Comment va gouverner Gabriel Attal, le plus jeune Premier ministre de la Ve République ? Nommé pour apporter un vent de fraîcheur au projet présidentiel et pour mettre son camp en ordre de bataille en vue des élections européennes, son talent fait consensus, mais sa ligne politique et sa marge de manœuvre restent beaucoup plus floues. Entretien avec Pascal Perrineau, politologue et professeur émérite à Science po Paris.
Pascal Perrineau : Je crois qu’il serait excessif de parler d'un pur enfumage. Depuis sa réélection en 2022, Emmanuel Macron n'arrive pas à trouver un second souffle. Ce second quinquennat n'arrive pas à exister autour d'un axe qui soit lisible pour l'ensemble des Français. La nomination de Gabriel Attal donne le début d'une réponse à cette interrogation : “un second quinquennat, pour quoi faire” ? Et quelque part, il y a un retour aux origines, car en nommant Gabriel Attal, il nomme un homme qui ressemble assez furieusement au jeune Emmanuel Macron de 2017.
Gabriel Attal a été nommé Premier ministre, mais aussi chef de la campagne pour les Européennes
Ensuite, pour le camp présidentiel, le deuxième défi, c'est celui des Européennes. Toutes les enquêtes d'opinion montrent que le Rassemblement National creuse l’écart face à la majorité. Emmanuel Macron ne veut pas que cet écart s’enracine, se cristallise dans la société française.
Si le rapport de force ne s'inverse pas, la défaite pourrait-être insupportable pour le camp présidentiel dont on sait qu'il privilégie l'axe européen. Gabriel Attal a été nommé non seulement comme Premier ministre, mais comme chef de la campagne pour les Européennes. Le soldat Attal est là pour partir au combat. Il joue un peu sur le même terrain générationnel que Jordan Bardella [NDLR : tête de liste du RN] et ce sont tous les deux des prodiges de la communication.
Le grand échec de Macron est d'avoir été incapable de sécréter des poids lourds au sein de son camp
Gabriel Attal est peut-être le seul Premier ministre sur les quatre d'Emmanuel Macron qui est un vrai politique. Le grand échec d'Emmanuel Macron depuis 2017, est d'avoir été incapable de sécréter des poids lourds au sein de la macronie. Lorsque la droite était au pouvoir, sous la Cinquième République, il y avait des poids lourds : du gaullisme, du pompidolisme, du giscardisme. Même chose sous Mitterrand avec ceux qu'on appelait les éléphants du Parti socialiste.
À l’inverse, la macronie est là depuis 2017 et on compte sur les doigts d'une demi-main, les hommes et les femmes qui ont pu percer. Gabriel Attal est l’un des rares produits de la macronie. Édouard Philippe, lui, était un poids lourd issu de la droite.
Il a découvert, comme le président d'ailleurs, que la France est un pays à droite, en tout cas sur les thèmes régaliens. Emmanuel Macron est allé peu à peu vers ce centre de gravité de la société française. Et aujourd'hui, Attal y va sans aucun complexe. Il assume.
C’était déjà visible lorsqu'il a été nommé, en juillet, ministre de l'Éducation nationale. Très vite, il s'est positionné dans ce ministère sur des thèmes de droite : la lutte contre l’abaya, l'autorité des enseignants, le recours éventuel à l'uniforme pour les élèves.
C’est vrai et là, est-ce que le nouveau Premier ministre pourra éviter de se casser les dents ? Car il y a une chose qui n'a pas changé : c'est la majorité relative. Comment gouverner lorsqu’il manque 50 députés pour atteindre la barre de la majorité absolue ?
Au ministère de l'Éducation, Gabriel a plus gouverner par règlement que par la loi
Ce qu’a déjà commencé Gabriel Attal, lors de son passage au ministère de l’Éducation, c'est de gouverner moins par la loi et plus par le règlement. Avec la loi, qui est votée, vous avez besoin d'une majorité au Parlement. Mais si vous gouvernez par règlement [NDLR : par décret], là, ce sont des règlements, pris par les ministres et par le Premier ministre, qui vous permettent de changer les choses.
Toutes les mesures qu'a proposées le ministre de l'Éducation nationale, qui était Gabriel Attal, étaient des mesures qui relevaient du règlement et non de la loi. À ce moment-là, vous n'avez plus besoin d'une majorité au Parlement. C'est une fonction régalienne que vous exercez. Néanmoins, cela ne suffira pas. Gabriel Attal aura besoin également du soutien du Parlement. Et là, ce sera une tâche difficile.
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