Le regard d'un citoyen concerné sur son territoire, pour une transition intelligente de la société.
Une invitation à l'engagement, en partenariat avec Motris.
Jean-Marc Bechler est originaire de Metz. Il a joué de la musique pendant plus de 25 ans dans diverses formations (souvent rock) en tant que
bassiste. Concernant le théâtre, il fait ses premières expériences sur les planches dans diverses troupes amateures (et notamment le Théâtre d'Y Voir entre 1999 et 2003). Après quelques années de café-théâtre, il décide de suivre une formation à Paris. Il s’inscrit en 2010 à l’école de théâtre & cinéma «l’Entrée Des Artistes», parrainée par Jean-Paul Belmondo. Les
cours sont dirigés par Olivier Belmondo.
S’intéressant parallèlement à la Commedia Dell Arte, il participe à plusieurs stages organisés par Patrick Forian, un spécialiste en la matière. C'est à partir de 2011 que Jean-Marc décide d'écrire sa première pièce. Il réintègre ensuite le Théâtre d'Y Voir en tant que comédien, auteur et metteur en scène.
Durant l'été 2015, il prend part à un stage de réalisation à Phalsbourg avec les "Tréteaux de France", compagnie théâtrale parisienne dirigée par Robin RENUCCI. Depuis, divers projets se sont enchaînés dont le festival Mécleuves en Scène.
Merci à Marie-José Georges, responsable de la communication du Centre Pompidou Metz grâce à qui cette rencontre a été rendue possible. Merci également à Matthieu Verdeuil pour son documentaire Visas pour la liberté qui retrace cette histoire poignante, l'histoire du journaliste américain Varian Fry, envoyé à Marseille pendant la Seconde Guerre mondiale avec une liste de 200 artistes, intellectuels, juifs et antinazis pour les aider à quitter la France occupée. Il parviendra à sauver plus de 2000 personnes du régime de Vichy, en partance vers l’Amérique. Cette histoire oubliée ressurgit aujourd’hui dans un quartier sensible de Marseille qui abritait alors à la Villa Air-Bel André Breton et le groupe des surréalistes en exil.
André Masson a lui aussi bénéficié de l’aide de Varian Fry et participé aux créations collectives surréalistes, notamment le jeu de carte de Marseille. Son fil Diego est l’un des témoins essentiels de cette histoire, en chemin vers les États-Unis. Fils de l'artiste André Masson et neveu par alliance du psychanalyste Jacques Lacan, Diego Masson témoigne de son rapport familial et inspirant avec ces deux figures culturelles majeures de notre Histoire auxquelles le Centre Pompidou Metz a consacré simultanément deux expositions capitales. Diego Masson est lui-même un musicien accompli et un chef d'orchestre novateur. Il a étudié le piano et la composition au Conservatoire de Paris. Dès l'obtention de son diplôme, il rejoint le Domaine musical comme percussionniste et entame des études de direction d'orchestre auprès du directeur du groupe, Pierre Boulez. En 1966, il crée Musique Vivante, un groupe spécialisé dans la musique contemporaine qu'il dirige jusqu'en 1989. Il revient sur ses années d'enfance durant la guerre et raconte comment le "Juste" Varian Fry lui a sauvé la vie ainsi qu'à toute sa famille à Marseille en 1940 et 1941.
Fry était officiellement à Marseille en tant que journaliste mais en fait envoyé par l'Emergency Rescue Committee (ERC) (Comité de sauvetage d'urgence) qui officia sous le nom de « Centre américain de secours », le 14 août 1940. « Fry est arrivé à Marseille en août avec 3 000 dollars, une petite valise et une liste de quelque deux cents écrivains et artistes en danger. Presque immédiatement il s'est trouvé confronté à un drame humain majeur et ce qui devait être une mission de reconnaissance de trois semaines se transforma en une aventure éprouvante de treize mois ». L'opération de sauvetage consistait à attribuer deux cents bourses à « certains des meilleurs scientifiques et universitaires européens » pour les aider à fuir l’Europe et à se réinstaller outre-Atlantique. Sa mission était d'aider des intellectuels, artistes, écrivains et antinazis, dont certains militants trotskystes6, à fuir l'Europe. Il s'installa tout d'abord à l'hôtel Splendide où il avait rencontré un autre Américain, Franck Bohn, envoyé par la Fédération américaine du travail (AFL) et aidé par le Jewish Labor Committee (JLC) pour aider des militants syndicalistes ou socialistes à s'enfuir.
