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Podcast Silence, on crie - Épisode 4 : Comprendre la dimension systémique des agressions sexuelles dans l'Église catholique

RCF, le 23 octobre 2024 - Modifié le 23 octobre 2024
Silence, on crie4/6 La systémie : "En voulant préserver l'Église, on continuera à faire perdurer l'horreur"

En novembre 2021, les évêques de France ont reconnu la dimension systémique des abus sexuels dans l'Église catholique. Pourtant, nombreux sont ceux qui ne veulent pas savoir ou qui préfèrent nier. Dans le quatrième épisode du podcast Silence, on crie, vous entendrez le témoignage d'Esther, victime d'emprise spirituelle et d'agressions sexuelles. Son histoire aide à mieux comprendre la systémie.

"Je passais de victime à complice, en fait, parce que d’une certaine façon l’adultère, ça ne peut pas vraiment se faire tout seul", témoigne Esther, victime d'emprise et de viol ©Unsplash"Je passais de victime à complice, en fait, parce que d’une certaine façon l’adultère, ça ne peut pas vraiment se faire tout seul", témoigne Esther, victime d'emprise et de viol ©Unsplash

 

Les gens qui vont refuser d’écouter les victimes ou les analyses structurelles de pourquoi est-ce qu'on est dans une systémie des abus sexuels dans l’Église, ce ne sont pas des gens qui sont mal intentionnés...
Le problème, c’est que quand vous êtes confronté à la réalité de que c’est, il y a un moment où vous ne pouvez plus réellement détourner le regard. Ce n’est plus possible.

Esther, dans le quatrième épisode du podcast Silence, on crie

 

Dans ce quatrième épisode du podcast Silence, on crie, Stéphanie Gallet aborde la question de la systémie. Le 5 novembre 2021, à la suite de la publication du rapport Sauvé, les évêques de France ont reconnu la "responsabilité institutionnelle" de l'Église et la "dimension systémique de ces violences". Pourtant, nombreux sont ceux qui ne veulent pas savoir ou qui préfèrent nier la dimension systémique des abus. 

L'histoire d'Esther (dont le prénom a été changé) montre bien sur quoi repose la systémie. La jeune femme n’a pas été agressée par un ecclésiastique mais à la façon dont son professeur de philosophie a joué de sa carte d’aumônier, dont il a orienté la quête spirituelle d’Esther et son cheminement dans le catholicisme, tout indique qu’elle a sa place dans ce podcast. Y compris la façon dont certains dans l’Église catholique ont reçu le témoignage d'Esther. Au moment où l’on enregistre le podcast, Esther a déjà porté plainte et une enquête est en cours. Elle préfère donc rester anonyme.

Il y a trois ans, le rapport de la Ciase annonçait un chiffre : 330.000 mineurs victimes d’agressions sexuelles dans l’Église catholique en 70 ans. Comment ces crimes ont été possibles ? Qu’est-ce qui fait que l’Église catholique a été un terreau favorable à ces agressions ? Et pourquoi personne n’a rien dit ? À la suite de la Ciase, RCF souhaite faire entendre la voix des victimes. Nous voudrions réfléchir et donner à réfléchir, pour que, ensemble et chacun à notre place - que nous soyons religieux, clerc ou laïc – nous puissions faire de l’Église "une maison sûre".

Dans ce quatrième épisode, vous entendrez les commentaires de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF), de Sœur Véronique Margron, religieuse et présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), du théologien et membre de la Ciase Joël Molinario, de Sophie Lebrun, journaliste, et de Lorraine Angeneau, psychologue clinicienne.

Le récit d’Esther, une histoire d’aujourd’hui

Avant son agression, Esther était "persuadée" qu’il y avait "un lien entre la pulsion de l’être humain au péché et la pulsion sexuelle incontrôlable des hommes", raconte-t-elle. "Et que, par conséquent, c’était quelque chose qu’on ne pouvait pas vraiment leur reprocher." Cette croyance a encouragé Esther à penser que "tout était normal" alors même qu’elle percevait des "choses anormales" chez cet homme, son professeur de philosophie.

