La gestion des relations extérieures est-elle incompatible avec la démocratie ? La question n’est pas nouvelle puisqu’elle anime les débats politiques en France depuis la Révolution. À travers les républiques, la primauté de l’exécutif en matière de gestion des affaires externes est une constante. Cette règle invariable entre à nouveau en résonance à l’aune de l’aide à l’Ukraine, en débat à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Rien n’obligeait Emmanuel Macron à demander un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat au sujet de la politique d’aide française vis-à-vis de l’Ukraine. “En matière de recours à la force armée la seule chose imposée, c’est de tenir informé le Parlement si le gouvernement décide d’engager les forces militaires en dehors des frontières” explique Thibaud Mulier, maître de conférence en droit constitutionnel à l'université Paris Nanterre.
Plus précisément, cette disposition date de 2008, lors d’une révision constitutionnelle. Depuis, l’article 35 de la Constitution stipule que : “le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention”. Si l’intervention militaire excède les quatre mois, “le Gouvernement soumet sa prolongation à l'autorisation du Parlement”.
Sous la Ve République, on fait la guerre sans le dire
Ici, la Constitution ne parle même pas de “guerre” mais “d’intervention” militaire. Car si l’entrée en guerre doit être autorisée par le Parlement, sous “la Ve République, on fait la guerre sans le dire, on n'utilise jamais ce qualificatif”, assure Thibaud Mulier qui a consacré sa thèse à cette question des relations entre le Parlement et les relations extérieures.
“Nous avons fait une guerre au Sahel qui a duré presque dix ans et nous n’avons eu qu’un seul vote”, regrette le député LFI, Arnaud Le Gall, membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée. “Les résultats de ces opérations sont catastrophiques pour la présence de la France au Sahel et jamais nous n’avons obtenu de vote contraignant sur ce sujet”, ajoute-t-il. L’élu insoumis incrimine le fonctionnement de la Ve République. “Nous sommes dans une situation dans laquelle un homme seul, fût-il élu, fût-il le chef des armées, est en situation de dire que nous sommes prêts à aller en guerre contre la Russie”, assène-t-il.
Il est certain que le régime hyper-présidentiel de la Ve renforce toutes les prérogatives du Président et notamment celle des relations extérieures. Néanmoins, la primauté de l’exécutif sur ces dossiers extérieurs ne date pas d’hier. “Même sous la Monarchie constitutionnelle, et même sous les Républiques, on a toujours eu une domination de l’exécutif que ce soit prévu dans les textes ou dans la pratique”, confirme le constitutionnaliste Thibaud Mulier. “Dès la Révolution française, on se pose la question de changer ou non le schéma d’idée, mais malgré les tentatives, après la Convention ou la défaite de Sedan (1870), on va avoir sous la IIe République, une formalisation de l’idée que l’exécutif dirige les questions diplomatiques et militaires et que le Parlement se cantonne à une fonction de contrôle”.
Ce schéma va traverser les Républiques avec plus ou moins de nuance. Le pouvoir du contrôle parlementaire va également fluctuer.
À la source de cette répartition des pouvoirs en matière d’affaires extérieures, se trouve un principe de réalité du pouvoir, mais aussi une idée, théorisée, qui voudrait que la démocratie soit incompatible avec les relations extérieures. C’est une idée qu’on retrouve notamment chez Jean-Jacques Rousseau et Alexis de Tocqueville. “Tocqueville affirme qu’il faut plutôt une lecture démocratique du pouvoir en général, sauf pour les questions extérieures où la transparence et la délibération pourraient poser problème à l’efficacité de la relation extérieure”, traduit Thibaud Mulier. “L’idée derrière est de considérer que les affaires extérieures n’ont pas les mêmes impératifs que celles de l’intérieur et qu’elles nécessitent de la célérité, de la discrétion et de l’efficacité. Cela implique de concentrer le pouvoir au profit de l’exécutif, car l’organe parlementaire est fondée sur la transparence et la délibération qui seraient incompatibles avec l’action extérieure”.
Cette idée et cette pratique ont largement infusé dans la société politique française. “Ce n’est pas notre rôle en tant que député de s’immiscer dans les affaires étrangères”, reconnaît le député Rassemblement national Alexis Jolly, pourtant membre de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée. “Nous n’avons pas les informations que détiennent le ministre des affaires étrangères et le gouvernement”, précise-t-il. “Les parlementaires ont intériorisé leur faiblesse”, résume Thibaud Mulier. Il y a donc une dimension d’acculturation.
“C’est une force de notre pays, car c’est ce système qui donne une agilité et une capacité de décision rapide” accrédite le député renaissance Benjamin Haddad, également présent à la commission des affaires étrangères. L’élu de la majorité entend quand même faire bouger les lignes. “Notre parlement s’approprie de plus en plus les questions de politique étrangère” assure-t-il. Joignant l’acte à la parole, il a déposé, avec son collègue écologiste Julien Bayou, une proposition de résolution pour l'utilisation des avoirs russes gelés au profit de l'effort de guerre et de la reconstruction de l'Ukraine.
En outre, le débat sur l’Ukraine montre aujourd’hui l’enjeu de transparence qui échoit sur les épaules des députés. Ils peuvent également agir avec des commissions d’enquête et les rapports parlementaires. Le budget est aussi un levier d’action pour la représentation nationale qui développe enfin la diplomatie parlementaire, afin de faire entendre une autre voix que celle du Président sur la scène internationale.
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