Malgré la surveillance du régime de Vichy, il cache de nombreuses personnes et les aide à s'enfuir. Il loge pendant quelques mois à la villa Air-Bel. Plus de 2 200 personnes se réfugièrent notamment au Portugal, alors neutre, avant de se rendre aux États-Unis. D'autres passèrent par la Martinique, comme André Breton, André Masson et sa famille ou Victor Serge. Les plus proches collaborateurs de Varian Fry furent Miriam Davenport (en), ancienne étudiante de l'Institut d'art et d'archéologie à la Sorbonne, Mary Jayne Gold, héritière à la vie romanesque, Daniel Bénédite, Albert Hirschman, Franz von Hildebrand (Franzi von Hildebrand), Charles Fawcett, Leon Ball, Jean Gemähling ou Charles Wolff. Il a également bénéficié de l'aide financière de Peggy Guggenheim. Fry fut grandement aidé par Hiram Bingham IV, vice-consul américain à Marseille, qui combattit l'antisémitisme du département d'État et sa politique frileuse en matière de visas. Hiram Bingham IV n'hésita pas à délivrer des milliers de visas, vrais ou faux. Visas et faux papiers furent organisés par tous les moyens disponibles, y compris des contacts avec le « milieu » marseillais. Ils sont finalement près de deux mille à en bénéficier, généralement des intellectuels ou des artistes de renom comme Claude Lévi-Strauss, Max Ernst, André Breton, Hannah Arendt, Marc Chagall, Lion Feuchtwanger, Heinrich Mann, Walter Mehring, Alma Mahler, Anna Seghers, Arthur Koestler, Jacques Hadamard ou Otto Meyerhof. Quant aux autres, les anonymes qui ne sont pas sur la liste et qui assiègent jour et nuit le consulat américain, ils n’ont guère d’illusions à se faire, car, comme l’explique Varian Fry dans son livre Surrender on Demand, « nous refusons d'aider quiconque n'est pas recommandé par une personne de confiance ». Cette politique déplut au régime de Vichy et au gouvernement américain, alors neutre dans le conflit européen. L'intendant de police de Marseille, Maurice de Rodellec du Porzic, obtint son départ. Après s'être fait confisquer son passeport par les autorités américaines, Varian Fry dut peu après quitter le territoire français le 16 septembre 1941.
Qu'est-ce qui motive un homme à prendre autant de risques pour témoigner de ces guerres lointaines et des souffrances humaines en esthète? Amoureux des livres de voyageurs et d'aventuriers, ses modèles sont Jack London, Joseph Kessel, Joseph Conrad mais aussi Goethe et Cervantès. Quoi de plus évident pour cet écrivain voyageur que de rendre hommage à Joseph Kessel, qui fut tout à la fois romancier, reporter, combattant et académicien ? Olivier Weber nous raconte comment il a marché dans les pas du grand romancier. "Les livres c'est ma famille, c'est un pays sans frontière, c'est un passeport". Comme correspondant de guerre pour le The Sunday Times, Libération, Le Point, il a couvert plus d'une vingtaine de conflits dans le monde, en Irak, en Birmanie ou en Afghanistan aux côtés du commandant Massoud puis de son fils. Il est allé infiltrer des guérillas et des cartels de trafiquants de drogue. Devenu ambassadeur de France itinérant de 2008 à 2013, il a lutté contre le trafic des êtres humains. Qu'est-ce qui motive un homme à prendre autant de risques pour témoigner de ces guerres lointaines ou des souffrances humaines ? "Pour moi, le reportage il commence ici, il commence aux portes de Paris dans nos banlieues, dans des villes de Province, dans les restaurants, dans les arrière-boutiques, dans les arrière-cuisines, pour voir les gens, ce qui est important c'est la passion de l'humain." "J'ai davantage appris des guerres par des romans que par des essais." Lauréat des prix Albert-Londres et Joseph-Kessel, pour ne citer qu'eux, Olivier Weber affirme "ne plus faire, ou très peu, de distingo entre la littérature du réel, qui est le grand reportage, qui est le document, qui est le récit, qui est l'essai, et deuxièmement l'imaginaire, la fiction. Parce que la fiction vous permet de réenchanter le réel et de mieux l'expliquer."
