À l’heure de la transition énergétique, les minerais stratégiques suscitent des convoitises à travers le monde. Y compris dans les abysses, les grands fonds sous-marins. Ils recèlent des milliers de tonnes potentiellement exploitables. Ce trésor fait rêver les industriels mais provoque aussi beaucoup d’inquiétudes concernant l’environnement.
Ce jeudi à Londres, sont réunis plusieurs entreprises spécialisées et du secteur minier sous-marin. Elles travaillent depuis plusieurs années à une exploitation des grands fonds océaniques entre 3 et 6000 mètres.
Dans certaines régions du globe on trouve dans les plaines abyssales toutes sortes de minerais notamment sous la forme de nodules polymétalliques. “Ils ressemblent à des patates et contiennent de multiples métaux, cobalt, manganèse, cuivre, en très forte concentration par rapport à ce qu'on peut trouver sur Terre”, explique Emmanuel Hache, adjoint scientifique à IFP énergies nouvelles et directeur de recherche à l’IRIS.
Ces nodules peuvent se trouver dans les zones économiques exclusives de pays, mais le plus souvent dans les eaux internationales comme dans le Pacifique nord est avec la zone Clarion-Clipperton. Ce secteur de 9 millions de km2 est particulièrement convoité et riche, selon les estimations la zone recèlerait 21 milliards de tonnes de nodules. Des minerais . “Si vous prenez le cobalt, on aurait 300% de ressources, supérieures au niveau des océans par rapport à ce que l'on a sur Terre. 23-24% des réserves connues en cuivre, 10% du lithium, 15 % de terres rares”, précise Emmanuel Hache. Des réserves de minerais stratégiques qui sont essentiels dans la course à la transition énergétique et que certains Etats se verraient bien sécuriser.
L’entreprise canadienne The Metal Compagny, pionnière dans la prospection minière sous-marine, a remonté plus de 3.000 tonnes de nodules lors de tests en 2022. La collecte se fait à plus de 4 kilomètres de profondeur avec un véhicule sous-marin monté sur chenilles qui envoie les nodules vers le navire par un tuyau géant.
Les scientifiques et défenseurs des océans alertent depuis longtemps sur les menaces que cette future exploitation industrielle fait peser sur les écosystèmes marins fragiles. “Il n’y a pas assez de recul actuellement et surtout la faune des abysses est encore quasi inconnue”, souligne Sabine Roux de Bézieux, présidente de la Fondation de la mer. “Sur la zone Clarion Clipperton en particulier 90% des espèces qu'on a découvertes dans les 10 dernières années étaient totalement inconnues”.
L’inquiétude porte aussi sur les bruits de l’exploitation pour les cétacés et aussi sur d'éventuelles perturbations des capacités de stockage de CO2 de l’Océan. Les défenseurs de l’environnement font aussi valoir l’impossibilité de contrôler de telles activités à des milliers de km des côtes et des milliers de mètres de profondeur.
Des discussions sont en cours depuis dix ans. C’est l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) qui a juridiction sur les fonds marins des eaux internationales. Les ressources du plancher océanique étant classées "patrimoine commun de l'humanité". C’est un organisme autonome créé par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. L’AIFM n’a délivré jusqu’ici que des permis d’exploration mais elle négocie un code minier pour établir des règles d'exploitation dans les eaux internationales. L'objectif fixé était de le finaliser en 2025 mais les dernières négociations n'ont pas abouti.
Ces discussions se sont accélérées en raison de l'activation d'une clause juridique qui permet depuis 2023 à tout entreprise sponsorisée par un Etat de déposer une demande de contrat d'exploitation même en l'absence de ce code. Dans ce contexte plusieurs pays comme la France, demandent un moratoire. Cette position gagne du terrain mais elle est loin de faire l'unanimité au sein des 169 Etats membres de l'AIFM.
L'exploration et l'exploitation des fonds marins créent des divergences géopolitiques
"L'exploration et l'exploitation des fonds marins créent des divergences géopolitiques au niveau international. On n'a absolument pas une position commune sur cette question”, souligne Emmanuel Hache. Certains pays comme le Japon, la Chine ou les États-Unis sont favorables. D’autres sont intéressés comme la Norvège.
La majeure partie des pays européens sont prudents ou souhaitent une interdiction. Les États du Sud redoutent eux d’être dépossédés de ressources. De son côté, l'entreprise canadienne The Metals Company, ne veut plus attendre pour commencer l’exploitation. L'entreprise lance un premier contrat d'extraction minière commerciale en haute mer, via l'administration Trump.
Le sujet de l’exploitation des fonds marins sera l’un des dossiers brûlants du prochain sommet mondial des océans en juin à Nice.
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