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Européennes 2024 : où est passée l'écologie ?

Un article rédigé par Baptiste Madinier - RCF, le 7 juin 2024 - Modifié le 7 juin 2024
Le dossier de la rédactionEuropéennes 2024 : revers annoncé pour les écologistes

Les Européennes sont historiquement des élections porteuses pour les écologistes. Sauf que le cru 2024 s’annonce bien moins vert que les cuvées précédentes, surtout après le millésime historique de 2019. La faute à une écologie très politisée, dévoyée les droites extrêmes un peu partout en Europe, mais aussi à une défaite rhétorique de la part des Verts. Après des réformes ambitieuses engagées par l’UE à travers le Pacte Vert, les questions environnementales sont devenues des cibles politiques.

Affiche électorale déchirée de la liste Les Écologistes portée par Marie Toussaint pour les prochaines élections européennes du 9 juin / Daniel Dorko by Hans Lucas Affiche électorale déchirée de la liste Les Écologistes portée par Marie Toussaint pour les prochaines élections européennes du 9 juin / Daniel Dorko by Hans Lucas

Sur quelle digue s’est écrasée la vague verte ? Quels récifs n’a-t-elle pas su éviter ? En 2019, outre le bras de fer entre la majorité présidentielle et le Rassemblement national, qui faisaient alors jeu égal, le résultat marquant du scrutin a été celui des écologistes. “Un succès historique”, se souvient Simon Persico, professeur de sciences politiques à Science Po Grenoble et au laboratoire Pacte. EELV avait atteint 13,5 % en France et 72 élus Verts siégeaient au Parlement européen avec notamment 25 Allemands et 12 Français. Les écologistes devenaient alors la quatrième force politique du continent, poussant la Commission européenne a lancer un ambitieux programme pour le climat : le Green Deal

Le changement climatique est-il encore une priorité politique ? 

Sauf que le vent a tourné en France comme en Allemagne ou aux Pays-Bas. Dans l’hexagone, EELV flirte avec la barre fatidique des 5 %. Chez nos voisins outre-Rhin, les verts sont entrés au pouvoir, en 2021, dans la coalition du chancelier Olaf Scholz. Compromis oblige, ils s’exposent maintenant au vote sanction, notamment pour avoir accepté la réouverture de centrales à charbon. Ils n’attendront jamais les 20 % de 2019. Cette année, les sondages prédisent à peine 40 sièges au Parlement européen pour les Verts. “Ça va mal pour les partis verts en Europe actuellement” résume Simon Persico. 

La dynamique écologique a été  percutée par le Covid, la guerre en Ukraine, l’inflation et maintenant la guerre à Gaza

Est-ce que cela signifie pour autant que les questions environnementales n’intéressent plus les citoyens européens ? Le lien de cause à effet n’est pas avéré si on regarde les sondages. Par exemple, d'après le dernier Eurobaromètre, 88 % des Européens continuent à soutenir l’objectif européen de neutralité carbone d’ici 2050. 

Priorités des citoyens à la veille des Élections européennes /  ©Union Européenne

De même, en France, la lutte contre le changement climatique arrive en deuxième position en termes de priorité (à 37 %) derrière la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (42 %) mais devant la santé publique (36 %), la politique agricole (26 %) et loin devant l’immigration (22 %). Au niveau européen, la lutte contre le changement climatique arrive en cinquième position en termes de priorité. 

Dilution des priorités européennes 

L’écologie n’est donc pas passée sous le tapis et reste un sujet d'inquiétude pour les citoyens européens et particulièrement français. Dans ce cas, comment expliquer la dégringolade des partis écologistes ? “En 2019, nous étions dans une période de fortes mobilisations sociales, quelques années après la COP 21 de Paris, avec les marches pour le climat, le mouvement articulé autour de Greta Thunberg”, répond Simon Persico. “Il y avait une dynamique puissante qui s’est arrêtée, car elle a été percutée par le Covid, la guerre en Ukraine, l’inflation et maintenant la guerre à Gaza”, liste-t-il. Il y a une tension sur l’agenda. Une liste d’attente des urgences. 

Bien qu’identifié comme une priorité, l’environnement n’est pas un déterminant de vote

Pourtant, les enjeux liés au climat sont toujours une priorité pour les Français selon les sondages. “Mais comment cet enjeu suscite-t-il la mobilisation des électeurs ?, interroge le chercheur. “Les électeurs ont-ils cet enjeu-là en tête lorsqu’ils vont voter ?” poursuit-il. Selon lui, on peut mettre en miroir la question de l’immigration sur ce point. “C’est n’est pas l’un des enjeux les plus importants dans les sondages, mais à l’inverse de l’écologie, c’est un enjeu qui suscite beaucoup de mobilisation de la part des électeurs”, explique-t-il avant d’ajouter : “notamment chez les électeurs d’extrême droite”. 