Les livres qui ont changé sa destinée ? "Götz von Berlichingen", de Goethe, et "Don Quichotte" de Cervantes. Des livres qu'à l'âge de huit ans il lisait sous sa couette au pensionnat. "J'ai eu la chance d'avoir entre les mains des livres de Goethe et de Cervantès". Adolescent, ce fils d'une famille modeste du Mercantour lisait "Goethe en allemand et Cervantès en espagnol à [ses] chèvres". Jeune berger dans la vallée de la Roya, il rêvait de "parcourir le monde" et de franchir ce qu'il appelle les "frontières visibles et les frontières invisibles", celles qui séparent les hommes en castes et en milieux sociaux. "Si tu dois traverser l'Enfer, continue à voyager, à travailler et à aimer: J'étais malheureux dans ma tête", explique-t-il, ce pourquoi en regardant des montagnes il se disait "je peux les franchir, je peux espérer de meilleurs lendemains". Aujourd'hui encore, "l'espérance d'un meilleur avenir", c'est cela qui l'anime. "J'écris avec cette sensation, ce sentiment, je crois qu'on on écrit non pas dans le malheur, mais dans ce besoin d'espérance." Olivier Weber est l'auteur de près de 30 romans, essais et biographies. Il a été secouriste en mer à Nice, a suivi des études d'économie et d'ethnologie, il est titulaire d'un un doctorat de droit international et d'un diplôme américain en management, il a appris l'indonésien et le malaisien. "Toutes ces marches ont été gravies une par une, je ne pense pas que j'ai du mérite", dit-il. Pour lui, le secret c'est le travail, il dit "le travail, le travail, le travail", comme Jack London en son temps. "20 ans d'efforts" et une vie à écumer les pages d'innombrables livres. "Les livres c'est ma famille, c'est un pays sans frontière, c'est un passeport.
Peut-on encore partir à l'aventure au XXIe siècle, à l'heure du surtourisme ? Cela fait plusieurs années qu'Olivier Weber, écrivain et grand reporter, cultive l'esprit d'aventure. Pour lui, l'aventure est synonyme de rupture, de refus du confort tel que nous les offrent les sociétés occidentales modernes. Et si on cédait à notre "pulsion de nomade" ? "Il faut être prêt à affronter l’inconnu, il faut être prêt à aller vers le mystère." L’aventure on l’associe le plus souvent aux grandes découvertes de la Renaissance ou aux explorations du XIXe siècle. Aujourd’hui, elle a ses voyagistes, qui font venir des milliers de personnes aux mêmes endroits. Quelle aventure vit-on quand on reste connecté à internet ou quand on ne quitte pas un certain confort ? Comment parler d’aventure aux hommes et aux femmes du XXIe siècle ? Avec son "Dictionnaire amoureux de l’aventure" (éd. Plon, 2024) Olivier Weber partage sa propre vision de l’aventure, qui va avec le goût du risque, du mystère et même de l'absurde... Grand reporter pour Le Point, Olivier Weber a été correspondant de guerre en Afrique et au Moyen-Orient. Il a couvert de nombreux conflits et guérillas en Iran, en au Tchad, en Chine, en Tchétchénie, en Russie, au Kosovo. En particulier, cet amoureux de l’Orient s’est rendu de nombreuses fois en Afghanistan, où il a côtoyé le commandant Massoud. Sa vision de l’aventure ressemble au goût du risque. "Il faut être prêt à affronter l’inconnu, il faut être prêt à aller vers le mystère. Il y a quelque fois un côté aventure, péril, goût du risque, qui n’est pas sans analogie avec l’absurde." "Absurde", c’est d'ailleurs la première entrée de son "Dictionnaire amoureux". Ce qui peut sembler étonnant de la part d’un reporter, en quête de ce qui est factuel. S’il y a "un côté irrationnel" dans l’aventure selon Olivier Weber, c’est parce qu’en un sens il s’agit de "repousser le réel". C’est-à-dire repousser les frontières de ce qui est connu, prêt à se laisser déposséder de ce que l’on sait. À 65 ans, Olivier Weber s’est aussi imposé dans le paysage littéraire. Auteur de romans, essais et récits de voyage, il a reçu de nombreux prix, dont le prix Joseph-Kessel et le prix Albert-Londres.
