Plus forts et plus nombreux, les partis d’extrême droite de la zone euro vont recomposer la vie politique européenne après les élections du 9 juin. Ils sont répartis en deux groupes au sein du Parlement européen. Ils se rassemblent sur les questions migratoires, sur celles de l’identité européenne ou encore de l’Europe des nations. La question de savoir s’ils parviendront à surmonter leurs divergences, notamment vis-à-vis de la Russie, pour s’allier ? Ou si certains d’entre eux tendront plutôt la main à la droite traditionnelle ? Et surtout comment parviendront-ils à influer sur les décisions européennes ?
Il paraît loin le temps où l’on se demandait avec qui pourrait s’allier un leader d’extrême droite européen qui serait parvenu à prendre le pouvoir dans son pays.
Aujourd’hui les populistes, conservateurs et extrémistes de droite ont le loisir de choisir leurs partenaires sur leur continent. Au pouvoir depuis 2010 en Hongrie, Viktor Orbán a doucement glissé vers le populisme et le nationalisme. Certaines thématiques qu’il porte, rattachées à l’extrême droite sont aujourd’hui au pouvoir dans plusieurs pays d’Europe.
Le parti post-fasciste de Giorgia Meloni dirige en Italie. Aux Pays-Bas, le Parti pour la liberté de Geert Wilders est devenu, cette année, la première force du Parlement néerlandais. En Slovaquie, le Parti national slovaque participe au gouvernement de Robert Fico. En France, le Rassemblement national fait la course en tête dans les sondages. Même au Portugal jusqu’ici préservé de l’extrême droite, le parti Chega a fait une percée aux dernières législatives. Il n’y a guère qu’en Espagne où l’extrême droite de Vox n’est pas sur une pente ascendante.
Comment garder un minimum commun sous le régime de la préférence nationale ?
En 2019, ces droites radicales avaient déjà réalisé une percée historique au Parlement européen. Leur poids va encore être renforcé dans la prochaine mandature. La question est de savoir comment ces forces vont collaborer.
Sur le plan des idées, on parvient à tisser une toile commune entre ces formations, à quelques nuances près. L’immigration d’abord, paraît la plus évidente. “Il y a une volonté de faire front commun, de critiquer la politique européenne en matière d’immigration, la manière de réguler les frontières, la volonté que chaque État soit maître de sa politique migratoire” confirme Anaïs Voy-Gillis, chercheuse à l'IAE de Poitiers. Elle travaille sur la montée des nationalismes. “L’un des éléments de rhétorique de ces partis est de qualifier l’Europe de passoire” , ajoute-t-elle. Quelques divergences sont quand même apparues sur la question migratoire, notamment lorsque la leader italienne Giorgia Meloni a soutenu le Pacte asile et migration de Bruxelles en avril 2024.
Derrière cette question migratoire, se cache une autre inquiétude commune à l’extrême droite : celle de l’identité européenne. “Il y a, dans tous ces partis, l’idée que l’Europe est à un tournant de l’histoire dans lequel les populations extra-européennes deviennent si nombreuses que le terreau civilisationnel de nos pays est en pleine mutation” explique Jean-Yves Camus dirige l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès. “Cela repose sur la représentation d’une Europe blanche d’origine chrétienne qui fait face à un danger porté par d’autres cultures, notamment l’islam” développe Anaïs Voy-Gillis.
La chercheuse note quand même quelques nuances entre l’Est et l’Ouest de l’UE. “Les pays à l’Est de l’Europe sont beaucoup plus critiques de ce qu’ils désignent comme une civilisation occidentale qui serait décadente” analyse-t-elle.
Jean-Yves Camus relève un autre point commun entre ces partis : la question environnementale. “Il y a cette idée que l’Europe, par le Green Deal, a imposé des normes punitives qui entravent les libertés individuelles et la compétitivité économique” détaille le chercheur. Cette position est à rapprocher de celle, plus globale, concernant la vision de l’UE et la préférence nationale.
Il s’agit de ramener dans le giron national un certain nombre de compétences qui ont été déléguées à l’UE
“Les partis d’extrême droite ne sont plus sur une approche frontale concernant la manière d’appréhender l’Europe” juge Anaïs Voy-Gillis. “Aujourd’hui on ne parle plus de sortir de l’Union européenne ou de la zone euro, mais nous sommes vraiment sur une vision qui serait celle de l’Europe des nations. Il s’agit de ramener dans le giron national un certain nombre de compétences qui ont été déléguées à l’UE.” Outre l’immigration, on parle des politiques commerciales et de la concurrence par exemple.
“Marine Le Pen a réalisé que proposer la sortie de l’Union européenne était éminemment anxiogène pour des générations qui n’ont connu que l’Europe et l’Euro” abonde Jean-Yves Camus. “Ces mouvements se sont donc repliés sur une autre idée qui consiste à lutter contre une Europe fédéraliste qui doit redevenir une Europe des nations”, poursuit-il. Selon le spécialiste, “l’idée est de détricoter, de défaire l’Europe de l’intérieur”.
