93 % des communes ont voté pour le Rassemblement national aux dernières élections européennes. À la veille des élections législatives, le score du parti à la flamme pourrait être sensiblement équivalent. Si dans les campagnes, le Rassemblement national réalise des scores impressionnants, le parti d’extrême droite ne s’impose pas au sein des zones urbaines. Décryptage.
La carte a fait le tour des réseaux sociaux au lendemain des élections européennes. Les couleurs du parti à la flamme s’étaient étendues sur la très large majorité de la France. Le couperet tombe : 93 % des communes ont voté pour le Rassemblement national au scrutin des Européennes. Seules les grandes villes sont épargnées par les crues des eaux bleu marine. Un clivage territorial aux multiples facteurs.
La fracture électorale observée ces dernières années ne cesse de s’accentuer. Les choix électoraux des citadins divergent de plus en plus de ceux des habitants des zones rurales. Lors des élections européennes, Jordan Bardella a fait un score de 38 % dans les communes rurales contre 28 % dans les communes urbaines. “Il y a dix points d’écarts entre le vote des grandes villes et le vote des campagnes”, constate Kevin Brookes, enseignant chercheur en science politique, spécialiste du clivage rural-urbain. “L’écart n’a cessé d’augmenter entre 2017 et 2024”. Un écart de vote largement visible entre les grandes villes comme Bordeaux, Paris, Lyon et les communes rurales.
Comment l’expliquer ? Se revendiquant comme le parti de la ruralité, le Rassemblement national mise sur une stratégie anti-élitiste, “qui parle à tout le monde”. En 2022, Marine Le Pen avait été la première à même proposer un ministère de la Ruralité, manière finalement de s’adresser directement à un électorat paysan.
S’il convient de prendre les effets de compositions sociodémographiques pour comprendre le vote en zones rurales - l’idée selon laquelle les classes moins aisées, plus pauvres, vivent en campagne donc votent pour le RN - il ne faut pas non plus le délier d’une politique du ressentiment. “Si les zones rurales votent pour le Rassemblement national, c’est parce qu’il y a un certain ressentiment, une hostilité de la part de ces populations vis-à-vis des élites urbaines”, analyse Kevin Brookes.
Un ressentiment résumé en “trois facettes” par l’enseignant-chercheur en science politique. “D’abord, l’économie avec le manque de ressources publiques, ensuite une facette culturelle : ils se sentent méprisés dans leur mode de vie, et enfin une facette politique, ils ont l’impression que les grandes autorités politiques ne correspondent pas à leur aspiration”.
En clair : le monde rural se sent méprisé par les élites politiques urbaines, sauf par le Rassemblement national, qui prend davantage en considération ces tranches de population. “Les écologistes ne nous comprennent pas”, avait notamment lancé un agriculteur au micro de RCF Vendée. Preuve du malaise démographique auquel font face aujourd’hui les partis politiques.
Selon l’analyse de Kevin Brookes, il convient de souligner l’importance du contexte géographique pour rendre compte des représentations politiques des Français. En d’autres termes, un Parisien ou un Lyonnais aura une vision différente du politique et de la politique qu’un habitant en zone rurale.
Pour autant, cet écart entre la perception des inégalités territoriales et la réalité du quotidien des Français est-il fondé ? La théorie repose sur la politique du ressentiment. “En campagne, nous sommes délaissés, oubliés. Vous supprimez nos voitures thermiques, on n’a pas de transports en commun, et les dépenses publiques ne sont fléchées que vers les villes”.
Un vrai ressenti qui monte en zones rurales, pas vraiment vérifiables dans les faits. “Si vous regardez le niveau de dépenses publiques par habitant pour les communes rurales et urbaines, on voit qu’il y a une certaine redistribution fiscale des grandes villes vers les communes rurales”, expose Kevin Brookes. “C’est parce que les urbains paient plus d’impôts”, conclut le chercheur.
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