Jeux olympiques : après Paris 2024, "l'équation pour accueillir les JO va devenir de plus en plus complexe"

Un article rédigé par Baptiste Madinier - RCF, le 19 août 2024 - Modifié le 20 août 2024

Le succès sportif des Jeux olympiques de Paris n’est plus à démontrer. Mais qu’en est-il du bilan économique ? Les retombées touristiques pour les acteurs du secteur sont très hétérogènes. Mais d’un point de vue budgétaire, ces JO apparaissent comme raisonnables, bien loin des dépassements redoutés. Si on mesure sur le long terme ces Jeux s’annoncent donc rentables. Mais est-ce que l’économie est la bonne unité pour mesurer le succès des Jeux se demande l'économiste Vincent Chaudel ? Entretien. 

Les Jeux olympiques 2024 à Paris /  Photo Magali Cohen by Hans Lucas Les Jeux olympiques 2024 à Paris / Photo Magali Cohen by Hans Lucas

11,2 millions de visiteurs à Paris pendant les Jeux olympiques, un taux de remplissage de 84 % pour les hôteliers, 400 000 voyageurs en Airbnb, mais aussi jusqu’à 30 ou 40 % de chiffre d’affaires en moins pour les restaurants et les bars éloignés des sites de compétition, 22 % de visiteur en moins au Louvre sur la période olympique : sur le court terme, le bilan économique de ces Jeux est contrasté. Sur le long terme, ils pourraient rapporter en Île-de-France entre 6, 9 ou 11 milliards d'euros selon les scénarios. Encore davantage si on prend en compte les retombées économiques hors capitale. Alors comment doit-on évaluer le bilan financier de ces Jeux ? Décryptage avec l'économiste Vincent Chaudel, co-fondateur de l’Observatoire du Sport Business

Les Jeux de Paris devraient coûter 6,7 milliards d’euros. La note finale, à préciser, se situe autour de 9 milliards. Peut-on parler de Jeux raisonnables ? 

Vincent Chaudel : Oui, comme l'a précisé Thomas Bach [NDLR : patron du CIO], au moment de la cérémonie de clôture, les Jeux de Paris sont les premiers jeux d'une nouvel ère qui se veut plus raisonnable et plus maîtrisée en termes de budget. Et Paris a pu réussir cet exploit-là parce que, notamment, il y a eu très peu d'infrastructures à construire.

Lorsqu'on parle d'accueillir une compétition internationale, le sport en général est victime de son succès.

Ce sont des infrastructures qui sont souvent source de dérapages, car pour les Jeux olympiques, vous avez des dates butoirs et vous ne pouvez pas vous permettre de livrer un équipement en retard. Pour ces Jeux olympiques, Paris a essentiellement construit une piscine à côté du Stade de France et une aréna Porte de la Chapelle. Le reste était des équipements existants ou des équipements temporaires. Le stade au pied de la Tour Eiffel, le parc urbain au niveau de la Concorde sont des équipements éphémères. 

Ces jeux sont dits "raisonnables" uniquement à cause de l'équipement ? 

Non, on parle de Jeux raisonnables en termes de budget lié aux équipements, mais aussi en termes d'empreinte carbone grâce au choix de faire des JO dans la ville avec des sites, pour l'essentiel, peu distants entre eux. Ces Jeux ont également permis d'utiliser au maximum le réseau de transports en commun. Et ce point va d'ailleurs être l'un des grands enjeux de Los Angeles 2028, car la ville californienne n'a pas le même maillage de transports en commun que Paris. Elle aura du mal à soutenir la comparaison avec Paris à ce niveau-là.

Est-ce que cette ère des Jeux raisonnables ne ferme-t-elle pas la porte à certaines destinations susceptibles d'accueillir les Jeux ? Au vu du défi qu'a représenté Paris 2024, tout le monde en a-t-il la capacité ? 