Reste que s’il y a des grandes lignes en commun et que ces partis s’affichent ensemble pendant la campagne, il persiste des doutes quant à leur capacité à travailler ensemble une fois au pouvoir. Fin mai, Viktor Orbán, Giorgia Meloni, le président argentin Javier Milei, Marine Le Pen ou encore des Américains pro-Trump, ont répondu présent à l’invitation en Espagne du parti nationaliste Vox, offrant une belle photo de famille.
Néanmoins, l’idée d’une internationale de l’extrême droite a encore du chemin à faire. En premier lieu pour la simple raison qu’une internationale des nationalistes raisonne comme un oxymore. Il y a une forme d’ambiguïté, voire une contradiction, à travailler à l’échelle européenne avec des partis qui défendent tous la préférence nationale et qui peuvent prendre des mesures au détriment de leurs alliés. “Comment garder un minimum commun sous le régime de la préférence nationale ?”, interroge Anaïs Voy-Gillis. “Ils discutent ensemble sur la meilleure façon d’arriver au pouvoir et de gagner une légitimité, mais la mise en œuvre n'apparaît pas très clairement dans leur discours” nuance-t-elle.
Sur la scène politique européenne, il y a deux groupes qui rassemblent les extrêmes européens au sein du Parlement à Strasbourg :
À noter que le Fidesz de Viktor Orbán, ancien allié de la droite traditionnelle du PPE, a doucement glissé vers l’extrême droite. Il est aujourd’hui en dehors de tout groupe parlementaire. Ces derniers mois, il a été courtisé par ID et par ECR en vue de former des alliances après les élections.
Les tractations politiques vont donc bon train. En Italie, Giorgia Meloni, portée par les sondages, se rêve en trait d’union des droites. “Giorgia Meloni se positionne pour les prochains jeux politiques européens”, assure Jean-Pierre Darnis, professeur des universités en relation franco-italienne à l’Université Côte d’Azur de Nice.
Il faut comprendre que le parti du Premier ministre italien, Fratelli d’Italia siège au Parlement européen dans le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE), au côté notamment du parti Droit et Justice (PiS) polonais et la formation espagnole Vox. Politiquement, ce groupe se situe entre le PPE d’Usrula Von Der Leyen, qui est au pouvoir, et Identité et démocratie à l’extrême droite qui réunissait jusqu’ici les Allemands de l’Afd et le Rassemblement national.
Les rumeurs concernant la perspective d’une alliance entre le groupe de Giorgia Meloni et le PPE au Parlement européen vont bon train. Cette alliance pourrait permettre à Ursula Von Der Leyen de garder le pouvoir. “Elle voit bien qu’il y a une droitisation en Italie et en Europe”, analyse Jean-Pierre Darnis. Or, son score aux prochaines élections pourrait lui permettre de se retrouver dans la position de faiseur de roi. “Elle veut jouer un jeu de pivot et faire monter les enchères quant à son soutien” décrypte le spécialiste de l’Italie.
Des alliances politiques semblent donc envisageables, mais une véritable force d’extrême droite unie semble plus utopique. “Nous sommes face à des partis très personnalisés avec des leaderships très forts” rappelle d’abord Jean-Yves Camus. C’est vrai qu’on parle de Marine Le Pen, de Viktor Orbán, de Robert Fico ou encore de Giorgia Meloni. “À un moment, il va être question de savoir qui sera le chef ?”, note le chercheur.
Le spécialiste des radicalités européennes identifie également des obstacles culturels et historiques. “Il est impossible de mettre dans la même pièce les amis d’Orbán avec des nationalistes slovaques ou roumains car il y a trop de contentieux liés aux minorités hongroises”, explique-t-il.
La guerre en Ukraine et l’invasion de la Russie sont venues creuser de nouvelles divisions au sein de cette famille. Dans le cadre de son opération séduction à l’internationale, la Premier ministre italienne a fait preuve d’un soutien sans faille vis-à-vis de l’Ukraine. Une manière de rester euro-compatible. “Giorgia Meloni se cantonne dans une action politique qui ne remet pas en cause le modèle social-démocrate européen et les principales lignes géopolitiques de Bruxelles avec, par exemple, un soutien total à l’Ukraine”, note Jean-Pierre Darnis.
Ces partis auront du poids pour défaire l’Europe de l’intérieur
À l’inverse, “Viktor Orbán est sur une position beaucoup plus ambiguë vis-à-vis de la Russie et ne fait clairement pas partie des défenseurs de l’Ukraine” souligne Antonela Capelle-Pogacean, chercheuse spécialiste du nationalisme hongrois à Science Po. De même, “l’ancien gouvernement polonais du PiS [NDLR : Parti droit et justice, conservateur] était un allié de Viktor Orbán, mais une distance a été prise par rapport à la guerre en Ukraine” continue la chercheuse. “Sur la question ukrainienne, si on est un parti nationaliste balte ou un parti patriote polonais, on doit prendre en compte une histoire qui n’est pas la même que celle de la Hongrie d’Orbán” confirme Jean-Yves Camus.
Le directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès doute de l’émergence d’un groupe uni à l’extrême droite à l’issue des élections européennes. Mais “il y a aura des convergences” prédit-il. “Le poids qu’auront ID et ECR permettra à ces groupes de peser pour défaire l’Europe de l’intérieur” conclut le chercheur.
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