L'essayiste Philippe Guibert, enseignant à l'École des Hautes Études internationales et politiques était l'invité de la matinale. Le spécialiste de l'opinion est notamment l'auteur de "Gulliver enchaîné, le déclin du chef politique en France" aux éditions du Cerf. Il a évoqué avec nous cette folle campagne législative éclair. Le premier tour a lieu dimanche prochain. À l'heure où le leadership d'Emmanuel Macron est plus que contesté. Existe-il encore une figure du chef en politique ?
Est-ce que l'instabilité politique en France est due à l’affaiblissement progressif de la figure du chef ou est-ce que l'affaiblissement progressif de la figure du chef est la conséquence de l'instabilité politique ? C'est une question qui prend une importance toute particulière, au moment où Emmanuel Macron, en tant que président, dissout l'Assemblée nationale. À l'extrême-droite, Jordan Bardella est d'ores et déjà candidat au poste de chef du gouvernement, Gabriel Attal veut préserver sa place de chef de la majorité et à gauche, c'est la guerre des chefs.
À 3 jours du premier tour des élections législatives, l'essayiste Philippe Guibert était l'invité de la matinale RCF. Enseignant à l'École des Hautes Études internationales et politiques, il publie "Gulliver enchaîné, le déclin du chef politique en France" aux éditions du Cerf. Le spécialiste de l'opinion questionne la notion et la représentation de la figure du chef en politique.
C'est quasiment seul que le président a jugé bon de provoquer la dissolution de l'Assemblée nationale après la victoire du Rassemblement National aux élections européennes le 9 juin dernier. Ce que certains qualifient de "pari fou" permet-il au président de retrouver du leadership ? Pour Philippe Guibert, ça lui permet de reprendre l'initiative. Il redevient "un président dans la tradition de la Cinquième République, c'est-à-dire un président qui revient devant le peuple. On revient à un système où en cours de mandat, le peuple peut arbitrer, et dire au président "oui encore" ou "non," on élit un parti, une coalition d'opposition et on fait une cohabitation."
Depuis l'instauration du quinquennat en 2002, il n'y avait pas eu d'élections législatives intermédiaires. Ce retour aux urnes, en l'absence d'usage récent du référendum, symbolise un retour direct à la souveraineté populaire et un inédit décalage du calendrier électoral. Permettra-t-il de résoudre des blocages institutionnels ? Pour l'essayiste, le changement de gouvernement était dans tous les cas inéluctable : "Tout le monde fait mine de croire que le quinquennat aurait pu se poursuivre comme si de rien n'était. À un moment ou à un autre, les oppositions se seraient coalisées, sans doute au moment du budget, pour censurer le gouvernement de Gabriel Attal." Le spécialiste de l'opinion pointe "un décalage entre l'opinion publique qui reste favorable à ce retour aux urnes et un microcosme parisien qui est vent debout et qui fait mine de ne veut pas vouloir comprendre le problème."
Philippe Guibert observe qu'à gauche, on éprouve historiquement des difficultés à se doter d'un chef. "En septembre 1789, au moment de la discussion sur la constituante, la gauche se constitue autour du refus du droit de veto accordé à Louis XVI, qui n'est pas encore guillotiné en 1789, au moment où on discute de la première Constitution française. Et donc, la gauche s'est construite contre le pouvoir personnel" raconte-t-il. Cette tradition de défiance envers le chef se constate aujourd'hui au sein du Nouveau Front Populaire où on ne désigne pas de figure de proue. Aucun leader clair n'émerge au sein de la coalition des Insoumis, des Communistes, des Écologistes et des Socialistes, ce qui constitue un handicap électoral notable.
En revanche, à droite, il y a toujours eu une tradition du chef. La Cinquième République, conçue par Charles de Gaulle, reflète cette dualité entre une présidence forte et un parlementarisme affirmé. Cette synthèse a permis de créer un régime stable jusqu'à aujourd'hui, où la figure du chef joue un rôle central, lorsqu'elle n'est pas contestée, répondant à une attente historique des Français pour un leadership fort. "La Cinquième République est une sorte de synthèse de notre histoire, à la fois monarchique et républicaine" pour Philippe Guibert. Cette tradition de l'homme providentiel se retrouve également chez nos voisins européens, comme en Italie avec Giorgia Meloni ou en Allemagne avec Olaf Scholz, ce qui illustre la nécessité d'une figure du chef quand les régimes politiques modernes vacillent.
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