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Abus sexuels dans l’Église : un bilan de l'action de Benoît XVI

Un article rédigé par Odile Riffaud - RCF, le 4 janvier 2023 - Modifié le 13 septembre 2024

Par contraste avec Jean-Paul II, à qui il a succédé le 19 avril 2005, Benoît XVI est perçu comme le pape qui s’est réellement emparé du dossier des abus sexuels dans l’Église. Il est en effet le premier chef de l’Église catholique à avoir rencontré des victimes et fait entrer l’institution dans une démarche de repentance. Ses démarches n'ont pas empêché la polémique de ressurgir, moins d'un an avant sa mort. Quel bilan dresser de l’action de Benoît XVI dans la lutte contre les abus sexuels dans l’Église ?

Benoît XVI est le premier pape à avoir rencontré de victimes de prêtres pédocriminels ©Wikimédia commonsBenoît XVI est le premier pape à avoir rencontré de victimes de prêtres pédocriminels ©Wikimédia commons

Peu avant son élection, le 25 mars 2005, Benoît XVI comparait l’Église à "une barque qui prend l'eau de toutes parts". Avait-il conscience de l’ampleur du chantier qui l’attendait ? Une fois élu, il a demandé, lors de sa première homélie dominicale en tant que pape, que l’on prie pour lui, "afin [qu’il ne se] dérobe pas, par peur, devant les loups". 

Les mesures de Benoît XVI contre la pédocriminalité dans l’Église catholique

De 1981 à 2005, quand il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF), celui qui était encore Mgr Joseph Ratzinger a eu accès aux dossiers d’abus sexuels commis par des prêtres puisqu’il était notamment chargé de les étudier. Au sein de la Curie romaine il aurait été parmi les premiers à s’attaquer au problème. En 2004, peu avant la mort du pape polonais, il aurait demandé que soit relancée l’enquête sur Marcial Maciel Degollado (1920-2008), fondateur des Légionnaires du Christ et proche de Jean-Paul II. En 2006, une fois élu, Benoît XVI a demandé au fondateur de la Légion du Christ de renoncer à tout ministère public. Marcial Maciel a été en 2010 ouvertement accusé par le Saint-Siège d’actes pédocriminels. Pour certains, Joseph Ratzinger aurait manqué de fermeté quand il était préfet de la CDF et sa gestion du "dossier Marcial Maciel" fait l’objet de critiques.

Une fois élu pape, Benoît XVI s’est attaqué à la pédocriminalité dans l’Église sur plusieurs fronts : en prenant des sanctions à l’égard des prêtres auteurs d’abus et en renouvelant des appels à la vérité adressés au clergé. Ainsi, c’est d’abord aux évêques irlandais qu’il a demandé "la vérité sur les faits", en octobre 2006. Le 20 décembre 2010, dans un discours marquant devant la Curie romaine, il a déclaré : "Le visage de l’Église est couvert de poussière… Son vêtement est déchiré – par la faute des prêtres… Nous devons accueillir cette humiliation comme une exhortation à la vérité et un appel au renouvellement. Seule la vérité sauve." 

"Il faut absolument exclure les pédophiles du ministère sacré", a déclaré Benoît XVI en 2008 au sujet des prêtres abuseurs, dans l’avion qui le conduisait à Washington (source : journal Le Monde). Deux ans plus tard, le 15 juillet 2010, la Congrégation pour la doctrine de la foi publiait les "Nouvelles Normes sur les délits les plus graves". Normes venant renforcer les sanctions contre les prêtres pédophiles. Initiatives suivie en mai de l’année suivante d’une lettre circulaire de la CDF demandant aux évêques de prendre des mesures précises concernant les victimes et les coupables.

Benoît XVI, le premier pape à avoir rencontré des victimes de prêtres pédocriminels

Benoît XVI restera dans l’histoire comme le premier pape à avoir rencontré des victimes d’abus. C'était en 2008 lors de ses voyages aux États-Unis et en Australie – démarche qu’il a renouvelée par la suite. Il est aussi le premier à avoir ouvertement demandé pardon au nom de l’Église, pour les fautes commises par des prêtres pédocriminels. "Je suis vraiment profondément désolé pour la douleur et la souffrance que les victimes ont supportées", a-t-il déclaré à Sydney en 2008. Dans sa lettre aux catholiques d’Irlande du 19 mars 2010, il a formulé à quatre reprises son souhait d’une Église "pénitente". Il écrit : "Il est compréhensible que vous trouviez difficile de pardonner ou de vous réconcilier avec l'Église. En son nom, je vous exprime ouvertement la honte et le remords que nous éprouvons tous.