“Bien qu’identifié comme une priorité, l’environnement n’est pas un déterminant de vote”, confirme Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politique européenne au sein de l’institut Jacques Delors. “Les Français prennent d’abord en compte des considérations nationales et donc les partis les moins allant sur l’écologie vont diminuer l’ambition et la voilure sur ces questions-là” ajoute-t-il. 

L’écologie : ennemie politique à abattre ? 

Car oui, l’écologie est plus politisée que jamais. C’est d’ailleurs un autre élément qui explique son apparente mise en difficulté lors de ces Européennes 2024. Après avoir réfléchi et débattu sur les questions environnementales, après avoir agi sur les leviers les plus faciles comme la fermeture des centrales à charbon, nous sommes à un moment où l’écologie politique va être mise en place concrètement. “C’est facile de ne pas s’opposer à des engagements qui portent à dix ou quinze ans”, assène Simon Persico. 

Les partis d'extrême droite défendent l'idée que l’Europe, via le Green Deal, a imposé des normes punitives qui entravent la liberté des citoyens et menacent la compétitivité économique

À l’inverse, maintenant, que l’entrée en vigueur des mesures se dessine, “vous avez toute une série d'acteurs, notamment économiques qui se mobilisent beaucoup plus qu’avant” selon le chercheur. Dans le viseur par exemple : “ceux qui veulent développer des routes ou des centres commerciaux”, ou encore les positions de Laurent Wauquiez contre l’artificialisation des sols”. Ces acteurs puissants politiquement ou économiquement ont commencé à monter au créneau pour enrayer certaines mesures.Un certain nombre d’acteurs politiques ont décidé d’être plus clairement hostiles à des politiques environnementales qui apparaissaient jusqu’ici comme consensuelles” développe le chercheur. 

Affiches de campagne de Marion Maréchal et Eric Zemmour de Reconquête, et de Marie Toussaint des Écologistes sur des panneaux d’affichages pour les élections européennes du 9 juin / Photographie de Mathieu Thomasset / Hans Lucas.

C’est par exemple le cas du Rassemblement national avec les voitures thermiques. L’UE a voté l’interdiction de la vente de voitures thermiques neuves dès 2035. Une mesure sur laquelle le RN et Reconquête promettent de revenir. Politisation oblige, la montée des extrêmes droites joue un rôle important dans l’invisibilisation des questions écologiques dans le débat selon le chercheur Jean-Yves Camus. “Ces partis défendent l’idée que l’Europe, par le Green Deal, a imposé des normes punitives qui entravent la liberté des citoyens et menacent la compétitivité économique” assure le directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès. 

L’écologie s’est trop focalisée sur une partie de l’échiquier politique

Les partis d’extrême droite parlent du changement climatique et ne remettent pas en cause l’importance d’agir. Mais quand il s’agit de prendre des mesures, l’écologie n’est plus transpartisane. Il y a cette idée que l’écologie a été dévoyée” analyse le spécialiste des radicalités. Selon ces partis, “l’écologie est avant tout la défense des paysages, du patrimoine, du savoir vivre national et l'Union européenne en a fait une énorme machine bureaucratique qui empêche les entreprises de travailler, les individus de construire comme ils veulent et qui nuit à l’activité agricole” liste Jean-Yves Camus. 

Défaite rhétorique 

“L’écologie s’est trop focalisée sur une partie de l’échiquier politique et des personnes qui ne se reconnaissent pas dans cette sensibilité politique s’empêchent de voter pour des thématiques environnementales” regrette de son côté Hélène Thouy, la candidate du parti animaliste pour ces élections européennes. Le problème pour les Verts est qu’il y a aujourd’hui un intérêt, un gain politique à dénoncer une certaine forme d’écologie. 
 

Sur ce dossier, l’écologie politique n’a pas réussi à allumer un contre-feu rhétorique pour éteindre l’influence grandissante de discours reprenant par exemple le terme “d’écologie punitive”. “Face à des discours invoquant l’écologie punitive, il faut être en capacité de déployer un récit alternatif capable de lier les questions sociales, écologiques, la réindustrialisation ou l’emploi” analyse Phuc-Vinh Nguyen. “Ils n’ont pas  réussi à imposer leur manière de voir le monde” confirme Simon Persico. 

“L’écologie politique telle qu’elle a été portée ces dernières années n’a pas été capable de montrer l’aspect positif de l’écologique, en plus de l’aspect fondamental”, abonde Marine Cholley, tête de liste de la liste écologiste Equinoxe pour les Européennes 2024. “Il y a une responsabilité de créer des futurs enviables, de dire que le monde demain peut et doit être profondément écologiste mais il doit et peut être convivial et enthousiasmant” conclut cette ingénieure dans les énergies renouvelables.

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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