Normandie
Alors que l’année du 80e anniversaire du Débarquement se termine, rencontre avec Jean Quétier, le président du Comité du Débarquement. Il revient pour nous sur la transmission de la mémoire dans les années à venir.
Jean Quétier est, depuis 2021, le président du Comité du Débarquement, l’institution chargée d’organiser les commémorations du Débarquement et de la Bataille de Normandie.
RCF : Puisque les vétérans sont désormais un tout petit nombre, ne réalise-t-on pas davantage l’importance d’écouter les derniers témoins civils de l’époque, ceux qui étaient enfants à cette époque-là ?
Jean Quétier : Oui, il faut absolument les entendre. J’ai été marqué par le témoignage de Monique Morin qui était collégienne à Saint-Lô au moment du Débarquement. Elle nous interpelle sur la manière de commémorer. Elle nous dit : « Je ne peux pas suivre une reconstitution de l’exode, parce que ce n’est pas ça l’exode. On n’est pas en costume du dimanche, on ne défile pas gentiment. On était dans le dénuement. On mettait dans les charrettes ceux qui ne pouvaient plus marcher. On marchait pour sauver nos vies ». Ces témoignages-là, il faut absolument les entendre pour ne pas faire n’importe quoi sur ce terrain mémoriel.
RCF : Sans les témoins de l’époque, comment voyez-vous l’avenir des commémorations ?
Jean Quétier : On a coutume de répartir la mémoire sur des périodes de 40 années. Il y a le temps des pierres, 1944-1984, on construit des lieux de mémoire. Après le temps des pierres, il y a le temps des témoins, 1984-2024. Je ne sais pas comment nommer la période qui s’ouvre devant nous. 2024-2064, période où les témoins de l’époque ne seront plus là pour nous dire les choses.
Il faut garder des portes d’entrée de la mémoire : les cimetières, les dates, les démarches artistiques...
Pourquoi a-t-on besoin de commémorer ces événements-là ? À cause de leur coût humain. Si on veut mesurer ce coût humain, lorsque les vétérans ne seront plus là, il faudra se rapprocher des cimetières. Celui de Colleville, les cimetières allemands de la Cambe ou d’Orglandes. Il faut entrer dans ces cimetières, inviter les jeunes à les parcourir. Dans ces cimetières, on mesure que ce sont des individus qui sont là et dont la vie a été enlevée. Se rapprocher des nécropoles, c’est capital pour la suite.
RCF : Certaines reconstitutions interpellent. Il y a une crainte de voir le spectacle et l’aspect commercial prendre le dessus sur la mémoire. Quelles sont les limites à fixer et à quoi réfléchit le Comité du débarquement pour ne pas faire de la guerre un spectacle ?
Jean Quétier : On essaye déjà de donner ce cadre par une charte signée par le président de la région, le préfet du Calvados, le préfet de la Manche et moi-même. On demande aux maires de la faire signer par les reconstitueurs. Elle rappelle la loi française qui fixe des limites. Par exemple, lorsqu’on est un reconstitueur on n’est pas un militaire, on ne salue pas. Je crois d’ailleurs qu’il y a une évolution favorable. Beaucoup sont attentifs à cette déontologie. Il y a 20, ou 30 ans, c’était moins vrai. Je me rappelle avoir vu à Sainte-Mère-Église des faisceaux d’armes sur la place, ce n’était pas tolérable. Quant au spectacle, s’il est bien fait, s’il s’adresse à votre émotion, il ne faut pas le rejeter. Le théâtre, le cinéma, c’est un spectacle. Donc les spectacles oui, mais pas n’importe lesquels, on ne joue pas à la guerre.
RCF : Parmi les nombreux événements qui ont eu lieu cette année pour le 80e, vous avez été marqué par les initiatives qui faisaient participer des jeunes et des enfants, pourquoi ?
Jean Quétier : La mémoire d’un peuple, c’est comme la mémoire d’une famille. Dans une famille, on s’intéresse à l’histoire de ses grands-parents, on cherche ce qu’il s’est passé et on a besoin de cela pour comprendre sa propre histoire. Pour un peuple, c’est la même chose. On a besoin d’aller s’inscrire dans l’histoire de ceux qui nous ont amenés jusque-là. Oui, la mémoire va continuer à s’exprimer.
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