgie. Cela faisait suite à la publication en juillet 2021, de "Traditionis custodes", son motu proprio par lequel il restreignait la possibilité de célébrer la messe selon le rite extraordinaire. Mais le succès du dernier pèlerinage de Chartres a relancé la polémique parmi les catholiques de France, à coups de tribunes dans la presse chrétienne. Pourquoi la messe suscite-t-elle autant d’attentes et de crispations ? Pour certains, il y a une dimension politique. "Derrière les questions liturgiques, c’est bien un rapport politique à la modernité qui se joue", pouvait-on lire dans une tribune publiée par La Croix.
Dans ma génération - j’ai 81 ans - nous partions, si j’ose dire, de trop d’Église, de trop de morale, de trop de doctrines, de trop de prières tout le temps... Vatican II nous a offert cette chance d’ouvrir les fenêtres
"Dans ma génération - j’ai 81 ans - nous partions, si j’ose dire, de trop d’Église, de trop de morale, de trop de doctrines, de trop de prières tout le temps, raconte le Père Louis-Marie Chauvet, professeur émérite à l'Institut catholique de Paris et auteur de "La messe autrement dit - Retour aux fondamentaux" (éd. Salvator, 2023). Vatican II nous a offert cette chance d’ouvrir les fenêtres, comme disait Jean XXIII : nous ne nous sommes pas contentés d’ouvrir les fenêtres, nous avons ouvert les portes, nous avons même renversé les murs !"
Le prêtre observe que les jeunes générations viennent "au contraire de pas assez : pas assez d’Église, pas assez de rites, pas assez de prière…" C’est ce qui explique selon lui ce "besoin identitaire" : à ses yeux, "on peut parfaitement [le] comprendre !" Retrouver une identité à travers les rites, cela peut être vu comme légitime - le Père Chauvet souligne toutefois la nécessité de créer des "ouvertures".
Le 25 mai dernier, juste avant le week-end de Pentecôte, le journal La Croix révélait que 38% des jeunes français qui participent aux JMJ de Lisbonne sont plutôt conservateurs et que 38% d'entre eux disent apprécier la messe en latin. Deux jours après, s'élançait depuis Paris la longue file des pèlerins de Chartres, où la moyenne d'âge était de moins de 21 ans. L'étude de La Croix et le pèlerinage de chrétienté ont mis en lumière ces jeunes catholiques en quête de sacré, qui n'hésitent pas à se tourner vers le rite extraordinaire de la messe.
→ À LIRE : Pèlerinage de Chartres, JMJ : les jeunes reprennent-ils en main l'Église ?
La messe "n’est ni un point de départ ni un point d’arrivée mais un point de passage, rappelle le Père Louis-Marie Chauvet, mais je qualifierais doublement ce point de passage comme à la fois obligeant et obligé". "Obligeant" parce qu’à la messe, il s’agit "d’accueillir ce qui est en jeu", la parole d'un Dieu d'amour qui "vient à notre rencontre" - mais cela "doit déboucher sur autre chose", sur "la vie elle-même". Quant à la nécessité pour un catholique d'aller à la messe, le Père Chauvet l'explique par le fait que "la générosité" chez les chrétiens est "greffée sur celle de Dieu en Christ", "pour que ce soit notre vie qui devienne comme un sacrifice spirituel à la gloire de Dieu".
"La notion de sacré comme telle n’est pas une notion proprement biblique, rappelle le Père Louis-Marie Chauvet. Ce sont les dieux païens qui étaient sacrés, les personnes..." Le principe du sacré c’est de mettre quelque chose "à part", de l’arracher "au caractère profane en quelque sorte, ou au trop humain, pour faire office d’intermédiaire entre l’humain et Dieu".
Qu'est-ce "le" sacré ? Le Père Louis-Marie Chauvet rappelle que c’est le sociologue Émile Durkheim (1858-1917) qui a employé le premier ce terme de "sacré" comme un substantif "pour désigner une sorte de force anonyme qui surplombe une foule lors d’un événement important" et "pas nécessairement religieux". Auparavant, "sacré" était utilisé comme un adjectif : on disait d’un objet ou d’un lieu qu’il était sacré.
Le risque avec le sacré, c'est "de se focaliser dessus" et de finir par "s’y perdre", estime le Père Chauvet. Par exemple, "une messe paroissiale peut devenir une sorte de messe quasi pontificale avec profusion d’encens et de servants d’autel…" Or, dans la Bible, ce qui est majeur, c’est "la sainteté, la sanctification" : il s’agit de "sanctifier le quotidien", rappelle le prêtre. Ainsi, on peut avoir besoin de sacré, on peut aimer les belles célébrations "à condition, pour le Père Chauvet, que tout ceci soit au service d’une visée qui est bien plus importante, qui est celle la sanctification du profane dans la vie familiale, professionnelle, etc."
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !