L’heure du tri constitutionnel. Le Conseil constitutionnel tranche ce jeudi 25 janvier sur la loi immigration, votée fin 2023 par le Parlement. Après cette adoption, les sages ont été saisis quatre fois. Le gouvernement avait d’ailleurs admis après l’adoption du texte que certaines mesures ajoutées par la droite sénatoriale pourraient être contraires aux droits fondamentaux. Le Conseil constitutionnel a donc été chargé de faire le tri. Un choix qui repose sur la Constitution, mais qui sera inévitablement politique.
La séquence reste dans les annales de la Ve République. Un pouvoir exécutif, président et ministre de l'Intérieur, notamment, font voter un texte en reconnaissant que certaines mesures risquent d’être contraires à la Constitution française. "Ce n'est pas la première fois qu'un gouvernement maintient des dispositions litigieuses dans un texte pour obtenir un vote, mais c'est la première fois que cette stratégie est clamée et reconnue comme telle", analyse auprès de l'AFP le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier.
Cette manœuvre, destinée à obtenir le soutien de la droite, n’a pas été du goût de tous. Le Conseil constitutionnel n'est pas "une chambre d'appel des choix du Parlement", a recadré son président, l'ex-Premier ministre socialiste Laurent Fabius, qui rendra sa décision avec les huit autres membres de l'instance.
Les neuf "Sages" du conseil chargé notamment de se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois, vont devoir décider de censurer ou non tout ou partie de cette loi immigration qui restreint le regroupement familial, l'accès des étrangers non-européens à certaines prestations sociales et met fin à l'automaticité du droit du sol.
Tout ce qui relève des allocations peut poser problème, car cela n’a pas vraiment de lien avec l’objectif de la loi
Parmi les mesures dans le viseur du Conseil constitutionnel : la durée de résidence requise pour que des non-Européens puissent bénéficier de prestations sociales comme les allocations familiales, fixée à cinq ans pour ceux ne travaillant pas et 30 mois pour les autres. Pour l'Aide personnalisée au logement (APL), ces seuils ont été fixés à 5 ans et 3 mois. “Tout ce qui relève des allocations peut poser problème, car cela n’a pas vraiment de lien avec l’objectif de la loi” relève le constitutionnaliste Benjamin Morel, maître de conférence en droit public à l’université Paris Assas et docteur en science politique. On parle alors de cavalier législatif. Selon l’intitulé exact, cette loi vise à “contrôler l'immigration” et “à améliorer l'intégration”. Or, on peut voir un lien direct, mais “normalement, les APL ne servent pas à ça” assure le chercheur.
De plus, “cette mesure peut également sous le coup de l'atteinte à l’égalité, car le fait de moduler une allocation ne peut se justifier que par un lien direct avec cette allocation” continue-t-il. En effet, selon Benjamin Morel, “moduler le RSA pour des raisons de temps de présence sur le territoire avec un objectif d’intégration économique peut se justifier, en revanche avec les APL, il s’agit d’obtenir un logement et des conditions de vie décente”. Par conséquent, le lien n’est pas avéré.
L'instauration de "quotas" fixés par le Parlement pour plafonner le nombre d'étrangers admis sur le territoire est aussi remise en cause. “On est encore sur un sujet d’égalité” juge Benjamin Morel. “On peut établir des critères à l’immigration, mais si ce critère repose sur votre ordre d’arrivée sur le territoire français, cela pose un problème” développe-t-il. Comment justifier de prendre la 99e personne et pas la 100e ? “C’est un critère trop arbitraire.”
Même s'il juge uniquement de la constitutionnalité des lois, la décision du Conseil est éminemment politique
Même chose pour les articles concernant la déchéance de nationalité. “On est encore dans le domaine du cavalier législatif, car nous sommes sur une disposition pénale touchant des gens qui sont déjà des nationaux” explique le constitutionnaliste. On est en dehors du champ de la loi, car on ne régule pas l’immigration et on n’améliore pas l’immigration.
La caution demandée aux étudiants étrangers, ou encore la fin de l'automaticité de l'obtention de la nationalité française à la majorité pour les personnes nées en France de parents étrangers sont également remises en cause. Cette dernière mesure est particulièrement dénoncée pour la brèche qu’elle ouvre en matière de droit du sol.
La décision des Sages est attendue par la société civile, les associations et les politiques. Le Conseil constitutionnel se veut gardien des lois, des droits et des libertés fondamentaux, néanmoins difficile de mettre de côté la dimension politique. Le Conseil "est dans une situation politique complexe", observe auprès de l'AFP la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina. "Il sait que s'il censure beaucoup de choses, il arrange paradoxalement le camp présidentiel. Sa décision est donc, même s'il juge uniquement de la constitutionnalité des lois, éminemment politique."
D’ailleurs, si trop de mesures étaient déclarées inconstitutionnelles, "il faudra tout simplement revenir à la proposition qui était la nôtre" de réviser la Constitution, a déjà prévenu le président LR du Sénat Gérard Larcher. “En règle générale, cette instance apprécie l’état de l’opinion, l’état de la doctrine, l’état de relation entre les organes du pouvoir pour rendre sa décision” reconnaît Benjamin Morel. “Le critère strictement juridique compte énormément, mais il n’est pas le seul pris en compte” conclut-il.
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