Chahut intarissable, suspensions de séance, ministres frappés de qualifications infamantes... Depuis que le texte gouvernemental sur les retraites est soumis à l'examen des députés, l'Hémicycle tient plus de la cour de récréation que d'une chambre de débat. De quoi ce spectacle est-il le nom ? Tentative d'explication.
À l'issue du scrutin législatif de juin 2022, l'absence de majorité absolue avait fait espérer que l'Assemblée nationale ne soit plus une simple chambre d'enregistrement de l'exécutif. Beaucoup se réjouissaient d'un rééquilibrage annoncé des pouvoirs au profit du Parlement. "Mais si c'est pour faire le contrepoids de cette manière, on s'en passerait volontiers", peste Pascal Perrineau, politologue et professeur émérite à Sciences Po.
Depuis dix jours que le texte sur les retraites est étudié au Palais Bourbon, les Français sont privés de la discussion démocratique qu'ils méritent pourtant. "La stratégie d'obstruction parlementaire, quand on dépose 15 000 amendements dont les trois quarts n'ont strictement aucun intérêt, ça ne fait absolument pas avancer le débat", s'exaspère le spécialiste de la vie politique.
Culture de la radicalité
Il dénonce l'attitude du groupe La France Insoumise. "Très souvent issus d'une culture de la radicalité", les députés mélenchonistes "trouvent quelque part que la démocratie parlementaire est une fausse démocratie, donc ils la méprisent", analyse-t-il.
Pascal Perrineau s'afflige de la tournure que prennent les événements. "Être représentant du peuple, ça exige de se dépasser soi-même, de dépasser ses mouvements de mauvaise humeur et ses facilités de langage", cingle-t-il. Une allusion aux injures adressées en séance à certains ministres ces derniers jours. "Ou son avachissement quant à la tenue", ajoute-t-il alors que la NUPES revendique une forme de relâchement vestimentaire.
Selon lui, la qualité des débats au Sénat sauve un peu la mise. "Heureusement qu'il y a le Sénat, où le débat est de bien meilleure qualité", souligne-t-il, se félicitant de la "vraie culture du compromis" qui existe à la chambre haute.
L'ancien directeur du Cevipof souscrit à la théorie de Jérôme Fourquet qui, dans "L'Archipel français", brossait une France à deux vitesses, déchirée entre les gagnants de la mondialisation d'un côté, ses décrochés de l'autre. "Les fractures territoriales sont très vives, s'inquiète-t-il, elles révèlent une France qui est complètement dans la mondialisation, c'est la France des grandes métropoles contre une France qui elle est à la traîne, rencontre des tas de problèmes pour rentrer dans cette mondialisation, et qui est beaucoup plus la France rurale ou ce qu'il en reste, et la France des petites villes et des villes moyennes." Un bloc périphérique pourvoyeur de gilets jaunes face à un bloc urbain, en somme.
Les fractures territoriales sont très vives
Depuis 2017, députés comme sénateurs ne peuvent plus concilier leur mandat de représentation nationale avec un mandat local. Dans ce changement conçu pour renouveler la vie parlementaire, le politologue pointe le risque d'une déconnexion des élus nationaux. "Les Français n'ont vu que l'aspect négatif du cumul des mandats. Il y avait aussi un aspect positif, c'est-à-dire que ceux qui nous représentaient étaient enracinés, avaient la glaise à leurs souliers." Et si, malgré la bonne intention dont elle partait, la loi de non-cumul avait amplifié la défiance envers les élites ?
Pour tenter de combler ce fossé social, Pascal Perrineau appelle de ses vœux une réforme institutionnelle qui accorderait aux collectivités locales des compétences accrues. "La France a besoin d'une véritable décentralisation afin que tous ces territoires aient voix au chapitre".
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