Marseille
Peut-on court-circuiter la fast-fashion en France ? Remettre du local là où la mondialisation fait voir son côté sombre. Remettre de l’éthique là où la morale est sacrifiée sur l’autel du profit. Remettre de l’écologie là où la protection de l’environnement n’est qu’un frein à l’économie. Les entreprises de mode rapide comme les Chinois Shein et Temu séduisent par leur bas prix et leur communication agressive, si bien que ni le secteur, ni les consommateurs ne sont capables de s’auto réguler. Pour pallier une prise de conscience qui ne vient pas, des propositions de loi entendent lutter contre cette fast-fashion, notamment celle présentée ce jeudi 14 mars.
Elles sont devenues le symptôme du dérèglement de l’industrie de la mode. Shein, Temu, Primark ont pourtant pignon sur jeunes. Presque uniquement basées sur des sites internet (pour Shein et Temu), ces entreprises, portées notamment par des prix minis, connaissent une expansion ultra-rapide depuis le Covid. Shein, apparu en 2008, a réalisé 32 milliards de chiffre d’affaires dans le monde en 2023.
“Depuis les années 80, les Français ont doublé leur consommation de vêtement” chiffre d’emblée Julia Faure, cofondatrice de la marque de vêtements éthiques Loom, et coprésidente du Mouvement impact France. Selon l’Ademe, chaque Français achète en moyenne 9,5 kg de textiles et de chaussures par an en moyenne. À l’échelle mondiale, l’agence estime à 4 milliards de tonnes d’équivalent CO₂ par an, les émissions générées par l’industrie textile. C’est plus que l’impact des vols internationaux et le trafic maritime réunis. Et en 2050, le secteur textile pourrait représenter 26 % des émissions globales si rien ne change. “L’ultra fast-fashion ne livre ses colis que par avion” note la député Horizon Anne-Cécile Violland, rapporteur d’une proposition de loi visant à réguler le secteur qui va être étudié jeudi 14 mars à l’Assemblée nationale.
Les produits de fast-fashion sont nocifs pour ceux qui les fabriquent, mais aussi pour ceux qui les portent
“En doublant notre consommation de vêtements, on a fait exploser les externalités négatives liées à cette production de vêtements” critique la militante entrepreneuse. On parle de “pesticide pour le coton, des microplastiques liés au polyester, des gaz à effet de serre émis par les usines qui font de la teinture ou encore de décharges textiles” liste-t-elle. Notre consommation a un impact en amont et en aval, car une fois jetés ou donnés nos vêtements usagés viennent peupler les plages africaines ou les dunes du désert d’Atacama au Chili. “Il y a des traitements chimiques à outrance et notamment une pollution des eaux et des sols très conséquente” prévient Anne-Cécile Violland. “Ces produits sont nocifs pour ceux qui les fabriquent, mais aussi pour ceux qui les portent” précise-t-elle.
D’un point de vue économique, la fast-fashion représente une concurrence importante pour un secteur du prêt-à-porter français déjà en crise. Des enseignes emblématiques comme Jennyfer, Pimkie, Camaïeu, Naf Naf ou encore Gap France sont en redressement judiciaire voire parfois liquidées. “Shein ne présente aucun intérêt économique pour le territoire français” , martèle Anne-Cécile Violland. La marque ne compte pas de magasin, sauf quelques boutiques éphémères, les colis arrivent directement dans la boîte aux lettres du client final et toutes les commandes de moins de 150 euros sont exonérées de droits de douane. Le secteur n’est donc pas créateur de richesse pour l'État français.
Le modèle doit quand même nous faire réfléchir selon l’économiste Philippe Moati, professeur d'économie à l’Université Paris-Cité et cofondateur de L'ObSoCo. “Certains éléments de la recette pourraient être retenus par nos acteurs traditionnels” avance-t-il. “Les entreprises de la fast-fashion ont une capacité énorme d’écoute du marché et ils sont en observation permanente. Ces marques sont sans arrêt en veille sur les réseaux sociaux pour détecter les tendances, elles observent aussi les marques de luxes et c’est sur cette base-là qu’ils conçoivent des produits qui s'adressent à des micros marché”. Shein et Temu s’illustrent donc par une flexibilité poussée à l’extrême pour s’adapter à des modes ultra-éphémères en sortant un nouveau produit chaque jour. “Je pense que leur véritable ADN c’est de traiter de la data” assure l’économiste.