Il y a deux éléments dans votre question : quels pays seront en capacité d'accueillir des Jeux olympiques à l'avenir et quels sont les pays qui en ont les moyens et la volonté ? Le sport en général, on peut parler aussi d'une Coupe du monde de football ou une Coupe du monde de rugby, est victime de son succès. Accueillir les Jeux olympiques signifie accueillir plus de 10 000 athlètes olympiques et plus de 4 000 athlètes paralympiques en quelques semaines. Cela signifie aussi des accréditations de médias venus du monde entier. Ce sont 80 chefs d'État qu'il faut accueillir et sécuriser. Ce sont 11 millions de visiteurs, si j'en crois, l'Office de tourisme de la région Île-de-France. C'est quand même des chiffres colossaux.

Il faut avoir la capacité de le faire et cela n'implique pas uniquement d'avoir des stades, des piscines et des arénas. Les pays capables de le faire ne sont pas si nombreux que ça. On peut penser à l'Arabie Saoudite par exemple. Ou bien à la Chine qui a déjà accueilli les JO d'été puis d'hiver avec des Jeux pas toujours responsables écologiquement. Désormais, il va falloir se poser la question, car évidemment que le CIO veut des Jeux responsables, mais il veut surtout des Jeux qui soient en capacité d'être tenus en matière d'organisation et de sécurité. Là, c'est une équation qui va devenir de plus en plus complexe.

Comment sont réparties les dépenses de ces Jeux olympiques ? 

Quand on parle d'un budget autour de 9 milliards d'euros pour les Jeux olympiques, cela correspond en fait à deux budgets. Un premier lié à la compétition, notamment aux infrastructures de la compétition et un second lié aux autres infrastructures comme le village olympique, le village des médias ou encore les transports en commun qui ont été développés pour cette candidature. Niveau budget, nous sommes en gros à moitié-moitié.

On n'organise pas des Jeux pour gagner de l'argent, mais pour gagner du temps dans la transformation d'une ville, d'un pays ou dans son image. 

Sur la partie compétition, on compte un tiers de financement qui vient des sponsors du CIO, des sponsors internationaux, un tiers qui vient des sponsors de la candidature française, de Paris 2024 et un peu plus d'un tiers, pour être précis, lié à la billetterie [NDLR : la billetterie a battu des records pour Paris 2024 : 9,5 des 10 millions de billets ont été vendus soit 95 % de remplissage.].

Pour l'autre partie, il s'agit de montants importants, mais moi, je parle de décalage de trésorerie, car lorsque vous investissez dans le village olympique, ce sont des équipements qui vont être soit revendus, soit loués. Donc, si ça vous coûte un peu plus cher qu'initialement prévu, ce qui a été le cas pour Paris 2024, vous allez le récupérer dans la location, dans la revente par la suite.

Vous avez parlé des sponsors. Ils ont un rôle essentiel aujourd'hui dans l'équation économique olympique ? 

C'est un paramètre indispensable dans le sens où il faut boucler le budget ou alors augmenter la part d'argent public. La Cour des comptes a publié avant les Jeux olympiques une estimation entre 3 et 5 milliards d'euros d'argent public, c'est-à-dire entre ce que l'État et les collectivités, les régions et les villes, auront mis sur la table pour ces Jeux. Pour l'argent privé, pour le sponsoring, on a souvent tendance à dire que les Jeux d'Atlanta en 1996 étaient des jeux Coca-Cola. Là, ça restera probablement un peu les Jeux LVMH, puisque ces derniers ont été très présents en dehors des sites olympiques qui sont vierges de sponsoring. Maintenant, la vérité, c'est qu'on n'organise pas des Jeux pour gagner de l'argent, mais pour gagner du temps dans la transformation d'une ville, d'un pays ou dans son image. 

C'est-à-dire ? 

Par exemple, les Jeux de Londres de 2012 ont permis à Londres de transformer tout l'Est de la capitale britannique, qui était plutôt un territoire en friche, et qui aujourd'hui est beaucoup plus dynamique. De la même manière, les Jeux de Paris ont permis de transformer le nord de Paris et la Seine-Saint-Denis. De même, ils ont permis d'accélérer l'arrivée des transports du Grand Paris. Si les Jeux n'avaient pas été là, on l'aurait certainement fait, ils auraient été livrés en 2035 ou en 2040. Donc ça va nous permettre de gagner du temps.

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