Le jubilé de l'espérance, que célèbre l'Église catholique en 2025, trouve ses origines dans les textes communs avec la tradition juive. L'année sainte est en effet un héritage du peuple hébreu. Mais qu'en est-il de l'espérance dans le judaïsme ?
"L’espérance est une notion qui est au cœur de la tradition juive", nous dit le rabbin Yann Boissière, du mouvement libéral, fondateur de l'association les "Voix de la Paix", et auteur du livre "Le devoir d’espérance - Faire face à la crise spirituelle" (éd. Desclée de Brouwer, 2024). Contrairement à ce que pensent parfois les chrétiens, l’espérance dans le judaïsme n’est pas uniquement liée à l’attente du messie. Certes, l’idée de Mashia'h existe dans la Bible hébraïque. Elle est liée à la notion de guéoula, c'est-à-dire de rédemption. "Mais il y a une insistance dans le judaïsme pour dire que c’est ici et maintenant que ça se passe, explique Yann Boissière. Le messie ne viendra qu’une fois qu’on aura réalisé le travail." Celui de réparer le monde.
"Tikoun olam", ou réparer le monde, c’est "le slogan emblématique juive de l’éthique juive", nous dit Yann Boissière. Notion issue de la Kabbale, de la tradition mystique juive, selon laquelle "le monde a été créé par Dieu fondamentalement orienté vers le bien" mais inachevé. Dans le premier livre de la Torah, on lit que Dieu crée le monde en six jours et que le septième jour il se repose. En réalité les juifs disent que Dieu fait shabbat, qu’il "cesse". "Il cesse pour laisser la place à l’Homme, pour qu’il emmène le monde dans un état meilleur. C’est le sens de l’alliance, reconnaître que tout m’est pratiquement donné mais que j’ai un travail de réparation à faire du monde. L’espérance est là, déjà, dès les premiers jours de la création."
"Olam" désigne en réalité "l’espace-temps", précise Yanne Boissière. "Le monde au sens spatial et temporel", qui est "la dimension donnée par Dieu pour y faire notre travail d’Homme, à savoir se relier à notre prochain, essayer de faire la paix, essayer d’améliorer les choses…" Ainsi, réparer le monde c’est être responsable de la planète mais aussi du prochain. "La réparation est très liée à l’idée de responsabilité."
À rebours de l’idée de l’espérance perçue comme un don ou une grâce que l’on reçoit, l’espérance est liée à "cette grande invention de la Bible" que "Dieu nous donne la capacité d’agir", selon les mots de Yann Boissière. "Le judaïsme est une religion de l’action qui fait appel à la responsabilité." C’est ainsi que l’on peut comprendre la question que Dieu pose à l’homme au jardin d’Éden, "ayeka" - "où es-tu ?" (Gn 3, 29). "Dieu nous met en position de responsabilité : Constitue-toi un « je », un foyer de responsabilité dans le monde. C’est ça le premier message divin."
Nous avons la capacité d’être différents, de nous ouvrir à des dimensions différentes
Une responsabilité qui ne va pas sans la liberté. Dans son livre, le rabbin Yann Boissière écrit que "la Bible croit à la liberté de choix". C’est l’une des grandes révolutions aux origines du judaïsme, que de proposer à l’époque antique, un autre rapport au temps. "La grande invention de la Bible, c’est la flèche du temps : le temps est linéaire et donc il ne revient jamais au même endroit les choses progressent." Nous ne sommes plus dans "le monde de l’éternel retour où tout est écrit d’avance".
Dès lors, le temps est "consubstantiel avec l’idée de liberté". "À chaque moment, j’ai la capacité d’orienter les choses plutôt à droite ou à gauche, vers le bien vers le mal. Et le monde dépend de mes choix, est sensible à mes choix."
Dans la tradition juive, l’année commence avec les fêtes de Roch Hachana et Yom Kippour, que séparent les dix jours de techouva. Un mot central dans le judaïsme, que l’on traduit par "repentance" mais aussi "retour". "L’année juive s’ouvre sur la dimension de savoir se réinventer, explique Yann Boissière. Le judaïsme croit en la capacité de l’homme de se reprogrammer… Aller fouiller dans notre passé pour quelque part reprogrammer notre avenir : c’est une grande idée du judaïsme ! Nous avons la capacité d’être différents, de nous ouvrir à des dimensions différentes."
Et si nous étions paralysés, empêchés d’agir parce que saturés d’informations, "incapables de rêver le monde, de rêver à demain et de se lancer dans l’action sans tout maîtriser" ? "Le devoir d’espérance" est un essai engagé où le rabbin Yann Boissière dresse la liste des maux de notre société. Parmi eux, "un aspect de la culture peut-être un peu cartésienne dans laquelle on vit, à savoir une prédominance de l’intellect". Pour lui, nous vivons dans l’illusion de croire que parce qu’on aurait un maximum d’informations sur le monde, on pourrait d’autant plus le contrôler. "La surinformation nous phagocyte, et nous empêche d’agir, en fait."
"Na’asse ve nishma" - "Nous ferons puis nous écouterons" - répondent les Hébreux à Moïse dans la Bible, au moment du don de la Torah et l’alliance avec Dieu. "C’est une très vieille leçon spirituelle de nos frères hébreux, commente Yann Boissière, qui nous dit qu’il faut se lancer dans le monde avec un degré de confiance certain mais sans illusion de tout dominer."
De même, à l’action doit succéder le laisser-faire. Il y a une ambivalence dans la tradition juive entre la "halakha", la loi juive, synonyme d’effort et de volonté, et puis faire "techouva", revenir à soi, vers sa pauvreté intérieure. Comme les deux faces d’une même médaille.
"On frappe une note, décrit Yann Boissière, ça c’est l’action, c’est affirmation. Et puis il y a la résonnance derrière et ce moment, qui ne nous appartient pas vraiment, qui appartient peut-être à Dieu, qui est la conséquence des choses, le reflux de choses, la résonnance des choses, où se font entendre d’autres harmoniques... La sagesse de l’action c’est aussi de laisser faire."
Comment comprendre les rites, les fêtes qui rythment le calendrier hébraïque ? Comment lire la Bible à la lumière de la tradition juive ? Qu’apporte la lecture du Talmud ou les textes de Maïmonide à un croyant juif... ? Chaque semaine, dans un dialogue avec un fin connaisseur du monde juif, Odile Riffaud nous fait entrer dans la richesse de cette tradition religieuse qui est à la racine du christianisme et de l’islam.
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