Deux auteurs qui lui ont appris l’esprit d’aventure - Olivier Weber est aussi l'auteur en 2019 d'un "Dictionnaire amoureux de Joseph Kessel". Ce qui ressemble à "une quête philosophique" mais aussi "de sentiment, d’émotions… de paysages terrestres et humains. Même si on a tout exploré on peut ré-explorer avec le cœur avec les yeux grands ouverts." À l’adolescence, quand il était berger, il a associé la découverte des grandes espaces à celles des univers de Goethe, de Cervantès, de Conrad. Moi j’ai le goût de la rupture, du voyage, de l’inconnu, de l’aventure depuis l’enfance, et je ne pense pas que je l’abandonnerai de sitôt L’aventure, cela commence souvent par "une rupture". C’est refuser ce que proposent nos sociétés modernes, l’assurance du confort. "Chacun dans sa vie, à un moment, a besoin de ruptures. D’autres l’ont toute leur vie. Moi j’ai le goût de la rupture, du voyage, de l’inconnu, de l’aventure depuis l’enfance, et je ne pense pas que je l’abandonnerai de sitôt."Et si on cédait collectivement à notre pulsion de nomades ? "On a encore ce côté nomade en nous, on s’aperçoit qu’on n’est pas fait pour rester assis toute la journée." Pour Olivier Weber, notre civilisation "trop sédentarisée, est mortelle". Il en est convaincu, "on a besoin mettre en avant cette pulsion cet élan, ce mouvement".
Boualem Sansal commence à écrire pendant la guerre civile algérienne en 1995. Il est l'un des auteurs les plus censurés du monde arabe car il s'attaque à la fois à la corruption endémique des régimes politiques et aux islamistes. Il cherche à entrer dans l'esprit de ses compatriotes, pour tenter de comprendre puis d'expliquer ce qui a mené à l'impasse politique, sociale et économique de son pays, et à la montée de l'islamisme. En 1999, il publie son premier roman, Le Serment des barbares, qui reçoit le prix du premier roman et le prix Tropiques. Sansal est connu pour ses propos critiques envers toute forme de religion, et l'islam en particulier : « La religion me paraît très dangereuse par son côté brutal, totalitaire. L'islam est devenu une loi terrifiante, qui n'édicte que des interdits, bannit le doute, et dont les zélateurs sont de plus en plus violents. Il faudrait qu'il retrouve sa spiritualité, sa force première. Il faut libérer, décoloniser, socialiser l'islam. »Marianne Payot, « Boualem Sansal : « Il faut libérer l'islam » », L'Express, 14 août 2011. Il met régulièrement en garde contre la progression de l'islamisme, particulièrement en France. À la fondation Varenne, le 13 décembre 2016, il déclare : « [Les Algériens sont] inquiets parce qu’ils constatent jour après jour, mois après mois, année après année, que la France ne sait toujours pas se déterminer par rapport à l’islamisme : est-ce du lard, est-ce du mouton, est-ce de la religion, est-ce de l’hérésie ? Nommer ces choses, elle ne sait pas, c’est un souci. Pendant ce temps, le boa constrictor islamiste a largement eu le temps de bien s’entortiller, il va tout bientôt l’étouffer pour de bon. » Il écrit : « La vérité se tient mieux dans le silence » ; ainsi que : « Dieu appartient à qui s'approprie son message. » Et, dans 2084 : la fin du monde : « La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n'est plus fort qu'elle pour faire détester l'homme et haïr l'humanité. » Sansal est très critique envers les pouvoirs : « Bouteflika est un autocrate de la pire espèce […] C'est pourtant lui que les grandes démocraties occidentales soutiennent et à leur tête la France de Sarkozy. » Il ajoute : « Je pense souvent à l'exil mais où, chez Bush, chez Sarkozy ? Remplacer un malheur par un autre n'est pas ce qu'on peut appeler une bonne décision. » Et, dans Dis-moi le paradis, il s'en prend aussi à « la bêtise souveraine » : « Vinrent les guerres, toutes les guerres, les mouvements de population, les holocaustes, les famines, les déclarations solennelles, les liesses propices aux mensonges, les longues attentes sur le qui-vive, puis les guerres reprirent, les clivages de fer, les vieilles haines ressuscitées, les