A peine six jours après la fin du procès des attentats de Trèbes et Carcassonne, un nouveau procès s’ouvre ce jeudi 29 février : le procès de l’attentat du marché de Noël de Strasbourg, ayant fait 5 morts et 11 blessés le 11 décembre 2018. Depuis moins de quatre ans, les procès anti-terroristes se succèdent. Une succession qui n’est pas sans conséquence sur l’intérêt public, la couverture médiatique et les victimes.
Depuis octobre 2020, neuf procès relatifs à des attaques terroristes majeures se sont tenus en France. Le procès de l’attentat de Strasbourg sera donc le dixième en l’espace de trois ans et demi, et le quatrième en cinq mois. Un triste enchaînement de procès, qui a fait entrer la justice antiterroriste dans la ''justice du quotidien'', selon Antoine Mégie, enseignant chercheur en sciences politiques et coordinateur du Cosprad, le conseil scientifique sur les processus de radicalisation. C’est la conséquente directe de la succession d’attentat entre 2015 et 2020.
En plus de créer la confusion entre les différents attentats, l’enchaînement de ces procès faisant appel à des souvenirs douloureux, entraîne une forme de désintérêt du grand public. ''Il y a peut-être une lassitude parce qu’il y a une scénarisation de procès qui se succèdent'', constate maitre Claude Lienhard, l’un des deux avocats représentant 90 parties civiles au procès de Strasbourg. ''C’est vrai que ce procès a pu paraître comme un peu oublié parce que, même s’il y a eu de nombreuses victimes, on n’était pas dans la masse de victimes qu’il y a eu dans d’autres attentats'', ajoute-t-il. Tout en assurant qu’à l’inverse, l’intérêt au niveau local ne baisse pas.
''La question est plus du côté de la presse de suivre de façon régulière les procès au long cours'', renchérit Me Claude Lienhard. Avant même le début du procès, il se doute que les rédactions ne pourront pas faire ''une couverture absolue'' des cinq semaines d’audience. Face à une actualité extrêmement dense, les médias sont en effet ''confrontés à la difficulté de pouvoir être détachés en permanence sur ces procès qui se succèdent'', confirme le spécialiste du droit dans la lutte contre le terrorisme, Antoine Mégie.
Une couverture médiatique moindre, dommageable pour les victimes et leurs familles. Surtout lorsque comme pour le procès se tient en plein cœur de Paris, à 500 kilomètres du lieu du drame. C’est le principe de la loi de 1986, qui instaure la centralisation de la justice anti-terroriste dans la capitale. Ce qui permet de rassembler à un même endroit le parquet anti-terroriste mais aussi les juges d’instruction.
Si cette centralisation présente des avantages en termes d’expertise, d’équipements et de sécurité, elle constitue aussi un casse-tête pour les parties civiles. ''Pour un certain nombre de famille, la présence durant tout le procès est une difficulté'', explique Me Lienhard. Mais ''la vraie difficulté, selon lui, c’est d’avancer les frais de résidence et de déplacement, qui certes seront remboursés ensuite par des barèmes, mais on a vu au procès de Nice que des victimes n’avaient pas été remboursées plusieurs mois après''.
Pourtant, des solutions existent pour pallier la distance, comme la décentralisation, utilisée notamment pour le procès de l’attentat du 14-Juillet de Nice, ou la mise en place d’une web-radio, utilisé notamment pour retransmettre le procès du Médiator. ''On aurait préféré ne pas être traités différemment de ce qui a été fait dans d’autres procès'', déplore l’avocat des parties civiles qui a fait une demande à la cour d’appel de Paris. Mais cette demande s’est vu refusée, sur le motif que la salle d’audience était suffisamment grande pour accueillir tout le monde. Certes, mais selon lui, cela ne résout pas la problématique de devoir être présents tous les jours sur Paris.
Cette différence de traitement est le résultat d’une ''contradiction entre une Justice qui se veut de plus en plus ouverte à travers le filmage et la retransmission des audiences, et puis la réalité d’un budget de la Justice qui ne le permet pas'', explique Antoine Mégie du Cosprad. Faute de moyens conséquents, elle priorise donc les procès dits ''historiques'', comme ceux des attentat''s de 2015 à Paris ou celui de Nice.
Difficile donc d’ignorer la hiérarchie induite entre les attentats. ''Des procès comme le procès V13 (sur les attentats du 13-Novembre, NDLR) ont été extrêmement couverts médiatiquement, avec aussi des livres qui ont été publiés par la suite, et puis d’autres procès comme celui de Nice, ont eu une couverture médiatique de moindre ampleur'', illustre l’enseignant-chercheur à l’université de Rouen.
Et ces différences ne sont pas sans conséquence sur les victimes, qui sont éloignées de Paris et donc des principales associations d’aides. Au procès de Trèbes/Carcassonne notamment, certaines ont d’ailleurs regretté la difficulté de suivi de leur traumatisme. Pour elles, c’est l’illustration de ''la relégation de leur statut de victimes'', résume Antoine Mégie.
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