Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, le 24 février, le président ukrainien Volodymyr Zelensky est passé d’humoriste à "chef de guerre" ou "des rires aux armes", pour reprendre les bons mots de la presse française. Reste que le profil du président qui défie Moscou est particulièrement atypique et qu’il ne cesse d'impressionner.
En l’espace de trois semaines, le président Zelensky est passé d’une côte de 25% d’opinion favorable à une figure churchillienne galvanisant son pays et repris en symbole à travers l’Europe. “Zelensky a endossé les habits de chef de guerre au moment où il a décidé d’armer la population, quelques semaines avant l’offensive russe” assure Frédéric Encel, docteur en géopolitique, maître de conférences à Sciences Po Paris qui publie "Les Voies de la puissance" aux éditions Odile Jacob. “La figure de Winston Churchill nous vient immédiatement à l’esprit. Alors qu’il n’était pas agressé directement sur son sol par les armées allemandes, il a décidé de tenir coûte que coûte. On retrouve aujourd’hui cette icône chez Zelensky, mais avec des risques encore plus importants pour lui et son pays.”
D’ailleurs, au début du conflit, Volodymyr Zelensky s’est adressé aux députés britanniques par visioconférence. Il a été longuement applaudi par la chambre des Lords. “En trois semaines, Volodymyr Zelensky s’est hissé à la hauteur de la grande histoire, se transformant en symbole héroïque de la résistance de tout un peuple” écrit d’ailleurs Laure Mandeville dans les colonnes du Figaro.
Au départ, pourtant, Zelensky est un homme du spectacle. Il commence avec une émission en Russie dans les années 90, puis fonde son succès à travers le Studio Kvartal 95, remporte le Danse avec les stars ukrainien en 2006 et se fait connaître au niveau national par la série Le Serviteur du peuple, diffusée sur une chaîne ukrainienne entre 2015 et 2019. Un programme remarquablement prémonitoire puisque l’acteur Zelensky incarnait un professeur d’histoire devenant président de l’Ukraine (disponible aujourd’hui sur Arte.tv).
Aujourd’hui, il est toujours derrière les caméras, mais le message et les conditions ne sont pas les mêmes, car il s’adresse régulièrement à son peuple et à la communauté internationale pour dénoncer l’invasion de son pays, pour appeler à l’aide les Européens ou pour dénoncer les exactions de Moscou. Une communication qu’il ne faut pas négliger dans le portrait du personnage, car il y est passé maître. “Il fait des messages brefs adaptés aux chaînes d’information et aux réseaux sociaux, il est en t-shirt de combattant, il se filme la nuit dans une ville bombardée, il sait très bien faire” analyse le président de l’Observatoire Géostratégique de l'Information, François-Bernard Huyghe, qui est aussi chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).
#Ukraine les premiers ministres polonais, tchèque et slovène sont actuellement à Kyiv en pleine zone de guerre pour rencontrer le Président #Zelensky
— cedric mas (@CedricMas) March 15, 2022
C’est un acte fort du soutien de l’Europe face à l’agression de Poutine.pic.twitter.com/7Y8MWMctTa
“Il s’adresse vraiment aux occidentaux pour dire qu’il partage leurs valeurs et qu’ils sont dans le même camp. Parfois, il va même jusqu’à les engueuler. Il est capable de produire une rhétorique très séduisante s’appuyant sur l’image de la victoire, le sacrifice des civils ou encore les réfugiés qui reviendront après le triomphe” détaille François-Bernard Huyghe.
“Il utilise le seul atout dont dispose l’Ukraine : celui d’être victime, d’être agressé” abonde Frédéric Encel qui salue un sans-faute de Zelensky. “Nous aurions tort d’être blasés. Il aurait très bien pu décréter la loi martiale et prendre des allures de dictateur en temps de guerre. Il joue sa vie alors qu’il aurait pu s’exiler et être accueilli à bras ouverts en Pologne.” Vous l’aurez compris, le sang-froid et la résistance de Zelensky imposent le respect aujourd’hui.