exils, les exodes, et encore les mots qui blessent, les mots qui tuent, les mots qui nient. Mais toujours, inchangée dans la guerre ou la paix de l'entre-deux, marchant en tête, discourant à perte de vue, pontifiante et grossière : la bêtise souveraine. » Son livre Poste restante, Alger, une lettre ouverte à ses compatriotes, est resté censuré dans son pays. Après la sortie de ce pamphlet, il est menacé et insulté, mais il décide de rester en Algérie. Il publie Petit éloge de la mémoire, récit épique de l'aventure berbère. En 2003, Boualem Sansal est rescapé du séisme meurtrier qui a touché sa région à Boumerdès. Après avoir été porté disparu pendant un certain temps, il est retrouvé grâce à un appel lancé par la télévision algérienne. Son troisième roman, Dis-moi le paradis, publié en France en 2003, est une description de l'Algérie post-coloniale, à travers les portraits de personnages que rencontre le personnage principal, Tarik, lors de son voyage à travers ce pays. Le ton est très critique envers le pouvoir algérien, se moquant de Boumédiène, critiquant ouvertement la corruption à tous les niveaux de l'industrie et de la politique, l'incapacité à gérer le chaos qui a suivi l'indépendance, et attaquant parfois violemment les islamistes. Ce livre est l'une des raisons qui conduisent le pouvoir à limoger l'auteur de son poste au ministère algérien de l'Industrie. En 2005, s'inspirant de son histoire personnelle, il écrit Harraga (harraga signifie « brûleur de route », surnom que l'on donne à ceux qui partent d'Algérie, souvent en radeau dans des conditions dramatiques, pour tenter de passer en Espagne). Pour la première fois, les personnages principaux sont deux femmes : Lamia, médecin pédiatre qui vit dans la misère à Alger, et Cherifa qu'elle recueille alors que cette dernière est enceinte de cinq mois. Encore une fois, le ton est très critique envers le pouvoir algérien : l'argent du pétrole coule à flots, mais l'argent étant accaparé par une minorité de dirigeants, le peuple est dans la misère et les jeunes vont tenter leur chance ailleurs, pendant que ceux qui ne peuvent pas partir restent dans la misère et la peur. Son roman Le Village de l'Allemand, sorti en janvier 2008, est censuré en Algérie, car il fait le parallèle entre islamisme et nazisme. Le livre raconte l'histoire du SS Hans Schiller, qui fuit en Égypte après la défaite allemande, et se retrouve ensuite à aider l’Armée de libération algérienne, pour finalement devenir un héros de guerre et se retirer dans un petit village perdu. Le livre s'inspire d'un destin réel, découvert par la presse dans les années 1980. En mars 2008, il choisit de se rendre au Salon du livre de Paris, malgré la polémique soulevée dans le monde arabe quant au choix d'Israël comme invité d'honneur et l'appel au boycott venant des pays arabes et de certains intellectuels. Il s'en explique par la formule : « Je fais de la littérature, pas la guerre », ajoutant : « La littérature n'est pas juive, arabe ou américaine, elle raconte des histoires qui s'adressent à tout le monde. » Il publie une nouvelle fable futuriste et prophétique, Le Train d'Erlingen ou La Métamorphose de Dieu chez Gallimard, réflexion sur les crises migratoires et la montée en puissance de l'islamisme en Europe. Il déclare : Oui, l'Europe a peur de l'islamisme, elle est prête à tout lui céder. […] La réalité en boucle n'a pas d'effet sur les gens, en apparence du moins. On l'a vu en Algérie durant la décennie noire : les gens qui, au début, s'émouvaient pour une victime du terrorisme ont fini après quelques mois de carnage par ne ressentir d'émotion que lorsque le nombre des victimes par jour dépassait la centaine, et encore devaient-elles avoir été tuées d'une manière particulièrement horrible. Terrible résultat : plus les islamistes gagnaient de terrain et redoublaient de cruauté, moins les gens réagissaient. L'info tue l'info, l'habitude est un sédatif puissant et la terreur, un paralysant violent. » Boualem Sansal habite près d'Alger, dans la ville de Boumerdès.
