L’heure est-elle à la réconciliation entre la France et l’Allemagne ? Après les joutes verbales, Emmanuel Macron se rend ce vendredi 15 mars à Berlin pour un sommet tripartite Allemagne, France, Pologne. L’occasion de trouver un compromis entre les deux exécutifs dont les relations n’ont cessé de se tendre depuis le début de la guerre en Ukraine. Des frictions et des divergences qui reposent sur plusieurs aspects. Décryptage en six points.
Preuve du degré de tension entre la France et l’Allemagne sur le dossier ukrainien, la réunion du vendredi 15 mars à Berlin est présentée comme signe encourageant dans leur relation. Cette rencontre est "un signal que le gouvernement allemand et le gouvernement français souhaitent trouver un compromis", estime Marc Ringel auprès de l’AFP, le directeur de l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg. Reste à savoir si l'objectif partagé d'aider l'Ukraine à vaincre la Russie sera suffisant pour surmonter les divergences.
Il s’agira de la première rencontre entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz depuis la conférence de Paris fin février qui avait débouché sur plusieurs épisodes d’échanges acerbes. Une irritation qui s’explique par plusieurs phénomènes, des considérations de politique interne, aux divergences stratégiques profondes en passant par les différences de caractères et de leadership ou par le poids de l’histoire. Explications.
C’est la partie émergée de l’iceberg. "Il n'y a pas de clash franco-allemand, nous sommes d'accord sur 80 % des sujets” assurait il y a quelques jours le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, après sa rencontre à Paris avec son homologue allemande Annalena Baerbock. Pourtant, les deux ministres se sont bien gardé de tenir une conférence de presse commune.
D’autant plus que cette tentative d’apaisement a été presque aussitôt torpillée par Emmanuel Macron qui appelait depuis Prague, ses alliés à “ne pas être lâches”. Plus tôt, à l’issue de la conférence à Paris consacré à l’aide à l’Ukraine, le 26 février, le président avait à peine caché sa moquerie envers Berlin en évoquant les “sacs de couchage et les casques” que l’Allemagne souhaitait envoyer à l’Ukraine au début de la guerre. Emmanuel Macron y était même allé franco en ciblant “ceux qui disent aujourd’hui: jamais, jamais” qui “étaient les mêmes qui disaient auparavant: jamais les chars, jamais, jamais les avions”.
Cela témoigne d'une querelle au plus haut niveau entre les deux pays
La cerise sur le gâteau après que le chef de l’État français ait expliqué ne pas exclure l’envoi de troupes à Kiev. Le chancelier allemand Olaf Scholz avait sèchement répliqué : “Ce qui a été décidé entre nous dès le début continue à être valide pour l’avenir : aucune troupe au sol, aucun soldat ne sera envoyé ni par les États européens, ni par les membres de l’Otan”.
Les ministres de chaque côté du Rhin ont ensuite tenté d’assurer le service après-vente. Mais “cela témoigne d'une querelle au plus haut niveau entre les deux pays”, assure Jacob Ross, chargé de recherches sur les relations franco-allemandes à la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik. “Ce n'est pas la première, cela fait suite à une longue série de conflits franco-allemands depuis le début du gouvernement de monsieur Scholz fin 2021”, assure-t-il.
“Il y a des différences de caractère qui renforcent peut-être quelques différences politiques systémiques” assure le chercheur qui poursuit ainsi : “le chancelier allemand aime guider par l'arrière, forger des compromis avec ses partenaires, avec ses coalitions, trouver un dénominateur commun tandis qu’Emmanuel Macron représente par sa personnalité l'hyper présidentialisation de la Vᵉ République, la concentration du pouvoir et ce n'est pas vraiment l'incarnation du compromis”. En gros, un président français impulsif ou volontaire, selon les camps, face à un chancelier allemand taiseux et réfléchi.
