L'Abbé Pierre, figure emblématique de l'Église et fondateur du mouvement Emmaüs, est accusé d'agressions sexuelles par plusieurs femmes pour des faits survenus entre la fin des années 70 et 2005. Patrick Goujon, prêtre jésuite et théologien, est l'auteur de Prière de ne pas abuser (ed. Seuil), un livre dans lequel il témoigne des agressions sexuelles dont il a été victime enfant, commises par un prêtre. Interrogé par Pierre-Hugues Dubois, Patrick Goujon souligne la nécessité de reconnaître l'ambivalence humaine même chez des figures de grande notoriété comme l'abbé Pierre, ainsi que l'importance pour l'Église de ne pas transformer les prêtres en icônes ou en figures de sainteté.
Les révélations d'agressions sexuelles de l'Abbé Pierre ont suscité la consternation et l'indignation au sein de l'Église française et au-delà. Connu pour son combat emblématique contre le mal-logement, l'image de l'abbé Pierre est gravement affectée par ces actes.
La réaction initiale des organisations comme Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre, ainsi que la Conférence des évêques, à écouter et reconnaître les victimes dès 2023, représente un pas significatif. Ces actions font suite aux directives établies après le rapport Sauvé par la Conférence des évêques de France.
" Ce qui est le reflet d'un changement de mentalité, en tout premier, c'est la prise de parole de ces victimes. Pouvoir prendre la parole sans être stigmatisé, c'est la nouveauté. Autrefois, on demandait aux victimes de se taire. Puis il y a ce qu'Emmaüs a entrepris de faire, c'est-à-dire de prendre au sérieux la plainte de ces personnes et de faire une enquête", explique Patrick Goujon.
Selon Patrick Goujon, l'accélération mentale subie lors d'une agression fige ce moment et persiste par la suite. La honte est également un facteur majeur, et empêche souvent les victimes de s'exprimer. Une fois cette barrière franchie, elles doivent encore surmonter le mur du silence.
"Cela peut expliquer la lenteur des victimes à en parler. S'ajoute à ça, la dimension purement traumatique. La force de l'agression est tellement ressentie que la protection que le cerveau déclenche est une forme d'amnésie" , poursuit-il.
La renommée d'une figure symbolique comme l'abbé Pierre crée des obstacles tant pour les victimes qui veulent parler que pour ceux qui ont du mal à croire leurs témoignages, analyse Patrick Goujon. Les personnes célèbres bénéficient souvent d'une adulation qui peut rendre difficile la reconnaissance de leurs actes répréhensibles.
"Je pense que là on touche du doigt le problème fondamental de l'Église dans la représentation qu'elle se fait, qu'elle donne des hommes qui font le bien. Subitement, ils accèdent à un statut hors humanité en quelque sorte" , ajoute le prêtre jésuite.
La seule icône, c'est le Christ. C'est absolument capital
Aucun être humain n'est exempt d'ambivalence, ce qui les distingue du Christ, argumente Patrick Goujon. Dans la tradition chrétienne, les saints, depuis l'Antiquité jusqu'au Moyen-Âge, ont souvent mis en avant leurs propres péchés pour éviter l'erreur de confondre leur humanité avec la perfection divine.
L'exemple de l'abbé Pierre, qui avait publiquement exprimé ses défis avec le célibat, illustre cette nécessité de transparence et d'acceptation des vulnérabilités humaines plutôt que de promouvoir une image de sainteté absolue.
"L'Église a vraiment besoin de revoir les images de la sainteté qu'elle produit. Un saint n'est pas un homme qui a réglé tous les problèmes de l'humanité. Nous ne sommes pas des icônes, c'est impossible théologiquement et humainement. Qui peut prétendre cela ? Notre vie spirituelle est faite de la reconnaissance de ces ambivalences que l'on porte" , conclut Patrick Goujon.
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