"Quand j’étais en terminale, mon meilleur ami qui était à peu après mon seul ami d’ailleurs, s’est suicidé, je me suis retrouvé extrêmement seule à l’école." Un de ses professeurs a tenté de l’aider, un enseignant en philosophie diplômé en théologie. "Il a pu beaucoup me guider sur ce qui se passe à la mort selon l’Église." Il est devenu parrain de confirmation d'Esther et son "mentor spirituel". "Le problème, c’est que je me suis retrouvée à parler de religion et des choses les plus profondes qui m’habitaient avec à peu près personne d’autre. Et d’ailleurs je ne parlais avec personne d’autre. Ce qui fait que je me suis retrouvée dépendante de ma relation avec lui."

Ce professeur s'est mis à lui a envoyer des poèmes, puis des déclarations d’amour, puis des messages "de plus en plus passionnels" à caractère sexuel… La jeune femme ne savait pas qu’il était marié. Elle croyait à "une relation d’amitié amoureuse, où on se disait qu’on s’aimait mais on ne se touchait pas". Elle ne savait pas encore que cet enseignant avait déjà eu ce genre de relations, toujours avec des jeunes femmes en parcours de conversion.

 

La victime qui devait demander pardon

Après les viols, l’enseignant a admis qu’il avait abusé d’Esther... mais que le plus grave était qu’il avait trompé sa femme. "Quand il m’a dit ça, se souvient Esther, je ne me suis plus sentie en droit de dire que je n’allais pas bien, parce que la victime c’était sa femme. Je passais de victime à complice, en fait, parce que d’une certaine façon l’adultère, ça ne peut pas vraiment se faire tout seul." Esther a voulu se confesser. Le confesseur lui a dit de réciter dix chapelets "pour le couple de ce monsieur". Ce qu’elle a fait, en pleurant.

Le viol, "ça fait vraiment disparaître votre âme d’une certaine façon, en tout cas c’est comme ça que je l’ai ressenti", témoigne Esther. "J’ai mis vraiment longtemps à être capable ne serait-ce que de repenser « je », et de pouvoir parler à la première personne parce que j’avais vraiment l’impression d’être morte." Et ce n’est que progressivement qu’Esther a admis qu’elle n’était pas coupable. "Ça m’a beaucoup redonné une capacité à vivre."

 

Systémie : la place du prêtre en question

Une jeune femme en souffrance et en quête spirituelle, un homme qui joue de sa stature de théologien, un prêtre qui valide son statut de complice au cours d’une confession… L'histoire d'Esther nous aide à comprendre que la dimension systémique des agressions sexuelles dans l’Église catholique ne repose pas sur une cause mais procède d’un ensemble de raisons liées les unes autres.

L’une de ces raisons, pointée par la Ciase, est la place du prêtre. Et "le rapport de confiance, de très grande confiance qui existe entre les fidèles et les prêtres", observe Mgr Éric de Moulins-Beaufort. Dans l’Église catholique, "même si la théologie ne dit pas ça en tant que tel", il y a "des manières de considérer le prêtre comme un autre Christ, ipse Christus, alter Christus", relève le théologien Joël Molinario. "Quand je suis devenu curé de paroisse, raconte le président de la CEF, j’ai découvert chez certains fidèles un rapport au prêtre que je ne connaissais pas. Un besoin de trouver un maître, un conseiller, un oracle…"

Des subtilités théologiques qui ne sont pas forcément accessibles au commun des mortels, une forme de crédulité populaire prompte à fabriquer des superhéros, des saints ou des gourous, des personnalités toxiques qui savent profiter des ambigüités de l’Église catholique et de la naïveté des fidèles pour imposer leur pouvoir et leur obsession… Pour le président de la CEF, "l’Église, contrairement à ce que l’on croit, c’est un grand monde de liberté où chacun peut faire un peu ce qu’il veut. Et donc il faut que nous soyons très attentifs malgré tout au systèmes de régulations qui existent que nous devons tenir…" Ce qui manque, ce sont bien des espaces de régulation.

 

Visuel du podcast Silence, on crie ©Pernille Simone - RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
Silence, on crie
Visuel du podcast Silence, on crie ©Pernille Simone - RCF
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