Merci à Pascal Didier et à son association Des mots et débats pour avoir organisé cette rencontre. Merci à eux de faire rayonner la Culture à Thionville et dans la vallée de la Fensch! Pour Valérie Zenatti qui est à la fois une autrice de roman et de nouvelles majeures et une traductrice très subtile de l'oeuvre d'Aharon Appelfeld de l'hébreu vers le français, traduire c'est se mettre au service d'une expérience qui vous élève et vous transforme dans les profondeurs de votre être. C'est l'expérience qu'a faite Valérie Zenatti en traduisant quatorze livres d'Aharon Appelfeld, depuis 2004, avec qui elle était liée d'une amitié profonde.
De ma rencontre avec elle, je retiens son amour pour les chansons de Leonard Cohen et pour l'homme si touchant et si spirituel qu'il était. Traduire c'est donc traverser l'incommunicable, c'est faire l'expérience de l'altérité, du Tout Autre et se rendre compte que lorsque l'Amour circule nous pouvons accomplir la traversée vers l'Autre sans qu'il n'y ait dans nos différences rien d'irréversible et d'inconsolable. Et écrire c'est en core traduire car le style, c'est notre part d'intraduisible qui va à la rencontre du monde. Kafka disait qu'il écrivait dans une langue étrangère dans sa propre langue. C'est cet effet d'étrangeté qui nous permet d'affirmer que notre nécessaire singularité peut dialoguer avec le reste du monde et à jamais rester dans le faisceau des vivants.
De retour dʹIsraël après lʹenterrement de lʹécrivain, en janvier 2018, Valérie Zenatti se plonge dans ses notes, dans les interviews de lʹauteur et les messages reçus de lui pour continuer à entendre sa voix. Elle se rend à Czernowitz où est né Appelfeld - aujourdʹhui en Ukraine, alors en Roumanie - pour ancrer dans un lieu réel cette "géographie si intime et précieuse" quʹil lui a transmise. Cʹest ainsi quʹelle peut "tisser son âme dans le faisceau des vivants". Trois figures et non deux sont au centre de son livre Dans le faisceau des vivants : Aharon Appelfeld, Valérie Zenatti et leur amitié, elle aussi personnage d’un roman sous le signe de la rencontre qui n’est pas seulement celle d’un immense écrivain et de sa traductrice, c’est celle d’un homme et d’une femme qui vont partager récits, langues et silences, c’est une évidence, une amitié unique, de celles, rares, qui dépassent les catégories et que seule l'écriture comme exercice spirituel vivant est à même de saisir.
Aharon Appelfeld l’écrivait dans Adam et Thomas, et la citation est en exergue du livre : « Quand on rencontre quelqu’un, c’est signe que l’on devait croiser son chemin, c’est signe que l’on va recevoir de lui quelque chose qui nous manquait. Il ne faut pas ignorer ces rencontres. Dans chacune d’elles est contenu la promesse d’une découverte ». Cette présence est le cœur battant du livre. Son titre, rappel d’une prière juive, "Et que son âme soit tissée dans le faisceau des vivants", est son art poétique : tisser ses propres mots à ceux d’Appelfeld, le célébrer, non sous la forme d’un hommage compassé mais dans la vibration, « le faisceau » de souvenirs à jamais présents, de phrases qui demeureront des phares. Jamais Aharon l’homme et ami, jamais Appelfeld, l’écrivain, ne disparaîtront, ils sont dans le présent absolu des livres et des vivants. "Ce qui m'unit à Aharon Appelfeld, c'est ce que j'entends quand je le traduis.
La force de l’œuvre d’Aharon Appelfeld est d’être à la fois, dans une réalité accessible à tous, parce qu’il n’a pas besoin de dire pour qu’on comprenne, mais aussi de résonner dans une dimension historique et intemporelle. Pour Aharon Appelfeld, après la seconde guerre mondiale et le régime nazi, il n’y a pas eu l’examen de conscience nécessaire, à savoir la réflexion de chaque être humain sur la façon de vivre après de telles ténèbres. Valérie Zenatti a traduit de nombreux livres dʹAharon Appelfeld, elle est aussi scénariste et écrivain. "Jacob, Jacob", son roman paru en 2014 a reçu le Prix du Livre Inter.
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