Les entreprises de la fast-fashion ont une capacité énorme d’écoute du marché et ils sont en observation permanente
Au départ pourtant, cette fast-fashion a été introduite dans les années 90 par des enseignes comme Zara ou H&M. “Auparavant, le monde de la mode était rythmé par deux saisons : printemps-été et automne-hiver” rappelle Philippe Moati. “On gardait les mêmes produits en magasin, mais ce n’était pas l’idéal pour attiser la curiosité des clients”, explique-t-il. De plus, dans un marché déjà saturé, attirer des clients nécessite de nouvelles pratiques.
Les enseignes de fast-fashion, comme Zara ou H&M on fait de la nouveauté et du mouvement permanent une forme d’évangile. “Il y a des nouveaux produits en permanence, dans des quantités plus petites”. L’ultra fast-fashion, incarnée aujourd’hui par Shein et Temu a poussé son modèle à son paroxysme. Des milliers de produits proposés en très petites quantités et pendant un temps relativement court pour créer l’urgence et pousser à l’achat rapide, compulsif. À titre d’exemple, l’ONG Les Amis de la Terre estime que le chinois Shein propose 7 200 nouveaux modèles chaque jour !
Pour lutter efficacement contre cette fast-fashion il s’agit d’abord de définir un périmètre correct. La proposition de loi des élus Horizon, soutenue par le gouvernement, vise à agir sur le prix qui reste l’argument le plus attractif pour le consommateur. L’objectif est de mettre en place une pénalité de 50 % sur le prix hors taxe pour les produits considérés comme issus de la fast-fashion. Un autre texte, porté par le député LR Antoine Vermorel-Marques, propose, lui, qu’un malus maximal soit appliqué aux enseignes dépassant 1 000 nouvelles références par jour. Une manière d’exclure les marques européennes.
Seulement ces critères sont sujet à débats. “Il faut prendre en compte le taux de renouvellement, c'est-à-dire la durée de vie du produit en magasin, le temps qu’il reste commercialisé, car c’est ce qui fait la différence entre la fast-fashion et l’ultra fast-fashion” prescrit par exemple Philippe Moati. “Il faut faire attention à taper sur l’intégralité des pratiques de fast-fashion, c'est-à-dire les bas prix obtenus en produisant dans des pays qui paient mal les gens et qui ne protègent pas l’environnement” juge de son côté Julia Faure. Le nombre de nouvelles références ne semblent donc pas être un argument suffisant.
“Ces malus ne doivent pas seulement s’appuyer sur la largeur de gamme, mais aussi sur l’affichage environnemental qui est en cours de mise en place et qui va pénaliser la fast-fashion et favoriser les marques éthiques et locales" plaide Julia Faure. Message reçu à 100 % par la députée Anne-Cécile Violland. “L’affichage environnemental correspond au Nutri-Score pour l'alimentation, il s’agit d’une note qui sera fixée en fonction de différents critères comme la durabilité du produit, sa composition en matière recyclée ou en produits chimiques ou encore la quantité d’eau nécessaire à sa production” liste-t-elle. “Les industries qui sont extrêmement polluantes se verront appliquer cette pénalité de 50 % du prix, avec un objectif de 10 euros en 2030” ajoute l’élue.
L’idée est que ce malus environnemental s’inscrive dans une boucle vertueuse afin de réduire l’écart de prix entre les produits issus de la fast-fashion et ceux issues des enseignes européennes respectant les règles environnementales. Une partie des recettes de ces pénalités seraient, en effet, versées sous forme de bonus à ces entreprises plus vertueuses.
Enfin, pour agir sur la prise de conscience, pour l’instant limitée sur le sujet, la proposition de loi veut obliger les enseignes de fast-fashion a afficher un bandeau sur leur plateforme pour parler des impacts environnementaux des produits et inciter les acheteurs au réemploi. Anne-Cécile Violland entend également interdire à ces sites comme Shein ou Temu de faire de la publicité. Dans le viseur notamment : la plateforme Tiktok, outil idéal pour la propagation de la fast-fashion auprès des jeunes. “Les influenceurs qui font du placement de produits sont également visés” conclut la députée.
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