Côté Allemand, le Parlement a son mot à dire sur les livraisons d'armes, côté français, l'Élysée est plus libre
Un fossé dans le caractère exacerbé par les différences de système. “Côté Allemand, le Parlement est très fort et a son mot à dire sur les livraisons d'armes en Ukraine, alors que du côté français, les décisions sont essentiellement prises à l'Élysée et donc beaucoup plus spontanées et libres”, rappelle Jacob Ross. “Je pense que c'est la raison principale qui explique les querelles actuelles”, avance-t-il.
Ces tensions du couple franco-allemand ne sauraient s’expliquer sans se pencher sur les tensions politiques à l’intérieur de chaque pays. “Vous avez d'un côté un chancelier qui est assez vulnérable dans le contexte politique allemand actuel, qui doit garder une ligne de crête au sein de sa coalition de gouvernement et de l'autre, un président français, Emmanuel Macron, qui ne doit pas faire face aux mêmes critiques, car il dispose de son domaine réservé en politique extérieure et de défense”, détaille le chercheur. Les différences de systèmes entre les deux pays trouvent donc encore ici une illustration.
Le propre parti d’Olaf Sholz, le SPD est issu d'une tradition de pacifisme et le chancelier doit garder en tête ces éléments. Le chancelier allemand est d’ailleurs critiqué quand il livre trop. Or, il marche sur des œufs à six mois de scrutins régionaux dans trois Länder et surtout à trois mois des élections européennes.
La perspective du scrutin européen entre bien sûr en ligne de compte. En France, Emmanuel Macron doit tout faire pour rattraper son retard sur le Rassemblement national, quitte à utiliser le soutien à l’Ukraine comme levier pour affirmer son leadership. À l’inverse, côté allemand, “il y a des soupçons que le SPD, les sociaux-démocrates d’Olaf Scholz, veuillent utiliser la position de retenue du chancelier pour renforcer leur image de parti pacifiste, qui empêcherait une plus grande guerre, une guerre nucléaire potentiellement”, expose Jacob Ross.
Au-delà des enjeux internes, la guerre en Ukraine a mis en lumière les divergences stratégiques entre la France et l’Allemagne. Berlin a décidé de se réinvestir sur les questions de défense, mais pas de la façon dont Paris, leader historique sur le sujet, l’aurait espéré. “Le chancelier allemand cherche l'accord de Washington avant toute décision stratégique, que ce soit sur la livraison des chars l'année dernière avec les chars Leopard, ou maintenant avec les missiles de croisières allemands Taurus qui sont encore dans les dépôts alors que la France a déjà envoyé ses missiles scalp”, analyse Jacob Ross du Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik.
En effet, en janvier 2023, Olaf Scholz avait attendu que les Américains dégainent leurs chars Abrams pour donner son feu vert à la livraison de chars allemands Leopard. Face à cette vision atlantiste, s’oppose la stratégie d’Emmanuel Macron qui veut renforcer l’Europe de la défense.
Le président français anticipe notamment un potentiel retour de Donald Trump à la Maison Blanche qui marquerait un désengagement des Américains de l’Europe. "La France a un positionnement différent car c'est une puissance dotée de l'arme nucléaire, c'est une puissance qui a des armées capables de se déployer et qui a l'expérience du feu", observe une source diplomatique française auprès de l’AFP.
Le réveil, le 24 février 2022, avec l'invasion russe en Ukraine a été beaucoup plus brutal en Allemagne
Ils ont tout à fait les mêmes intérêts, ils veulent tous les deux que l'Ukraine gagne, que la Russie perde et que l'Europe soit en sécurité, mais quand Emmanuel Macron veut durcir le ton face à la Russie, Olaf Scholz est pressé de ne pas brandir une menace trop forte face au Kremlin de peur d’enclencher une escalade.
Le choc qu’a constitué le retour de la guerre en Ukraine ne doit pas non plus être oublié. Quelques jours après le début de l’invasion russe, Olaf Scholz a parlé d’un “changement d’époque”. “Le réveil, le 24 février 2022, avec l'invasion russe en Ukraine a été beaucoup plus brutal en Allemagne, pour la politique, mais également pour la société allemande qui pensait qu'on avait dépassé l'ère des guerres”, décrypte Jacob Ross. Le retour de la guerre est donc beaucoup plus dur à accepter.
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