Pourtant, le soir du nouvel an 2018, lorsqu’il annonce sa candidature pour l’élection présidentielle de 2019 dans une vidéo, devant son sapin de Noël, la déclaration ressemble presque à une blague. Pourtant, sa campagne fonctionne. Il s’impose sur des thèmes comme la lutte contre la corruption et il incarne un certain dégagisme de l’ancienne classe politique. Une forme de populisme qui rappelle les courants à l'œuvre dans d’autres pays, certains le surnomment même le “Trump ukrainien”. Comparaison qui suscite quelques craintes chez certains observateurs.
Au début, on a le sentiment que Zelensky pourrait faire trop de concessions au Kremlin
L’autre grand cheval de bataille de Zelensky, c’est la paix dans le Donbass dans l’Est du pays. La région est déjà en guerre depuis 2014 avec les séparatistes pro-russes. “Sa campagne est fondée sur l’idée de rassembler l’Ukraine” raconte Alexandra Goujon maîtresse de conférences en sciences politiques à l'université de Bourgogne, et autrice de "L'Ukraine, de l'indépendance à la guerre“. “Zelensky est un russophone originaire de l’Est du pays et il apprend la langue ukrainienne seulement au moment de sa campagne” développe-t-elle. Un profil et un parcours qui lui valent des critiques. Beaucoup s’inquiètent de sa position avec la Russie, car pour avoir la paix dans le Donbass, il entend négocier avec Moscou, ce qui le pousse, au départ, à ne pas adopter une position trop radicale avec Vladimir Poutine. Par exemple, il ne qualifie pas tout de suite la Russie d’agresseur. “On a le sentiment qu’il pourrait faire trop de concessions au Kremlin” explique Alexandra Goujon.
Néanmoins, selon elle, la position du nouveau président ukrainien est assez claire : “il affirme assez tôt le destin européen de l’Ukraine et sa volonté de protéger la souveraineté de son pays”. Il obtiendra quelques avancées avec la Russie comme des échanges de prisonniers. Cependant, devant les exigences russes, il va rapidement durcir le ton. “La position russe était trop inflexible” se souvient Alexandra Goujon. Côté russe justement “Moscou a pensé dans un premier temps qu’il pouvait obtenir beaucoup de concessions de la part de Zelensky qui arrivait dans une position de négociateur” assure Isabelle Facon, spécialiste de la Russie à la Fondation pour la Recherche Stratégique. “Je pense que la réalité politique a repris ses droits en Ukraine et le président Zelensky s’est éloigné de cet agenda. C’est ce qui a convaincu l’establishment russe qu’il agissait sous pression de l'occident.“
Reste que Zelensky est élu et bien élu avec 73% des voix en 2019 ! Pourtant juste avant l’invasion russe, il n’était plus crédité que de 25% d’opinion favorable. La faute à une usure dans le pouvoir, à l’échec de la paix dans le Donbass, mais aussi à son attitude face aux oligarques. “Il s'attaquait aux oligarques et on se demandait si cela ne cachait pas un règlement de comptes personnel, il a aussi pris des décisions qui touchaient certains médias, notamment pro-russes et s’est fait accuser de menacer la liberté d’expression” expose Alexandra Goujon.
Zelensky est devenu ce chef de guerre car il y a une tradition de résistance civile et militaire en Ukraine
Aujourd’hui, ces débats sont oubliés et la guerre a créé une forme d’union sacrée autour de celui qui incarne à la fois le chef politique et le chef de guerre. Pour les Européens, il représente aussi la défense d’un idéal démocratique face à l’impérialisme russe. Pour conclure il faut quand même préciser que Zelensky est issu d’un terreau fertile au sein de l’Ukraine. “Il y a une forme d’effet miroir, explique Alexandra Goujon. Il est devenu ce chef de guerre, car il y a une tradition de résistance civile et militaire en Ukraine. Il ne faut pas oublier que le pays a vécu deux révolutions : la révolution orange en 2004 et celle de Maïdan en 2014. Et cette dernière est un mouvement démocratique. Donc l’aspiration démocratique en Ukraine ne vient pas de Zelensky, mais c’est plutôt Zelensky qui récupère un pays qui manifeste des aspirations démocratiques depuis son indépendance” conclut-elle.
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