Un gouvernement difficile à composer. Mais finalement, samedi soir, le secrétaire général de l'Élysée a égrené 39 noms, 39 ministres nommés par Emmanuel Macron. Ce gouvernement est marqué par l'arrivée de personnalités de droite, comme le président des Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, qui s'installe place Beauvau aujourd'hui, mais aussi par des personnalités fidèles au macronisme, telles que Jean-Noël Barrot, nouveau ministre des Affaires étrangères. Cependant, au vu des réactions des oppositions, ce gouvernement semble mort-né. Le politologue Frédéric Saint-Clair décrypte les premiers pas de ce gouvernement.
Après la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin, les élections législatives en juillet, et la nomination du Premier ministre, Michel Barnier, le 5 septembre, un gouvernement a finalement été annoncé samedi 21 septembre sur le perron de l'Élysée.
Au lendemain du second tour des élections législatives, le 6 juillet, le Nouveau Front populaire, fort de ses 182 sièges, s'imaginait prendre place à Matignon. C'est finalement Michel Barnier qui a été investi. "La gauche a senti qu'elle allait être flouée du pouvoir qu'elle espérait obtenir. Elle va déposer régulièrement des motions de censure", analyse Frédéric Saint-Clair. De l'autre côté de l'échiquier politique, le Rassemblement National, annoncé grand gagnant de ces élections, a finalement terminé troisième groupe de l'Assemblée nationale. "Leur déception est grande aussi. Ils se sont retrouvés marginalisés par une propagande médiatique intense qui les a "extrême-droitisés" tout au long de la campagne, ce qui a fait chuter leurs scores. Le gouvernement d'aujourd'hui n'émane que d'une partie de l'Assemblée qui n'est pas représentative." Selon le politologue, ces deux grands blocs de l'Assemblée feront tomber le gouvernement dès que leurs intérêts personnels le permettront.
Le gouvernement d'aujourd'hui n'émane que d'une partie de l'Assemblée qui n'est pas représentative.
Ce gouvernement fait face à deux difficultés, selon Frédéric Saint-Clair. La première concerne le budget, sujet de fortes tensions. "La gauche et la droite radicale sont opposées à une augmentation des impôts. " La seconde difficulté réside dans l'affirmation du pouvoir régalien par le gouvernement. Le politologue souligne que c'est le point faible d'Emmanuel Macron depuis 2017. "Barnier devra prouver qu'il aura une main ferme sur les questions de laïcité et de migration. Cela va être difficile." L’aide médicale d’État est un sujet révélateur des divisions politiques au sein du gouvernement et de la population française. "Il y a une question morale. Pour certains, il s'agit de sauver le monde entier, pour d'autres, de soigner d'abord les nôtres. Il est impossible de mettre tout le monde d'accord sur ce point. Si ce dissensus persiste, une motion de censure est probable."
Au ministère de la Justice, le social-démocrate Didier Migaud a été nommé, tandis qu'à l'Intérieur, c’est Bruno Retailleau, représentant de l'aile droite des Républicains, qui prend les rênes. "Il aurait fallu nommer des personnalités partageant la même sensibilité politique à la tête de la justice et de la police ", déplore Frédéric Saint-Clair. "En jouant sur les deux tableaux, les choses vont mal tourner. Il y a une vraie crise d'insécurité physique due à l'absence de réformes profondes de notre vision de la justice. Celle-ci est censée être humaniste, mais 80 % de la population la perçoit comme laxiste."
Le "en même temps" du président est aujourd'hui plus synonyme d'immobilisme et d'impuissance que de modération et de raison.
Les chiffres de la délinquance sont en hausse ces dernières années, note le politologue. "Il existe un déni de réalité concernant le lien entre immigration et insécurité, car on craint de stigmatiser l'ensemble des immigrés, ce qui est une aberration. La hausse de l'immigration venant de pays brutalisés reproduit le même type de violence dans les pays d'accueil." Selon lui, la différence de vision entre la gauche et la droite sur les questions de police et de justice va empêcher la réalisation de réformes, illustrant la nécessité d’une unité entre le ministre de la Justice et celui de l'Intérieur.
L'élection d'Emmanuel Macron en 2017 a provoqué une fracture à gauche, mais aussi à droite. Frédéric Saint-Clair analyse ce phénomène : "Historiquement, l'UMP se composait du RPR et de l'UDF. L'UDF, plus libéral et modéré, a été absorbé par le social-libéralisme macroniste." De nombreux ministres en sont issus : Sébastien Lecornu, Bruno Le Maire, Jean Castex, Édouard Philippe… Avec l'annonce du nouveau gouvernement samedi soir, la dimension droitière s'est renforcée à travers des figures comme Bruno Retailleau. "En vérité, le gouvernement est globalement centriste, mais il est incapable de peser sur les événements", analyse le politologue. "Gouverner, c'est agir, mais en raison de sa fragilité, ce gouvernement ne peut pas exercer le pouvoir. Il y a une crise démocratique parlementaire profonde, qui fait qu'un gouvernement pourrait ne pas durer plus de trois semaines. La notion même de pouvoir perd alors tout son sens."
En vérité, le gouvernement est globalement centriste et incapable de peser sur les événements.
La majeure partie de la Ve République a été marquée par un système bipartisan, opposant la droite à la gauche. Aujourd'hui, Frédéric Saint-Clair dresse le tableau d'une politique française où ces deux blocs se sont effondrés, laissant un centre affaibli. "La promesse libérale est à bout de souffle, et la promesse communiste-socialiste s'est effondrée en 1991. Nous sommes entrés dans une sorte de "nouveau monde" avec un centre faible, incapable d'agir, tandis que deux blocs exclus de la sphère républicaine continuent de monter."
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