Beaucoup d’observateurs considèrent que Benoît XVI s'est montré particulièrement lucide quant à la gravité de la crise des abus sexuels dans l’Église. "Aujourd’hui nous le voyons de façon réellement terrifiante : que la plus grande persécution de l’Église ne vient pas de ses ennemis extérieurs, mais naît du péché de l’Église…", a-t-il déclaré dans l’avion qui le conduisait à Lisbonne le 11 mai 2010. Les mesures prises par Benoît XVI et la capacité qu'il a eue à dénoncer le mal à l'intérieur de l'institution contrastent avec son analyse sur les causes du scandale des abus.

Benoît XVI rattrapé par la polémique

Plusieurs années après sa renonciation, le 11 avril 2019, la revue allemande Klerusblatt, le mensuel du clergé bavarois, publiait un texte de Benoît XVI dans lequel il analysait les causes de la crise des abus. De façon troublante, le pape émérite ne semblait considérer qu’une partie du problème. Selon lui, le scandale des prêtres pédophiles s’expliquait en partie par la révolution sexuelle de 1968 dans un contexte d’effondrement de la foi. Or, plusieurs théologiens ont rappelé que les abus sexuels sont antérieurs à mai 68, même si le nombre d’abus a augmenté entre 1960 et 1980. Les causes de la crise des abus sont donc vraisemblablement multiples.

L’analyse du pape émérite était d’autant plus surprenante qu’elle venait contredire celle du pape en exercice. Là où Benoît XVI concentrait son explication sur le contexte et trouvé des causes extérieures à l’institution, François a, lui, pointé du doigt le cléricalisme. Notion qu’il définit, dans sa "Lettre au peuple de Dieu" de 2018, comme "une manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Église".

 

→ À LIRE : Quelles étaient les relations entre Benoît XVI et le pape François ?

 

Que retiendra-t-on du combat de Benoît XVI contre la pédocriminalité dans l’Église ? Le rapport Munich, publié le 20 janvier 2022, restera-t-il comme une ombre au tableau ? Ce rapport commandé par le diocèse de Munich-Freising accuse le pape émérite d’avoir couvert plusieurs cas d'abus sexuels et d’avoir fait preuve de négligence dans quatre affaires quand il était archevêque, entre 1977 et 1982. En réponse à ces accusations, le Vatican a souligné l’engagement de Benoît XVI dans la lutte contre la pédophilie. Dans une lettre adressée aux fidèles du diocèse de Munich, le 6 février 2022, Benoît XVI a confessé "une très grande faute" et signifié, à 95 ans, sa "profonde honte", sa "grande douleur" et sa "demande sincère de pardon".

Est-ce la crise des abus sexuels qui a poussé Benoît XVI à la démission ?

Le 11 février 2013, Benoît XVI, âgé de 85 ans, annonçait sa renonciation pour raisons de santé : "Après avoir examiné ma conscience devant Dieu, je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l'avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer de façon adéquate le ministère pétrinien." N’avait-il plus les forces de s’attaquer au scandale de la pédophilie ? Trois jours après l'annonce de sa démission, il a appelé à un vrai renouveau de l'Église. Avant d’affirmer lors de son dernier Angelus : "Le Seigneur m'appelle à me consacrer encore davantage à la prière et à la méditation. Mais cela ne signifie pas abandonner l’Église." Une Église qu’il savait dans la tourmente ?

Sur les raisons de sa démission, toutes les hypothèses ont été émises. On a parlé des pressions d’un "lobby homosexuel" au sein du Vatican. Mais aussi de l’affaire Vatileaks qui a éclaté en mai 2012. La fuite de documents confidentiels a dévoilé un système de corruption et de favoritisme impliquant notamment des membres de la Curie. Est-ce pour cela que le pape a démissionné ? Sa renonciation impliquant le renouvellement de la Curie, Benoît XVI, aurait, selon certains, joué là sa dernière carte. 

La plupart des observateurs s'accordent à dire que Benoît XVI a démissionné pour un ensemble de raisons : en plus de la crise des abus sexuels et de l’affaire Vatileaks – dans laquelle était impliqué son propre majordome, Paolo Gabriele – il y a eu le scandale de l'Institut pour les œuvres de religion (IOR). La "banque du Vatican" a été régulièrement pointée du doigt pour son manque de transparence. Le dernier geste de Benoît XVI, alors qu’il avait déjà annoncé sa démission et qu’elle prenait effet le 28 février, a été, le 15 février, de nommer le nouveau président de l’IOR, un banquier allemand du nom de Ernst von Freyberg. Durant son pontificat, Benoît XVI a donc ouvert la voie à son successeur pour réformer la Curie, redresser la banque du Vatican et lutter contre la pédophilie.

 

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