L'affaire abbé Pierre survient environ trois ans après la remise du rapport Sauvé sur les agressions sexuelles dans l'Église catholique. Cela signifie-t-il qu'il reste encore du chemin avant de faire toute "la lumière" sur ces affaires ? À l’occasion de la sortie du podcast Silence, on crie, Stéphanie Gallet s’entretient avec le président de la Ciase, Jean-Marc Sauvé.
Il y a trois ans, le 5 octobre 2021, la Ciase, commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, a publié son rapport. Sa mission était de "faire la lumière" sur les agressions sexuelles commises au sein de l’institution ecclésiale en soixante-dix ans. Depuis, plusieurs affaires ont eu un écho retentissant dans les médias. La dernière en date : l’affaire abbé Pierre. Signifie-t-elle que l’Église de France n’a pas fini de "faire la lumière" ? À l’occasion de la sortie du podcast Silence, on crie, Stéphanie Gallet s’entretient avec le président de la Ciase, Jean-Marc Sauvé.
La Ciase a recueilli "très peu" de témoignages sur l’abbé Pierre, explique Jean-Marc Sauvé. Toutefois, le 22 mars 2019, ce dernier a lui-même reçu une lettre datée du 20. Une lettre "extrêmement claire, avec une douzaine de lignes accablantes". Son auteure, une femme, relatait des faits remontant aux années 1989-1990. "L’appel à témoignage n’est pas lancé mais je réponds immédiatement à cette personne, raconte Jean-Marc Sauvé, pour lui exprimer ma sympathie et proposer de l’entendre. Une autre lettre, pas de réponse…"
Plus tard, le président de la Ciase apprendra que cette femme est décédée en juin 2019. Ce sont les enfants de cette femme qui lui ont appris son décès. Ils sont tombés sur les lettres de Jean-Marc Sauvé et d’Antoine Garapon, membre de la Ciase, dans les papiers de leur mère. Et ont voulu savoir de quoi leur mère avait été victime.
"On se pose la question de savoir ce qu’on peut révéler aux enfants, raconte alors Jean-Marc Sauvé, parce que beaucoup de victimes d’agressions sexuelles de 50, 60, 70 ans, n’en ont jamais parlé à leurs enfants et ne veulent surtout pas que leurs enfants soient tenus au courant." La Ciase a finalement décidé de confier la lettre de leur mère aux enfants.
Depuis juillet 2024, j’ai appris beaucoup de choses sur l’abbé Pierre que je n’en ai accumulé en trois ans à la Ciase
En créant la Ciase, fin 2018, l’Église catholique entamait une démarche de vérité. C’était d’ailleurs la mission de cette commission indépendante : "faire la lumière" sur les agressions sexuelles commises au sein de l’Église catholique entre 1950 et 2020. Trois ans après la remise du rapport Sauvé, c’est une affaire retentissante qui éclate. L’abbé Pierre était connu bien au-delà de la sphère catholique. Il a été plusieurs fois recensée parmi les "personnalités préférées des Français".
Les dix-sept témoignages recueillis un cabinet spécialisé rendus publics le 6 septembre 2024, évoquent pour certains des agressions sexuelles commises dès 1951. Ces révélations font suite à la publication, le 17 juillet dernier, du communiqué d’Emmaüs International, d’Emmaüs France et de la Fondation Abbé Pierre, qui a précipité l’affaire abbé Pierre.
Dans les années cinquante, Henri Grouès jouissait d’une certaine notoriété sous le nom d’abbé Pierre - nom qu’il a gardé de ses années de résistance. Il avait déjà lancé son fameux "appel" sur les ondes à l’hiver 1954, et fondé le mouvement Emmaüs, en 1949. Sa réputation de figure de charité était faite. Cet homme, entré dans la vie religieuse à l’âge de 20 ans, a mené après la guerre une carrière politique, au nom de ses convictions chrétiennes.
L’affaire abbé Pierre signifie-t-elle que l’Église de France n’a pas encore fait toute la lumière ? "Depuis juillet 2024, j’ai appris beaucoup de choses sur l’abbé Pierre que je n’en ai accumulé en trois ans à la Ciase", confie Jean-Marc Sauvé. La CEF a autorisé, le 12 septembre dernier, de façon exceptionnelle l’accès aux archives sur l’abbé Pierre. Sans doute faut-il s’attendre à de nouvelles révélations.
"Cette affaire révèle, selon Jean-Marc Sauvé, notre cécité et notre aveuglement collectif." Pourtant, l’épiscopat français avait pris des mesures, surtout après le voyage de l’abbé Pierre aux États-Unis en 1955. "Au regard des usages de l’époque, ce qui a été fait était, honnêtement, extrêmement sérieux, extrêmement rigoureux", estime le président de la Ciase. Il rappelle l’existence d’un organisme destiné à prendre en charge les prêtres qui posaient problème, le Secours sacerdotal, devenu Entraide sacerdotale.
"Le problème, c’est que ce dispositif-là n’a pas été maintenu au-delà d’une certaine période." Pour Jean-Marc Sauvé, c’est au tournant des années 70 que l’institution ecclésiale, affaiblie par le départ de nombreux prêtres et la baisse des vocations, a perdu le contrôle. Elle a selon lui manqué de "ressources" et "d’effectifs" pour contrôler les "déviances".
Toutefois, estime Jean-Marc Sauvé, dans le cas de l’abbé Pierre "on ne fera croire à personne que seule l’Église catholique était informée". Selon le président de la Ciase, "il y a eu d’une manière générale, un ralliement sans état d’âme à une politique de silence – c’était la loi à l’époque, on n’en parlait pas, qu’il s’agisse des instituteurs, qu’il s’agisse des professeurs quand il y avait un scandale, on les éloignait mais d’une manière générale on ne faisait rien." Quant aux bénéfices réalisés grâce à l’abbé Pierre, "tout le monde était extrêmement conscient des retombées positives", rappelle Jean-Marc Sauvé, que ce soit au sein de l’Église que des "œuvres qu’il avait créées".
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
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